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Salarié protégé : plus d'obligation de reclassement préalable en cas d’insuffisance professionnelle

En cas de licenciement d'un salarié protégé pour insuffisance professionnelle, l'employeur doit respecter son obligation d'assurer l'adaptation du travailleur à son poste de travail, mais n’a plus à remplir une obligation de reclassement, après un revirement de jurisprudence opéré par le Conseil d'État.

CE 2-12-2024 n° 487954, B. c/ Sté La Tour événements


Par Séverine BAUDOUIN
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©Getty Images

CE 2-12-2024 n° 487954, B. c/ Sté La Tour événements

L'insuffisance professionnelle consiste en l'incapacité du salarié à exécuter son travail de façon satisfaisante. Elle est caractérisée par des échecs, des erreurs ou autres négligences imputables au salarié, sans pour autant revêtir un caractère fautif. Les carences doivent être relativement importantes et persistantes. Le licenciement pour insuffisance professionnelle n'est pas disciplinaire.

Lorsque le salarié est protégé, l'employeur doit demander à l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier. Une jurisprudence constante du Conseil d'État a précisé les points que l'autorité administrative doit contrôler. Ainsi elle doit rechercher si l’insuffisance invoquée est telle qu'elle justifie le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont le salarié est investi. Outre la recherche de l'absence de discrimination (licenciement en rapport avec les fonctions représentatives ou l'appartenance syndicale), l'inspecteur du travail doit également vérifier que l'employeur a procédé à une réelle recherche de reclassement du salarié (CE 27-9-1989 n° 91613 ; CE 23-12-2010 n° 333169 : RJS 3/11 n° 251 ; CE 25-11-2019 n° 418025).

Cette obligation ne résulte pas du Code du travail, mais a été imposée par la jurisprudence, et confirmée par l'administration (Guide DGT 12-2021 fiche 8). Le Conseil d'État revient sur cette solution et opère un revirement de jurisprudence dans un arrêt du 2 décembre 2024, mentionné aux tables du recueil Lebon.

Une obligation d'adaptation mais pas de reclassement

Résistance de la cour administrative d'appel

Dans cette affaire, une entreprise demande l'autorisation de licencier un salarié protégé pour insuffisance professionnelle. Cette autorisation lui est refusée. La cour administrative d'appel de Versailles annule cependant le jugement du tribunal administratif et les décisions de refus de l'inspecteur du travail et du ministre du travail (CAA Versailles 4-7-2023 n° 21VE00328).

Les juges du fond considèrent que l'insuffisance professionnelle est suffisamment caractérisée au vu de la multiplicité des manquements professionnels imputables au salarié, lesquels ont tous trait à la mission pouvant lui incomber, cette insuffisance étant révélée sur une période d'une année, et appréciée au regard de la promotion professionnelle importante et extrêmement rapide dont l'intéressé a bénéficié.

Puis la cour administrative d’appel estime que l'employeur a bien rempli son obligation d'adaptation et de formation. Elle souligne à cet égard qu’aucun texte législatif ou réglementaire ni aucun principe n'impose une obligation de reclassement à un employeur qui souhaite licencier un salarié auquel il reproche une insuffisance professionnelle, les dispositions du Code du travail ne prévoyant une telle obligation que dans les hypothèses où le licenciement est justifié soit par un motif économique (C. trav. art. L 1233-4), soit par l'inaptitude médicale du salarié (C. trav. art. L 1226-2).

A notre avis :

La cour administrative d'appel de Versailles avait déjà résisté, dans les mêmes termes, à la jurisprudence du Conseil d'État dans une précédente décision (CAA Versailles 17-6-2022 n° 20VE02541 : RJS 8-9/22 n° 459).

Revirement de jurisprudence du Conseil d'État

Le Conseil d'État suit le raisonnement de la cour administrative d'appel et opère un revirement de jurisprudence. Il donne ainsi une nouvelle formulation au contrôle à opérer dans le cadre du licenciement pour insuffisance professionnelle d'un salarié protégé.

Dans ce cas, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher si cette insuffisance est telle qu'elle justifie le licenciement. À ce titre, il appartient à l'administration de prendre en considération, outre les exigences propres à l'exécution normale du mandat dont le salarié est investi, l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et de s'assurer que l'employeur a pris les mesures propres à satisfaire à son obligation d'assurer l'adaptation du salarié à son poste de travail et envisagé, le cas échéant, de lui confier d'autres tâches susceptibles d'être mieux adaptées à ses capacités professionnelles.

A noter :

Le Conseil d'État avait déjà mis fin, par un revirement, à l'obligation de reclassement, résultant de la seule jurisprudence, pour le salarié protégé licencié pour absences répétées ou prolongées en raison d'une maladie ou d'un accident d'origine non professionnelle (CE 9-3-2016 n° 378129 : RJS 5/16 n° 351).

Une obligation d'adaptation contrôlée par l'autorité administrative

L'obligation de reclassement qui était imposée à l’employeur par le juge administratif ne résultait effectivement d'aucun texte, et cette obligation n'est pas reconnue par le juge judiciaire concernant un salarié ne bénéficiant pas d'une protection contre le licenciement. La jurisprudence judiciaire prévoit toutefois une obligation d'adaptation, celle-ci résultant du principe général posé par l'article L 6321-1 du Code du travail selon lequel l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail et veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

L'employeur ne peut donc invoquer l'insuffisance professionnelle que si tous les moyens, en temps et en formation, ont été donnés au salarié pour qu'il puisse faire ses preuves. Et c’est là où le bât blesse dans le raisonnement de la cour administrative d’appel, selon le Conseil d'État, dans son arrêt du 2 décembre 2024 : les juges du fond auraient dû rechercher si l'employeur avait pris les mesures propres à satisfaire à son obligation d'assurer l'adaptation du salarié à son poste de travail et envisagé, le cas échéant, de lui confier d'autres tâches susceptibles d'être mieux adaptées à ses capacités professionnelles.

Il n'y a donc plus d'obligation de reclassement, mais seulement d'adaptation, laquelle doit être respectée et dûment contrôlée par l'autorité administrative. À défaut, l'autorisation de licenciement doit être refusée (ou annulée). Dans cette affaire, la cour administrative d'appel se contente de relever que l'employeur avait octroyé au salarié les formations syndicales qu'il avait demandées. Le Conseil d'État considère donc que le juge administratif n'a pas contrôlé l'obligation d'adaptation à son poste de travail, dont l'employeur est redevable au salarié.

A noter :

La jurisprudence judiciaire applicable au respect de cette obligation pour les salariés « ordinaires » devrait donc poser les jalons du contenu de ce contrôle par l'administration pour les salariés protégés. À cet égard, par exemple, l'obligation d'adaptation n'est pas respectée lorsque :

- l'employeur n'a pas mis en place la formation spécifique et l'accompagnement suffisants qu'exigeait l'exécution de tâches nouvelles sur un nouveau logiciel (Cass. soc. 20-5-2009 n° 07-42.945 F-D) ;

- le salarié, promu à des fonctions de direction, n'a pas reçu la formation néces-,saire pour assurer cette mission (Cass. soc. 12-3-1992 n° 90-46.029 D).

En revanche, le licenciement pour insuffisance professionnelle est justifié si le salarié a bénéficié d'un stage de formation et d'une période d'adaptation suffisante (Cass. soc. 9-7- 1997 n° 94-43.709 P : RJS 8-9/97 n° 959, Bull. civ. V n° 262.). Tel est le cas du licenciement d'un analyste financier devenu manager des opérations de crédit après avoir suivi un stage informatique et un accompagnement de 3 mois (Cass. soc. 9-7-2008 n° 07-41.623 F-D).

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