1. Une société qui a constitué une provision pour dépréciation de son fonds de commerce sur la base d’événements en cours à la clôture de l’exercice doit-elle procéder à la reprise de cette provision et à la constitution d’une nouvelle provision de même montant et ayant le même objet lorsque les motifs qui ont conduit à la constitution de la provision initiale disparaissent mais sont immédiatement remplacés par d’autres ?
Non, répond le Conseil d'Etat, une provision peut conserver son objet même si les motifs qui ont justifié sa constitution ont changé. Dans ce cas, la société peut alors maintenir ou modifier le montant de la provision.
Les provisions devenues sans objet ou détournées de leur objet doivent être rapportées...
2. Au titre de l’exercice clos en 1996, une société exploitant un réseau d’agences de voyage a comptabilisé une provision destinée à prendre en compte la dépréciation de son fonds de commerce, compte tenu de l’incidence des pertes d’exploitation subies au cours des exercices antérieurs et du montant auquel avait été valorisé son fonds à l’occasion de la cession, au cours de cette même année, par sa mère, de la totalité des actions composant son capital.
Entre 1996 et 2003, la société a développé son réseau en procédant, à compter de 2001, à des acquisitions d’agences à titre onéreux, tout en apportant à d’autres sociétés certaines des agences acquises en 1994. La société a toutefois maintenu, au titre de son exercice 2003, l’inscription d’une provision pour dépréciation du fonds de commerce d’un même montant, compte tenu de l’appréciation qu’elle faisait alors des effets négatifs sur ses résultats des événements internationaux survenus en septembre 2001 ainsi que du changement des modes de consommation dans le secteur du tourisme.
A l’issue d’un contrôle, l’administration a rapporté cette provision au résultat du premier exercice non prescrit, clos en 2003, estimant que, compte tenu de l’évolution de la structure du fonds de commerce inscrit à l’actif (marquée par des acquisitions et cessions d’agences), la provision figurant au bilan de l’exercice 2003 portait sur un objet différent de celui qui avait motivé la constitution initiale de la provision au titre de l’exercice 1996. Elle faisait ainsi application des dispositions de l’article 39, 1-5o du CGI selon lesquelles les provisions détournées de leur objet ou devenues sans objet au cours d’un exercice sont rapportées aux résultats de cet exercice.
3. Amenée à connaître du litige, la cour administrative d’appel de Nantes a validé la position de l’administration (CAA Nantes 3-4-2014 no 13NT00417). La cour a jugé que la provision portait sur un objet différent, compte tenu de l’évolution de la structure du fonds de commerce, et a refusé d’examiner la justification avancée par la société qui aurait conduit "à substituer une provision nouvelle à celle initialement déclarée".
4. Saisi en cassation, le Conseil d’Etat énonce le principe suivant lequel une société qui a constitué une provision pour tenir compte de la dépréciation de son fonds de commerce peut, si cette provision n’a pas perdu son objet, maintenir ou modifier le montant de cette provision en cas de modification de la consistance de son fonds et de survenance d’événements justifiant toujours une dépréciation, sans procéder à une reprise de provision suivie d’une nouvelle dotation.
... mais l’objet d’une provision diffère de ses causes ou justifications
5. Il ressort de cet arrêt, éclairé par les conclusions du rapporteur public Emilie Bokdam-Tognetti, que l’objet d’une provision ne doit pas être confondu avec les causes ou les justifications, « c’est-à-dire, pour une charge probable donnée, les événements en cours à la clôture de l’exercice qui la rendent probable ou, s’agissant d’une provision pour dépréciation, les indices laissant penser à une baisse de valeur significative mais non irréversible ». Cette distinction, qui figurait expressément dans une décision du Conseil d'Etat de 1969, est ainsi clairement réaffirmée.
Au cas particulier, l’objet de la provision était la dépréciation du fonds de commerce et ses causes ou justifications étaient, pour la constitution initiale, les conséquences de pertes antérieures et, pour le maintien en 2003, les effets négatifs d’événements internationaux et les changements des modes de consommation dans le secteur du tourisme. La provision avait donc en 2003 le même objet que lorsqu’elle avait été constituée en 1996, à savoir la dépréciation du fonds de commerce.
La circonstance que la consistance du fonds de commerce faisant l’objet de la dépréciation a évolué du fait de l’acquisition et de la cession d’éléments n’a donc pas pour conséquence de modifier l’objet de la provision.
Patrice MULLER