1. L'article 38 de la Constitution permet au Gouvernement de prendre par ordonnance, dans un délai limité, des mesures dans des matières relevant du domaine de la loi, que la Constitution (article 34) réserve en principe au Parlement. Après avoir reçu l'autorisation de ce dernier (loi d'habilitation), le Gouvernement prend une ordonnance, puis dépose un projet de loi pour obtenir sa ratification. Cette ratification par le Parlement donne à l'ordonnance le statut d'une véritable loi, qui ne peut donc plus être attaquée devant le juge administratif.
Depuis le début de la Ve République, le Conseil d'État puis la Cour de Cassation et le Conseil constitutionnel jugeaient que les ordonnances constituaient, avant leur ratification par le Parlement, des actes administratifs que le Conseil d'État pouvait contrôler, y compris au regard de la Constitution, comme il le fait pour tous les actes réglementaires émanant du Gouvernement.
Par deux décisions de mai et juillet dernier (Décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020 et décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020), le Conseil constitutionnel a modifié sa jurisprudence en affirmant que les dispositions d'une ordonnance « doivent être regardées, dès l'expiration du délai de l'habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution. Leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut donc être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité. »
Par la décision rendue aujourd'hui, l'assemblée du contentieux du Conseil d'État, sa formation de jugement la plus solennelle, prend acte de ce revirement de jurisprudence et définit les conditions et les modalités de contrôle de la légalité des ordonnances par le juge administratif. Le régime contentieux ainsi précisé poursuit trois objectifs :
- faire en sorte qu'il n'entraîne aucun recul de l'Etat de droit pour les justiciables ;
- délivrer un mode d'emploi qui soit le plus clair et le plus simple possible pour les requérants ;
- s'adapter à la « stratégie contentieuse » du demandeur, qui reste libre du choix des moyens qu'il invoque, y compris dans l'hypothèse où un principe constitutionnel aurait un équivalent dans une convention internationale ou dans un principe général du droit.
2. Tant qu'une ordonnance n'aura pas été ratifiée par le Parlement, elle pourra toujours être contestée devant le Conseil d'État, qui a le pouvoir de l'annuler.
Lorsque le délai d'habilitation accordé par le Parlement au Gouvernement pour prendre l'ordonnance est expiré, la contestation de l'ordonnance au regard des droits et libertés garantis par la Constitution doit prendre la forme d'une QPC. Le Conseil d'État devra ainsi, si la QPC est sérieuse ou nouvelle, la transmettre au Conseil constitutionnel qui se prononcera sur ce point.
En revanche, le Conseil d'État contrôlera toujours la conformité de l'ordonnance aux autres règles et principes de valeur constitutionnelle, aux engagements internationaux de la France, aux limites fixées par le Parlement dans la loi d'habilitation et aux principes généraux du droit, ainsi qu'à des règles de compétence, de forme et de procédure. Il pourra ainsi l'annuler si elle est illégale pour l'un de ces motifs, quel que soit le sort réservé par le Conseil constitutionnel à une QPC qui lui aura été transmise.
3. Cette clarification de la répartition des rôles pour le contrôle des ordonnances non ratifiées a été réalisée dans le cadre d'un recours déposé par plusieurs syndicats contre une telle ordonnance. Ces derniers demandaient au Conseil d'État d'annuler l'ordonnance du 15 avril 2020 relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l'État et la fonction publique territoriale au titre de la période d'urgence sanitaire.
Par la décision de ce jour, le Conseil d'État juge que cette ordonnance, qui a imposé la prise de jours de congés et de RTT aux agents placés en « autorisation spéciale d'absence » pendant le confinement du printemps dernier, est légale. Elle est, en particulier, justifiée par les besoins du service au cours de la période d'état d'urgence sanitaire et par l'objectif de diminuer le nombre de jours susceptibles d'être pris à la reprise.