Protection de la femme enceinte ou interdiction d’employer un étranger non muni d’un titre de travail : quel principe doit primer ? La Cour de cassation répond à cette question délicate par un arrêt promis à la plus large publication.
Une interdiction de travail notifiée en cours d’exécution du contrat
Une salariée d’origine étrangère est engagée par un couple en qualité d’auxiliaire parentale. Au moment de son embauche, elle dispose d’un titre de travail temporaire régulier. Mais quelques mois plus tard, l’administration notifie aux employeurs un refus de délivrance de l’autorisation de travail : la salariée est interdite d’exercice d’une activité salariée en France.
Les employeurs convoquent la salariée à un entretien préalable au licenciement. Elle les informe à cette occasion qu’elle est enceinte et revendique la protection de son contrat de travail attachée à cet état. Les employeurs lui notifient néanmoins son licenciement, motivé par l’interdiction de travail notifiée par la préfecture.
La salariée saisit le juge prud’homal afin d’obtenir l’annulation de ce licenciement prononcé, selon elle, en violation de l’article L 1225-4 du Code du travail.
Un conflit entre deux dispositions légales incompatibles
Saisie de l’affaire, la Cour de cassation tranche un conflit entre deux normes impératives : d’une part, l’interdiction d’employer un étranger sans titre de travail l’autorisant à exercer une activité salariée en France, prévue par l’article L 8251-1 du Code du travail, et d’autre part, la protection contre la rupture de son contrat de travail dont bénéficie toute femme enceinte en vertu de l’article L 1225-4 du même Code.
Dans sa notice explicative, jointe à l’arrêt du 15 mars 2017, la Cour de cassation rappelle les principes de droit en présence.
La protection des femmes enceintes
Aux termes de l’article L 1225-4 du Code du travail, la salariée bénéficie d’une protection relative pendant sa grossesse et au moment de la reprise du travail : la rupture du contrat n’est possible qu’en cas de faute grave ou d’impossibilité de maintenir la relation de travail, sans lien avec la grossesse ou la maternité. Elle bénéficie d’une protection absolue pendant le congé de maternité : le contrat de travail est suspendu, et la rupture est interdite, quel qu’en soit le motif.
La Cour de cassation rappelle que ce texte intègre des exigences de droit européen, issues de la directive 92/85/CE du 19 octobre 1992. Celle-ci impose aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, admis par les législations nationales.
A noter : rappelons que l’employeur qui ne respecte pas cette protection s’expose à la nullité de la rupture, à des dommages et intérêts et à des sanctions pénales. Si la rupture du contrat est fondée sur la grossesse ou la maternité de la salariée, il se rend en outre coupable de discrimination.
L'interdiction d'emploi des étrangers sans titre de travail
L’interdiction d’employer un salarié étranger sans titre de travail résultant de l’article L 8251-1 du Code du travail est d’ordre public et ne souffre aucune exception.
Il s’agit en effet d’une disposition de police, c’est-à-dire d’une mesure « jugée nécessaire à la sauvegarde de l'organisation sociale, politique et économique d'un pays ». L’employeur a l’obligation de mettre fin au contrat de travail, sous peine de sanctions pénales.
L’interdiction d’employer un salarié étranger sans titre de travail prime
La Cour de cassation pose comme principe que la salariée non munie du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ne peut pas bénéficier des dispositions légales protectrices de la femme enceinte interdisant ou limitant les cas de licenciement. Les juges font donc prévaloir les dispositions de l’article L 8251-1 du Code du travail sur celles de l’article L 1225-4.
A noter : dans la notice explicative jointe à l’arrêt du 15 mars 2017, la Cour de cassation fait le parallèle avec la protection contre le licenciement accordée aux représentants du personnel. La chambre sociale a en effet déjà jugé que cette protection, d’ordre public, doit être écartée lorsque le salarié ne dispose plus du titre l’autorisant à travailler en France : le licenciement peut être prononcé sans autorisation préalable de l’inspecteur du travail (Cass. soc. 5-11-2009 n° 08-40.923 F-D).
Pour la Cour de cassation, la protection de la femme enceinte cède devant l’interdiction d’employer un étranger sans titre. Les juges assoient leur raisonnement notamment sur le fait que :
- la solution est conforme au droit de l’Union européenne, qui prévoit des exceptions à la protection des femmes enceintes, ce qui se traduit en droit français par la possibilité de rompre le contrat de travail pour faute grave ou impossibilité de maintenir la relation de travail ;
- les dispositions de police des étrangers sont préalables à l’application de la protection liée à la grossesse ou la maternité, qui suppose un contrat de travail susceptible d’exécution.
A notre avis : la rupture pourrait également être notifiée à une salariée perdant son titre de travail pendant la période de protection dite « absolue », c’est-à-dire pendant le congé de maternité. La portée de l'arrêt est générale. Dès lors que, comme le rappelle la notice explicative jointe à l’arrêt, les dispositions légales relatives à l’emploi des étrangers sont préalables à l’application de la protection de la grossesse et de la maternité, l’interdiction de notifier la rupture du contrat de travail pendant le congé de maternité devrait pouvoir être écartée. On invitera toutefois les employeurs concernés à la prudence, au vu des risques contentieux liés à une telle rupture.
Laurence MECHIN
Pour en savoir plus sur la rupture du contrat de travail pendant la grossesse : Mémento Social nos 51290 s.