Aussi surprenant soient-ils, les faits commis par un salarié dans le cadre de sa vie privée ne peuvent pas être sanctionnés, sauf manquement à une obligation découlant de son contrat de travail. En voici une illustration inédite.
Un salarié pris sur le fait
En l’espèce, un conducteur livreur stationne dans une forêt lors de son trajet lieu de travail-domicile. A bord du véhicule professionnel mis à sa disposition, siglé du logo de l’entreprise, il s’adonne à des plaisirs solitaires. Témoin de la scène, un promeneur signale ces faits à l’employeur. Muni de ce signalement, d’une attestation d’un coordinateur d’exploitation et des données de géolocalisation du véhicule, l’employeur licencie le salarié pour faute grave. Ce dernier conteste son licenciement en justice et dénonce une atteinte à sa vie privée.
La cour d’appel valide néanmoins le licenciement disciplinaire.
À tort, pour la Cour de cassation qui juge que de tels faits relèvent de la vie personnelle du salarié et ne peuvent pas justifier un licenciement disciplinaire.
Pas de sanction pour un fait de la vie privée, sauf exceptions
En principe, un fait tiré de la vie personnelle ne peut pas constituer une faute du salarié dans la relation de travail (Cass. soc. 23-6-2009 n° 07-45.256 FS-PB). Il ne peut donc pas justifier un licenciement disciplinaire sauf s'il se rattache à la vie professionnelle du salarié (Cass. soc. 8-7-2020 n° 18-18.317 FS-PB) ou caractérise un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail (Cass. soc. 30-9-2020 n° 19-12.058 FS-PBRI).
C’est ce que rappelle la Cour de cassation, en citant à l’appui de sa décision l’arrêt récent de son assemblée plénière ayant réaffirmé ce principe (Cass. ass. plén. 22-12-2023 n° 21-11.330 BR).
A noter :
Le principe a également été rappelé récemment, dans le cadre d’un contentieux relatif à des courriels privés au contenu raciste, envoyés via la messagerie professionnelle, n’ayant pas vocation à devenir publics (Cass. soc. 6-3-2024 n° 22-11.016 FS-B : voir notre actualité du 4-4-2024).
Se masturber dans le véhicule professionnel hors temps de travail n’est pas fautif
La Cour de cassation relève d’abord que, comme constaté par la cour d’appel, les faits dénoncés ont été commis en dehors du temps de travail, le salarié ayant fini sa journée. On relèvera aussi que les faits se sont déroulés hors du lieu de travail.
À ce titre, il a déjà été jugé que le fait imputé au salarié, qui s'est déroulé en dehors du temps de travail, relève de sa vie personnelle et ne peut pas constituer une faute (Cass. soc. 26-9-2001 n° 99-43.636 F-D).
A noter :
A contrario, si les faits avaient été commis pendant les heures de travail et/ou sur le lieu de travail, auraient-ils pu être considérés comme fautifs ? Tout dépend des circonstances, mais l’employeur aurait en tout état de cause été en mesure de prouver facilement le rattachement des faits à la vie professionnelle du salarié.
Toutefois, un fait commis par un salarié dans le cadre de sa vie personnelle peut être rattaché à son activité professionnelle et justifier un licenciement disciplinaire. Le fait que le salarié se soit trouvé dans son véhicule professionnel était-il déterminant à cet égard ?
Non, pour la Cour de cassation. La seule circonstance que le salarié se trouvait, lors de son trajet lieu de travail-domicile, dans le véhicule professionnel mis à sa disposition ne pouvait pas suffire à rattacher les faits commis dans la sphère privée à sa vie professionnelle.
A noter :
L’employeur avait indiqué dans la lettre de licenciement que le véhicule professionnel, dans lequel le salarié s’était masturbé, était siglé au logo de l’entreprise et que la plainte du promeneur, accompagnée de la photo du camion, mentionnait « quelle honte pour l’image de votre entreprise ». Des éléments non repris par les juges, ce qui laisse à penser que l’employeur n’est pas parvenu à démontrer une atteinte à son image, susceptible de faire basculer le licenciement sur le terrain disciplinaire.
La Cour en conclut que les faits, qui ne constituaient pas un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail, ne pouvaient pas justifier le licenciement prononcé pour motif disciplinaire.
À charge pour la cour d’appel de renvoi de tirer les conséquences de cette décision, et d’indemniser le salarié dont le licenciement sera nécessairement jugé sans cause réelle et sérieuse.
A notre avis :
Cette décision de la Cour de cassation invite, une nouvelle fois, les employeurs à faire preuve d’une grande prudence sur la motivation du licenciement pour des faits relevant de la vie privée du salarié. En l’espèce, l’employeur aurait pris moins de risques en se plaçant sur le terrain du licenciement non disciplinaire, motivé par le trouble au bon fonctionnement de l’entreprise résultant du comportement du salarié.
Retrouvez toute l'actualité sociale décryptée et commentée par la rédaction Lefebvre Dalloz dans votre Navis Social.
Vous êtes abonné ? Accédez à votre Navis Social à distance
Pas encore abonné ? Nous vous offrons un accès au fonds documentaire Navis Social pendant 10 jours.