Cette obligation de solarisation s’impose au plus grand nombre d’autant qu’elle concerne une large variété de bâtiments, à l’exception de ceux à usage d’habitation.
Et ce n’est pas le récent décret n° 2024-1023 du 13 novembre 2024 portant application de l'article 40 de la loi 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, venu préciser l’échéance à laquelle les gestionnaires des parkings les plus grands (plus de 10 000 mètres carrés) et ceux de taille plus modeste (plus de 1 500 mètres carrés) devaient s’équiper massivement en ombrières à énergie solaire (respectivement en juillet 2026 et juillet 2028), qui contredira ce mouvement. Ce texte a suscité de nombreuses réactions de la grande distribution et plus largement des gestionnaires et propriétaires de parcs de stationnement.
Si cette obligation contribue à atteindre les objectifs de la politique nationale énergétique définis à l’article L 100-4 du Code de l’énergie, l’installation d’un procédé de production d’énergie renouvelable sur un bâtiment peut emporter des effets juridiques inattendus.
En effet, le raccordement d’une installation de production d’électricité suppose, à la lettre des règles applicables en droit de l’énergie, de communiquer au gestionnaire du réseau de distribution le numéro Siret de l’installation de production (on notera que le Siret n’est pas exigé lorsque que le producteur est une personne physique).
Or, l’obtention d’un tel numéro Siret peut représenter une contrainte opérationnelle supplémentaire pour les personnes morales disposant de bâtiments soumis à l’obligation précitée.
Il convient de s’interroger sur le fondement juridique de cette obligation d’obtention d’un numéro Siret.
I. La nécessaire identification de l’installation de production en droit de l’énergie
Références au numéro Siret de l’établissement dans le Code de l’énergie
L’exigence, par le gestionnaire de réseau, d’un numéro Siret lié à l’installation de production découle de règles propres au droit de l’énergie.
En effet, le Code de l’énergie envisage l’installation de production par référence au numéro de l’établissement enregistré au Registre national des entreprises - RNE) (C. Com. art. R 123-220 et s.).
Cette référence est actuellement utilisée pour définir la puissance installée des installations. Celle-ci est en effet calculée selon les puissances actives maximales produites « dans un même établissement », lui-même identifié par rapport à son numéro d’identité au RNE (C. énergie art. D 311-3 et R 311-4, lus en combinaison). L’objectif de cette règle est de pouvoir déterminer si une installation est réputée autorisée au sens de l’article L 311-6 du Code de l’énergie.
Cette méthode d’identification des installations n’est pas nouvelle : elle s’est imposée dès l’ouverture à la concurrence de la production de l’électricité (Décret 2000-456 du 29-5-2000 ; Décret 2000-877 du 7-9-2000) comme le relève la doctrine la plus avertie (Pierre Sablière, Droit de l’électricité : Dalloz 2003, 22.00). Cette notion d’établissement était aussi l’un des éléments constitutifs de la notion de « site de consommation », de tels sites ne semblant pouvoir, historiquement, exister sans numéro d’identité au RNE. Aujourd’hui, la notion de site de consommation reste définie par référence à son numéro d’identité au RNE, ou « à défaut, pour les sites qui sont dépourvus d’un tel numéro » par le lieu de consommation d’électricité (C. énergie, art. R 331-1).
Le numéro au RNE de l’installation de production est par ailleurs requis dans le cadre d’une demande de soutien public, c’est à dire d’obligation d’achat ou de complément de rémunération. Ainsi, le producteur personne morale devra, entre autres, fournir le numéro d’identité de l’établissement au RNE ou « tout autre moyen d’identification de l’établissement » défini, le cas échéant, en application de l’arrêté tarifaire dont relève la demande (C. énergie art. R 314-4). A cet égard, les arrêtés tarifaires régissant la production d’énergie photovoltaïque sur bâtiment précisent que le numéro au RNE de l’installation doit être fourni lors de la demande, pour que celle-ci soit considérée complète, si le producteur est une personne morale, et si ce numéro existe. A défaut, et toujours dans l’hypothèse où le producteur est une personne morale, il convient de fournir le numéro de l’entreprise dans le système d’identification du registre des entreprises (Arrêté du 6-10-2021 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l'énergie solaire photovoltaïque, d'une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kilowatts [….] et situées en métropole continentale, art. 3 ; Arrêté du 5-1-2024 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l'énergie solaire photovoltaïque, d'une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kilowatts […] et situées dans les zones non interconnectées en Corse, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte, à La Réunion, à Wallis-et-Futuna, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans certaines îles du Ponant non interconnectées au réseau métropolitain continental et habitées à l'année, art. 3).
Il en résulte qu’une installation de production est généralement identifiée, au sens des dispositions du Code de l’énergie, par rapport à un numéro au Registre national des entreprises, ce qui suppose que l’installation de production soit immatriculée.
Transmission du numéro Siret dans le cadre du raccordement d’une installation de production
C’est peut-être la raison pour laquelle les gestionnaires de réseau – de distribution et de transport – définissent le site de production par référence à ce numéro, ou en exigent la transmission dans le cadre du raccordement à leurs réseaux des installations de production.
Les fiches de collecte à compléter par les demandeurs au raccordement (Enedis-FOR-RES_20E) indiquent d’ailleurs bien que le Siret est « une donnée facultative pour la demande [de raccordement] mais susceptible d’en accélérer le traitement. A défaut de Siret du site, celui du siège de la société sera accepté. Toutefois, le Siret du site sera obligatoire pour établir la convention de raccordement » (nous soulignons).
Les procédures de traitement des demandes de raccordement d’une installation de production sont à cet égard tout autant dépourvues d’ambiguïté : la production d’un numéro de Siret est indispensable – pour les personnes morales – à la conclusion de la convention de raccordement Ainsi, par exemple, une installation est un « groupe ou ensemble de groupes de production d’électricité installé sur un même site défini par un n° de Siret ou (pour un particulier) une adresse physique, exploité par le même Producteur et bénéficiant d’une Convention de Raccordement et d’Exploitation unique. (…) » suivant la procédure de traitement des demandes de raccordement des installations de production en BT de puissance inférieure ou égale à 36 kVA (v. les procédures Enedis-PRO-RAC-20E et Enedis-PRO-RES_67E, respectivement pour les demandes de raccordement des installations d’une puissance inférieure ou égale à 36 kVA ou supérieure à 36 kVA).
Transmission du numéro Siret dans le cadre du raccordement d’une installation de consommation
Pour les installations de consommation, la définition du site de consommation par les gestionnaires de réseau est plus souple. Le numéro de Siret est exigé ; à défaut l’identification est assurée « par une unique adresse physique » (Enedis-PRO-RAC_21E pour les puissances inférieures ou égales à 36 kVA Enedis-PRO-RAC, 14E pour les puissances supérieures à 36 kVA et en HTA).
Pour autant cette exigence semble excéder les cas où une immatriculation au Registre du commerce et des sociétés est exigée par le droit des sociétés.
II. L’exigence d’un numéro Siret par le Code de l’énergie est-elle conforme au droit des sociétés ?
L’obtention d’un numéro Siret implique l’immatriculation d’un établissement au Registre du commerce et des sociétés (RCS) ; une société aura ainsi autant de numéros Siret que d’établissements principal et secondaires.
Le Code de commerce définit l’établissement secondaire comme « tout établissement permanent, distinct du siège social ou de l’établissement principal et dirigé par la personne tenue à l’immatriculation, un préposé ou une personne ayant le pouvoir de lier des rapports juridiques avec des tiers » (C. com art. R 123-40). Cette définition comprend tout établissement, géré par la personne tenue à l’immatriculation, son préposé ou une personne ayant le pouvoir de lier des rapports juridiques avec des tiers, à partir duquel des actes juridiques peuvent être accomplis avec des tiers (fournisseurs, sous-traitants, clients, etc.), à l'exclusion des simples locaux ou emplacements accessoires qui seraient purement internes à une société et qui excluraient tout lien juridique avec des tiers.
A cet égard, il a été admis que ne constituent pas des établissements secondaires au sens du RCS un simple dépôt de marchandises auquel la clientèle n’a pas accès, un hall d’exposition dans lequel ne sont établis ni bons de commande ni factures, ou encore un local affecté au stationnement des véhicules d’une entreprise.
En pratique, un établissement secondaire est caractérisé par la réunion d’un certain nombre d’éléments parmi lesquels notamment :
la présence d’une (ou de plusieurs) personne(s) ayant le pouvoir général d’engager à titre habituel par leur signature la responsabilité de la société ;
une relative autonomie et permanence de l’organisation rattachée à l’établissement secondaire ;
un titre légal d’occupation des locaux par l’établissement secondaire (bail ou contrat de domiciliation par exemple).
Certaines installations de production d’électricité (déploiement de stations de recharge ou panneaux photovoltaïques par exemple) ne répondent pas aux critères susmentionnés. Au regard du droit des sociétés, la nécessité d’immatriculer ces installations de production d’électricité au RCS en qualité d’établissements secondaires paraît donc critiquable.
Il est néanmoins intéressant de noter l’analyse plus extensive du Comité de coordination du Registre du commerce et des sociétés qui, dans un avis 2014-21 du 8 décembre 2014, a considéré que l’exploitant d’un parc éolien, à moins d’avoir établi son siège social ou son établissement principal sur le site d’implantation des éoliennes, est tenu de déclarer ledit parc, car celui-ci est constitutif d’un établissement secondaire devant être immatriculé au RCS. Ce même comité avait d’ailleurs précédemment, dans un avis 2012-014 du 13 avril 2012, déduit de la qualification d’activité commerciale de la production d’énergie l’obligation de disposer d’un Siret pour le producteur d’énergie électrique d’origine photovoltaïque, sauf cas particuliers.
Conclusion
La position particulièrement stricte adoptée en droit de l’énergie fait peser des contraintes lourdes sur ceux qui décideraient de solariser massivement leurs toitures ou d’installer des ombrières de parking, en faisant le choix d’un montage où ils sont l’exploitant de l’installation de production.
En identifiant l’installation de production d’énergie par référence à son numéro au RNE, le Code de l’énergie impose indirectement une obligation d’immatriculer une telle installation au RNE et au RCS. A notre connaissance, il n’est pas possible en effet d’obtenir un numéro Siret pour un établissement sans immatriculation au RCS. Pour autant, la création d’un établissement secondaire et l’obtention d’un numéro Siret afférent n’est pas toujours obligatoire du point de vue du droit des sociétés.
Or, l’exigence d’un numéro Siret spécifique à l’installation de production pour son raccordement constitue une contrainte administrative non négligeable pour les sociétés dont l’activité principale n’est pas la production d’énergie. A titre d’exemple, une société souhaitant immatriculer des installations de production d’électricité en qualité d’établissements secondaires afin d’obtenir un numéro de Siret devra s’assurer préalablement que son objet social couvre bien la production d’électricité.
Il en est de même pour les sociétés étrangères qui déploieraient ces installations sans disposer de personnel dédié sur les sites concernés : l’immatriculation d’établissements secondaires en France impliquera pour elles notamment des obligations de dépôt et de publicité des comptes et des informations relatives à leurs dirigeants sociaux, à leurs statuts, etc.
On sait aussi que certaines données remontent immédiatement à l’administration par la simple immatriculation d’un établissement secondaire, ce qui peut alors déclencher l’appel de certaines taxes.