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Les propos sexistes répétés d’un salarié sont fautifs et justifient un licenciement

Un salarié qui insulte, à plusieurs reprises, des collègues en utilisant un langage sexiste peu châtié commet une faute justifiant son licenciement, peu important la tolérance passée de l’employeur.


Par Sophie ANDRE
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©Getty Images

Cass. soc. 12-6-2024 n° 23-14.292 FS-B, CEA c/ N

Dans quelle mesure des propos sexistes peuvent-ils constituer un comportement fautif justifiant le licenciement de son auteur, alors même que son employeur avait toléré, auparavant, des propos similaires ? Telle était la question posée à la chambre sociale de la Cour de cassation dans son arrêt du 12 juin 2024.

Des propos inconvenants d’un salarié envers des collègues féminines

Dans cette affaire, un salarié, technicien supérieur au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) est licencié pour faute par ce dernier, après avoir été mis à pied à titre conservatoire. Le CEA lui reproche, en effet, d’avoir tenu à l’égard de plusieurs de ses collègues de sexe féminin des propos injurieux, dégradants et humiliants.

Saisie en appel, la cour constate que le salarié a bien commis une faute en tenant des propos graveleux et salaces. Pour autant, elle déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse, considérant que la sanction était disproportionnée.

Pour justifier sa décision, deux arguments sont mis en avant par la cour d’appel :

  • le salarié avait déjà tenu des propos analogues par le passé et l’employeur n’a pas immédiatement sanctionné le salarié, son comportement ayant été toléré par ses supérieurs ;

  • l’employeur avait envisagé, dans un premier temps, une mise à pied disciplinaire avant de décider le licenciement après la tenue d’un conseil disciplinaire.

De son côté, l’employeur conteste cette position estimant que le licenciement était justifié. Il invoque notamment son obligation de sécurité qui lui imposait de faire cesser de tels agissements dégradants à connotation sexuelle et attentatoire à la dignité des salariés et son pouvoir de direction, qui l'autorisait à sanctionner la réitération des faits par le salarié, malgré sa tolérance passée.

L’obligation de sécurité de l’employeur impose de faire cesser les agissements sexistes

Avant de se prononcer, la Cour de cassation fixe d’abord le cadre dans lequel les faits s’inscrivent. En effet, elle se prononce au visa de l’agissement sexiste défini à l’article L 1142-2-1 du Code du travail, ce qui est la première fois, à notre connaissance.

Ce texte définit l’agissement sexiste comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

A noter :

La lutte contre les agissements sexistes au travail résulte de la loi 2015-994 du 17 août 2015.

Même si la frontière est parfois ténue, l’agissement sexiste se distingue du harcèlement sexuel sur plusieurs points :

  • la finalité des dispositions relatives aux agissements sexistes est de sanctionner le « sexisme ordinaire » et d’éviter qu’ils ne dégénèrent en harcèlement sexuel ;

  • cette législation vise à contribuer à l’objectif d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; 

  • il y a également une différence de degré, de gravité entre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, plus peut-être que de nature ;

  •  le harcèlement sexuel exige la répétition des comportements et propos à connotation sexuelle tandis que l’agissement sexiste, lui n’intègre pas cette notion de répétition ;

  • contrairement aux dispositions relatives au harcèlement sexuel (ou à la discrimination), il n’existe pas de régime de preuve spécifique, ou de dispositif de protection de la personne témoignant de tels faits ou en ayant subi.

La Cour de cassation corrèle cet article L 1142-2-1 avec l’article L 4121-2 du Code du travail. Elle rappelle qu’au nom de l’obligation de sécurité à la charge de l’employeur, ce dernier doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et faire cesser les agissements sexistes.

A noter :

La Cour de cassation applique ainsi la loi 2016-1088 du 8 août 2016 qui a introduit ce principe de prévention concernant les agissements sexistes dans le Code du travail.

Rappelons que cette obligation de protection des victimes s’impose également en matière de harcèlement moral et sexuel (Cass. soc. 1-6-2016 n° 14-19.702 FS-PBRI :  RJS 8-9/16 n° 567 ; Cass. soc. 5-10-2016 n° 15-20.140 F-D :  RJS 1/17 n° 5).

Le licenciement était-il disproportionné ?

Ce cadre posé, la question principale était de savoir si les propos litigieux du salarié justifiaient un licenciement. Et si le salarié auteur pouvait se prévaloir de circonstances atténuantes qui seraient de nature à disqualifier la faute commise.

La tolérance passée de l’employeur est sans effet sur la sanction

En l’espèce, la Cour de cassation écarte l’argument de la tolérance passée de l’employeur et censure la cour d’appel qui a jugé le licenciement disproportionné pour cette raison.

A noter :

Dans un cadre général et hors situations de harcèlement, la Cour de cassation approuve les juges du fond qui retiennent que des agissements fautifs réitérés du salarié, lorsqu’ils ont été longtemps tolérés par l’employeur ne peuvent plus constituer une faute grave (Cass. soc. 3-3-1998 n° 95-43.269 ; Cass. soc. 12-7-2022 n° 20-22.857), sans que cela soit pour autant systématique.

La logique est différente, en matière de harcèlement sexuel, le comportement de l’auteur est systématiquement qualifié de faute grave (Cass. soc. 24-9-2008 n° 06-46.517 FS-PBRI : RJS 12/08 n° 1154), et ce, quelle qu’ait pu être l’attitude antérieure de l’employeur, dans la mesure où celui-ci est tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs (Cass. soc. 18-2-2014 n° 12-17.557 FS-PB : RJS 5/14 n° 387).

Comme en matière de harcèlement, la Cour de cassation considère, dans le cadre d’agissements sexistes, que dans la mesure où l’employeur est tenu à une obligation de sécurité, son inaction à intervenir ne doit pas aboutir à sanctionner moins fermement l’auteur des faits. La motivation sous-jacente est la prise en compte de la victime.

A noter :

Relevons que sans évoquer explicitement « des agissements sexistes », la chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà censuré des juges du fond qui avaient tenu compte d’une ancienneté de 7 ans pour écarter la faute grave dans le cas d’un salarié ayant tenu à l’encontre d’une collègue de travail des propos dégradants à caractère sexuel (Cass. soc. 27-5-2020 n° 18-21.877 F-D : RJS 7/20 n° 344).

Des propos sexistes répétés constituent une faute

Cet argument écarté, la Cour de cassation, sans remettre en cause l’appréciation souveraine des faits par les juges d’appel, censure l’arrêt pour erreur manifeste d’appréciation.

A noter :

Rappelons que la Cour de cassation ne contrôle par les décisions des juges du fond en matière de cause réelle et sérieuse du licenciement et limite en principe son contrôle à leur motivation s'agissant de l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. soc. 19-12-2012 n° 11-20.434 F-D). Dans le cadre d’un harcèlement, elle vérifie que les juges ont respecté le régime probatoire en deux temps prévu par l’article L 1154-1 du Code du travail (pour un exemple, voir Cass. soc. 8-7-2020 n° 18-23.410 FS-PB : RJS 11/20 n° 523).

La Cour de cassation veille toutefois à ce que les juges du fond se livrent au contrôle de la véracité et de la gravité des faits commis par le salarié. Elle censure les erreurs manifestes d'appréciation lorsqu'elle constate que les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs constatations (en matière de harcèlement moral, par exemple : Cass. soc. 2-7-2014 n° 13-10.979 FS-D : RJS 11/14 n° 766 ; pour une faute grave dans le cadre d’un harcèlement sexuel :  24-10-2012 n° 11-20.085 F-D :  RJS 1/13 n° 7).

Elle fait donc une application de ce contrôle léger dans le cadre de cette affaire d’agissements sexistes.

Pour la Cour de cassation, le fait de tenir envers plusieurs collègues des propos à connotation sexuelle, et ce de manière répétée, constitue bien un comportement fautif constitutif d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, quelle qu’ait pu donc être l’attitude antérieure de l’employeur tenu à cette obligation de sécurité.

La Cour de cassation renvoie donc l’affaire devant une autre cour d’appel.

A noter :

Alors que la Cour de cassation se prononce au visa de l’article L 1142-2-1 du Code du travail, on peut s’étonner qu’elle juge utile de relever le caractère « répété » des agissements litigieux. En effet, cette notion de répétition se réfère en principe à la définition du harcèlement sexuel et n’est pas contenue dans celle des agissements sexistes (voir ci-dessus). Comme on l’a vu, la frontière est toutefois ténue et l’avis de l’avocat général préconisait de requalifier les faits en harcèlement sexuel « vertical », ce qui n’a pas été retenu par la Cour de cassation.  

Toutefois, il est probable que c’est justement la répétition de ces agissements sexistes en l’espèce qui a permis ici à l’employeur de revenir sur sa tolérance passée et a conduit le juge à retenir la faute justifiant le licenciement, au détriment d’une sanction plus légère, comme la mise à pied.

Pour la Cour de cassation, la faute est suffisamment réelle et sérieuse pour justifier le licenciement mais elle s’en remet au pouvoir souverain des juges du fond pour la qualifier. C’est pourquoi, elle renvoie l’affaire devant une autre cour d’appel.

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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