Abrogation des 35 heures, suppression de la durée minimale de 24 heures hebdomadaires pour les contrats de travail à temps partiel, réintroduction de la barémisation des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Autant de mesures adoptées par les sénateurs mais qui ont peu de chances de figurer dans la version finale de la loi « Travail » qui doit être définitivement adoptée mi-juillet.
Plusieurs modifications ou articles nouveaux, adoptés avec l'approbation du Gouvernement, pourraient en revanche être maintenus. Nous les examinons ici.
A noter : Les responsables de la droite sénatoriale ont souligné à plusieurs reprises que la version du texte issue du Sénat pourrait servir de base à une nouvelle "loi Travail" en cas d'alternance politique en 2017.
Le principe de neutralité dans le règlement intérieur de l'entreprise
Il serait possible d'inscrire le principe de neutralité dans le règlement intérieur de l'entreprise, à condition de procéder par accord collectif.
Le projet de loi prévoit d'autoriser l'entreprise à faire figurer dans le règlement intérieur les principes dégagés par la Cour de cassation sur la manifestation, par les salariés, de leurs convictions notamment politiques ou religieuses. Il serait possible d'y apporter des restrictions en raison de l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou des nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise, à condition que ces restrictions soient proportionnées au but recherché.
L'article 2 est modifié à la marge
Les principes posés par le célèbre article 2 du projet de loi relatif à la hiérarchie des normes restent intacts. Mais quelques retouches ont été apportées à ce texte en matière de durée et d'horaire de travail :
- les salariés handicapés dont le temps de trajet domicile-lieu de travail est majoré ou pénible pourraient bénéficier d'une contrepartie en repos ;
- certaines règles relatives à la durée du travail, issues de la jurisprudence, seraient inscrites dans le Code du travail : le droit pour les salariés ayant effectué 6 heures de travail consécutives à une pause de 20 minutes non fractionnable, le recours aux horaires individualisés uniquement sur demande du salarié ;
- les salariés prenant en charge une personne handicapée ou malade chronique pourraient légitimement refuser de travailler la nuit ;
- dans tous les secteurs d'activité pourvus de caisses de congés payés, la période de référence pour l'acquisition des congés payés serait la même, sans dérogation possible.
Allongement du congé pour décès d'un proche
En cas de décès de son conjoint ou partenaire lié par un Pacs, d'un parent, beau-parent, frère ou sœur, le salarié bénéficie d'une autorisation d'absence de 2 jours. Ce congé serait également accordé au salarié en cas de décès de son concubin, et porté à 3 jours.
Un nouveau congé de 2 jours serait créé au bénéfice des parents en cas d'annonce d'un handicap chez leur enfant.
Signalons en outre que le Gouvernement devrait remettre un rapport au Parlement, dans un délai de 9 mois à compter de l'adoption de la loi, sur l'harmonisation de la notion de jour (ouvré, ouvrable, franc ou calendaire).
Relations collectives : renforcer la culture du dialogue social
Le Conseil économique, social et environnemental a adopté en mai 2016 un rapport sur le développement de la culture du dialogue social. Plusieurs de ses préconisations sont intégrées au projet de loi Travail :
- les accords de méthodologie sur la négociation devraient définir les principales étapes du déroulement des négociations et inciter les partenaires sociaux à attribuer des moyens spécifiques aux représentants syndicaux si nécessaire (par exemple, expertise ou crédits d’heures supplémentaires) ;
- dans les sociétés commerciales, l'employeur devrait mettre à la disposition du comité d'entreprise le rapport de gestion contenant des informations sur la responsabilité sociale des entreprises ;
- plusieurs rapports et bilans seraient remis par le Gouvernement au Parlement : un bilan de la mise en œuvre de la base de données économiques et sociales, une étude sur l'état des discriminations syndicales, un rapport sur la valorisation et la promotion du dialogue social, un bilan qualitatif quinquennal sur l'état du dialogue social.
Encore des ajustements sur la branche
Des clarifications sont apportées au champ d'application de la négociation de branche, conformément aux souhaits exprimés par les partenaires sociaux. Il est donc rappelé que l'accord de branche aurait vocation à s'appliquer au niveau national, mais pourrait prévoir que certaines stipulations sont adaptées ou complétées au niveau local. A cette fin, une organisation patronale représentative pourrait mandater une structure locale pour négocier.
Pendant 5 ans à compter du regroupement ou de la fusion des branches, plusieurs conventions collectives pourraient être maintenues. A l'issue de ce délai, elles seraient intégrées en tout ou partie dans des annexes à la convention collective de branche, qui serait le socle commun.
Accords offensifs : conséquences de la rupture du contrat
L'article 11 du projet de loi, relatif aux accords de préservation ou de développement de l'emploi, dits « accords offensifs », a été largement remanié par l'Assemblée nationale. De nouvelles précisions ont été apportées par le Sénat.
L'Assemblée nationale a introduit dans le dispositif un « parcours d'accompagnement personnalisé » devant être proposé au salarié dont le contrat de travail est rompu en raison de son refus de se voir appliquer l'accord offensif. Le Sénat, s'inspirant des règles régissant le contrat de sécurisation professionnelle, précise que l'adhésion du salarié au parcours d'accompagnement emporterait rupture du contrat de travail.
La rupture du contrat de travail n’entraînerait pas le versement au salarié d’une indemnité compensatrice de préavis, dans la mesure où l’employeur finance le parcours d'accompagnement à hauteur de 3 mois de salaire.
Budget du CE : principe de solidarité entre établissements
Actuellement, la répartition de la subvention pour la gestion des activités sociales et culturelles entre les comités d'établissement se fait en fonction de la masse salariale, ce qui avantage les établissements avec de hauts revenus de cadres par exemple. Pour compenser cette inégalité, un accord collectif pourrait organiser la répartition de la subvention selon des modalités différentes, notamment au prorata des effectifs.
Répartition des sièges dans les conseils de prud'hommes
La règle de répartition des sièges aux conseils de prud’hommes serait définie par référence aux règles de répartition des sièges au sein du fonds paritaire de financement du dialogue social. A titre transitoire, la mesure de l'audience des organisations représentatives serait calculée au niveau national.
Compte personnel d'activité : des informations pour encourager la mobilité
Des services en ligne supplémentaires seraient intégrés au compte personnel d'activité afin d'informer les salariés en période de reconversion sur les possibilités de mobilité géographique et personnelle (par exemple, des données chiffrées sur le loyer moyen dans une région ou le salaire moyen dans une profession).
S'agissant du compte personnel de formation, une dérogation ministérielle autorise depuis 2015 les conseils d'administration des OPCA à financer l'abondement du compte. Cette possibilité serait inscrite dans la loi.
Mesures en faveur des travailleurs handicapés
Les règles de constitution et de mobilisation du compte personnel de formation pour les travailleurs handicapés accueillis en établissement ou service d'aide par le travail seraient introduites dans le Code du travail. Signalons que le dispositif d'emploi accompagné des salariés handicapés serait enrichi.
A titre expérimental, il serait possible de conclure un contrat de professionnalisation avec un demandeur d'emploi dont le contrat de travail a été rompu en raison de son inaptitude physique ou reconnu travailleur handicapé.
Une prime d'activité spécifique serait créée pour les travailleurs handicapés percevant un salaire équivalent à 29 fois le Smic horaire.
Des simplifications pour les groupements d'employeurs
Les salariés mis à la disposition d'une ou plusieurs entreprises utilisatrices par un groupement d'employeurs ne seraient pas pris en compte dans l'effectif de ce groupement. Cette mesure a pour objet d'éviter un double décompte de ces salariés, à la fois par le groupement et l'entreprise utilisatrice.
Des adaptations sont également prévues afin de permettre à un groupement d'employeurs d'embaucher plus de 2 apprentis : les règles relatives au nombre maximal d'apprentis par maître d'apprentissage seraient appréciées au niveau de l'entreprise utilisatrice, et non au niveau du groupement.
Précisions sur le suivi médical des salariés
Tous les personnels de l'équipe pluridisciplinaire de santé au travail seraient placés sous l'autorité du médecin du travail.
Un suivi individuel régulier serait instauré au profit des travailleurs de nuit, selon une périodicité fixée par le médecin du travail.
Enfin, le salarié pourrait solliciter une visite auprès du médecin du travail dès que son état de santé fait présumer un risque d'inaptitude physique.
Détachement de salariés en France
L'entreprise utilisatrice établie à l'étranger et qui a recours a des salariés détachés en France doit désigner un représentant en France, sous peine de sanction administrative. Une précision serait insérée dans le Code du travail : l'employeur sanctionné par une amende administrative pour défaut de déclaration et de désignation de ce représentant resterait passible des sanctions pénales applicables, le cas échéant, en cas de travail dissimulé.
Laurence MECHIN