1. Lorsqu’une société décide de racheter ses propres titres, puis de les annuler, une variation de valeur des titres peut être constatée entre leur date de rachat et leur date d’annulation. Afin de déterminer le sort de cette variation de valeur, le Conseil d’Etat s’attache à l’objectif qui a été initialement assigné au rachat de ses propres titres par la société.
Lorsque plusieurs objectifs dont la réduction du capital ont justifié un tel rachat, le Conseil d’Etat juge, pour la première fois, que l’annulation des titres rachetés reste sans incidence sur le résultat imposable. La solution peut toutefois être différente dans l’hypothèse où la société affecte expressément les titres rachetés à chacun des objectifs, en explicitant la proportion des titres affectés à l’annulation.
2. Les faits à l’origine du litige étaient les suivants. Entre 1998 et 2002, une société avait procédé, sur autorisation de l’assemblée générale ordinaire des actionnaires, à des programmes de rachat successif de ses propres actions auxquels étaient assignés divers objectifs dont la réduction du capital. Puis, l’assemblée générale extraordinaire avait autorisé la société, en 2002, à annuler tout ou partie des actions acquises dans la limite de 10 % de son capital. Cette dernière avait alors décidé, en 2003 et 2004, d’annuler douze et sept millions des actions ainsi rachetées.
Estimant que ces opérations constituaient des cessions, la société a constaté, d’une part, au titre de son exercice clos en 2003, une moins-value à court terme égale à la différence entre la valeur du rachat initial et la valeur de marché des titres à la date de leur annulation et, d’autre part, au titre de son exercice clos en 2004, une plus-value à court terme.
A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration a remis en cause le traitement conféré aux opérations d’annulation de titres par la société.
La cour administrative d’appel de Versailles a validé ces rehaussements, au motif que les opérations conduisant à ces annulations sont sans incidence sur la détermination des résultats de la société (CAA Versailles 5-12-2013 n° 11VE01834 : BIC-IX-4487).
3. La question soulevée devant le Conseil d’Etat était la suivante : la perte (ou le gain) de valeur des titres propres rachetés par une société, en vue de satisfaire divers objectifs dont la réduction du capital, constatée lors de l’annulation de ces titres peut-elle être prise en compte dans les résultats imposables de la société ?
Un précédent relatif à l’annulation de titres propres initialement rachetés pour être cédés…
4. Dans sa décision Rexel du 1er avril 2015, la Haute Juridiction a eu l’occasion de reconnaître la déduction de la perte de valeur constatée lors de l’annulation de titres initialement rachetés par une société pour être cédés (CE 1-4-2015 n° 362317 : BIC-VII-43045). En l’espèce, la société avait racheté ses propres titres dans le but de les attribuer à ses salariés et de régulariser son cours de bourse. C’est l’assemblée générale extraordinaire qui avait, par la suite, autorisé la société à annuler les titres en changeant l’objet initial du rachat. L’opération d’annulation avait, en conséquence, conduit au reclassement des titres du compte « valeurs mobilières de placement » vers le compte « actions propres à annuler ».
5. Restait à savoir si ce précédent pouvait être transposé à la situation présentée devant le Conseil d’Etat.
Bien que ces affaires concernent toutes deux l’annulation de titres propres rachetés par une société, les circonstances qui ont conduit à la décision du 22 octobre 2018 sont néanmoins différentes. En effet, les rachats successifs de ses propres actions effectués par la société avaient pour objet :
- de réduire la dilution du capital ;
- d’optimiser la gestion des fonds propres et de réaliser des opérations de croissance externe ;
- ainsi que de régulariser le cours de bourse.
Pour chacun de ces objectifs, l’hypothèse d’une annulation des titres était expressément envisagée.
… non transposable en cas d’annulation de titres rachetés notamment en vue de la réduction du capital
6. Le Conseil d’Etat pose le principe selon lequel le rachat par une société de ses propres titres en vue de la réduction de son capital social, suivi de cette réduction, est par lui-même sans influence sur la détermination de son résultat imposable.
Ce principe est conforme aux règles comptables, expressément citées dans la présente décision, selon lesquelles la valeur comptable des titres détenus explicitement dans le but de réduire le capital n’est soumise à aucune dépréciation et reste égale à leur prix d’achat jusqu’à leur annulation (PCG art. 221-6 et 942-27 : Mémento comptable n° 3186-2).
7. En l’espèce, les titres litigieux ne pouvaient toutefois pas être regardés comme ayant été dès l’origine explicitement affectés à la réduction du capital. A l’inverse, ils ne pouvaient pas être regardés comme ayant été affectés à l’un des autres objectifs mentionnés au n° 5.
Le Conseil d’Etat assimile cette situation au rachat par une société de ses propres titres en vue de la seule réduction du capital. Ainsi, reste sans incidence sur le résultat imposable l’annulation des titres qui n’ont pas été, depuis leur rachat, explicitement affectés à un autre but que la réduction de capital. Tel est le cas de l’annulation de titres dont l’assemblée générale des actionnaires a autorisé le rachat en assignant à cette opération une pluralité d’objectifs au sein desquels figurait la réduction du capital, sans préciser explicitement quelle proportion des titres rachetés serait affectée à ce dernier objectif. A cet égard, il importe peu que l’assemblée générale ordinaire ait autorisé le rachat de titres dans l’objectif prioritaire de réduire la dilution du capital.
La solution retenue par la cour administrative d’appel de Versailles se trouve ainsi confirmée.
A noter : La doctrine comptable ne semble pas s’être prononcée sur ce cas de figure.
8 . La Haute Juridiction refuse d’appliquer au cas présent la solution retenue dans sa décision Rexel (n° 4), dès lors qu’il n’y a pas eu de changement d’objet et, par conséquent, de reclassement des titres litigieux équivalent à une cession.
Il se déduit de cette décision que la jurisprudence Rexel n’est applicable qu’en cas de reclassement explicite des titres.
Quelle conséquence en cas d’affectation explicite des titres aux objectifs assignés au rachat ?
9. Il convient de relever que le Conseil d’Etat réserve l’hypothèse dans laquelle la société affecte expressément les titres rachetés à des objectifs parmi lesquels figure la réduction du capital, tout en explicitant la proportion des titres affectés à l’annulation.
Deux situations doivent alors être distinguées selon que l’annulation porte sur la proportion de titres expressément rachetés en vue de la réduction du capital ou sur la proportion de titres rachetés en vue d’un autre objectif :
- dans le premier cas, la perte de valeur éventuellement constatée entre la date du rachat et la date de leur annulation n’est pas déductible ;
- en revanche, dans le second cas, la perte de valeur pourrait être déduite.
Tableau récapitulatif
10. Le tableau ci-après présente les différentes situations de rachat de titres propres suivi de leur annulation sur lesquelles le Conseil d’Etat s’est prononcé.
Opérations | Incidence sur le résultat imposable |
Annulation de titres initialement rachetés en vue de leur cession | Oui (CE 1-4-2015 n° 362317) |
Annulation de titres initialement rachetés en vue de la réduction de capital | Non (CE 22-10-2018 n° 375213) |
Annulation de titres initialement rachetés en vue d’une pluralité d’objectifs dont la réduction du capital | Non, sauf si la proportion des titres affectés à la réduction du capital est explicitée au moment du rachat (voir n° 9) (CE 22-10-2018 n° 375213) |
Sophie KONCINA
Pour en savoir plus sur les conséquences des opérations d'annulation de titres : voir Mémento Fiscal nos 19100 s.