1. La loi de simplification du droit des sociétés apporte des modifications non négligeables aux règles de décompte des voix. Ces modifications s'appliquent à compter des assemblées générales réunies pour statuer sur le premier exercice clos après le 19 juillet 2019 (Loi art. 16, II).
Cette disposition relative à l'entrée en vigueur ne pose pas de problème en cas de réunion d'une assemblée annuelle, appelée à statuer sur les comptes du premier exercice clos après cette date : pour les sociétés dont l'exercice coïncide avec l'année civile, les nouvelles règles s'appliqueront à l'assemblée annuelle 2020 statuant sur les comptes de l'exercice 2019 (qui, par hypothèse, correspond au premier exercice clos après le 19 juillet 2019 puisque la date de clôture de l'exercice est fixée au 31 décembre 2019).
En revanche, la règle d'entrée en vigueur appelle une remarque pour les autres assemblées (notamment les assemblées générales extraordinaires), dont l'objet n'est pas de statuer sur les comptes d'un exercice ; pour ces assemblées, l’entrée en vigueur suppose donc la tenue préalable de l’assemblée annuelle statuant sur le premier exercice clos après le 19 juillet 2019. Ainsi, si l'on reprend l'exemple d'une société dont l'exercice coïncide avec l'année civile et réunissant une assemblée extraordinaire en janvier 2020, les nouvelles dispositions ne s'appliqueront pas à cette assemblée (puisqu'elle se sera tenue avant l'assemblée annuelle 2020).
2. La majorité requise pour l'adoption des décisions des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de sociétés anonymes (SA) cotées ou non sera déterminée en fonction des seules voix exprimées par les actionnaires présents ou représentés. Les abstentions, de même que les votes blancs ou nuls, ne seront ainsi plus comptabilisées comme des votes négatifs, mais seraient exclues du décompte (C. com. art. L 225-96, dernier al. et L 225-98, dernier al. modifiés ; Loi art. 16, I-1°).
L'exemple suivant met en lumière les différences de décompte entre le régime actuel et le nouveau régime.
Exemple | Régime actuel | Nouveau régime |
Assemblée générale ordinaire - Voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés : 100 - Voix exprimées en faveur de la résolution : 45 - Voix exprimées contre la résolution : 40 - Abstentions : 15 | Majorité des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés : 51 -> Le nombre de voix en faveur de la résolution (45) étant inférieur à la majorité, la résolution est rejetée | Majorité des voix exprimées par les actionnaires : 43 -> Le nombre de voix en faveur de la résolution (45) étant supérieur à la majorité, la résolution est adoptée |
Assemblée générale extraordinaire - Voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés : 100 - Voix exprimées en faveur de la résolution : 65 - Voix exprimées contre la résolution : 25 - Abstentions : 10 | Majorité des 2/3 des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés : 67 -> Le nombre de voix en faveur de la résolution (65) étant inférieur à la majorité des 2/3, la résolution est rejetée | Majorité des 2/3 des voix exprimées par les actionnaires : 60 -> Le nombre de voix en faveur de la résolution (65) étant supérieur à la majorité, la résolution est adoptée |
3. L’actuelle assimilation des abstentions à des votes négatifs peut induire en erreur les actionnaires sur le sens de leur vote ou bien favoriser des comportements masquant une opposition derrière une abstention, au détriment de la clarté des débats au sein des assemblées générales (Rapport Sénat n° 657 p. 56).
Les nouvelles dispositions consacrent un véritable vote d’abstention que l'Autorité des marchés financiers (AMF) appelle de ses vœux depuis 2012 (Rapport final sur les assemblées générales d'actionnaires de sociétés cotées du 2-7-2012 p. 20 s.). Cette abstention ne sera pas dénuée de toute portée car elle pourra être interprétée comme un signal d’alerte pour les dirigeants et un nouvel outil de dialogue avec la société (Rapport AMF précité p. 21).
L’AMF prenait l’exemple suivant : un actionnaire qui serait opposé par principe au cumul des fonctions de président et de directeur général, mais qui souhaiterait ne pas voter contre le renouvellement du mandat d’administrateur de ce dirigeant, car il approuverait sa gestion de la société, pourrait faire le choix de l’abstention. Celle-ci exprimerait, dans cette hypothèse, un signal favorable au renouvellement du dirigeant concerné (l’actionnaire ne s’opposant pas à sa réélection) mais défavorable au principe du cumul des fonctions (l’actionnaire ne votant pas en faveur du renouvellement du mandat) (Rapport AMF précité p. 21).
4. La loi donne également une définition des voix exprimées, en reprenant celle retenue par le règlement européen 2157/2001 du 8 octobre 2001 sur le statut de la société européenne (art. 57 et 58) : les voix exprimées ne comprendront pas celles attachées aux actions pour lesquelles l’actionnaire n’a pas pris part au vote, s’est abstenu ou a voté blanc ou nul (C. com. art. L 225-96, dernier al. et L 225-98, dernier al. modifiés ; Loi art. 16, I-2°).
5. A l’heure actuelle, les formulaires de vote à distance sur les résolutions soumises à l’assemblée générale ne donnant aucun sens de vote ou exprimant une abstention sont considérés comme des votes négatifs (C. com. art. L 227-107, I-al. 2).
L’AMF relevait en 2012 que « la prise en compte de l’abstention nécessitera de refondre le formulaire de vote par correspondance, afin de clarifier la portée du vote exprimé, l’abstention équivalant alors à un vote « neutre », notamment par différence avec les pouvoirs donnés sans indication de mandataire, qui conduiront à un vote « oui » ou « non » selon la position prise par le conseil » (Rapport AMF précité p. 22).
La loi modifie l’article L 225-107 précité : les formulaires de vote à distance ne donnant aucun sens de vote ou exprimant une abstention ne seront pas considérés comme des votes exprimés (Loi art. 16, I-3°).