L'Autorité des marchés financiers (AMF) a publié le 3 décembre 2024 son rapport annuel sur le gouvernement d'entreprise et la rémunération des dirigeants des sociétés cotées. Comme les années précédentes, l'AMF étudie les rapports sur le gouvernement d'entreprise de 50 sociétés cotées sur Euronext se référant au Code de gouvernance Afep-Medef.
Rappel des critères d'indépendance des administrateurs
Le Code Afep-Medef recommande aux sociétés qui se réfèrent à ses dispositions de nommer une certaine proportion d'administrateurs indépendants pour la composition des conseils d'administration et de surveillance, du comité d'audit et du comité des nominations et des rémunération (art. 10.3, 17.1, 18.1 et 19.1).
L'indépendance de ces administrateurs est caractérisée par des critères cumulatifs parmi lesquels figure notamment le fait :
de ne pas être administrateur de la société depuis plus de 12 ans (art. 10.5.6) ;
de ne pas être ou avoir été au cours des cinq dernières années administrateur d'une autre société consolidée par la société (dans laquelle il exerce son mandat) ou administrateur de la société mère de celle-ci ou d'une société consolidée par elle (art. 10.5.1) ;
de ne pas être lié (directement ou indirectement) à un client, fournisseur, banquier de financement significatif de la société ou de son groupe ou pour lequel la société ou son groupe représente une part significative de l'activité (art. 10.5.3).
L'AMF s'est intéressée à la mise en œuvre de ces trois critères par les sociétés composant l'échantillon de son étude et à la pertinence des explications que ces sociétés apportent lorsqu'elles ne respectent pas ces critères. Quelques précisions intéressantes ressortent de cette étude.
S'agissant du critère relatif à une durée du mandat inférieur à 12 ans, l'AMF constate que plusieurs sociétés déjà citées dans son rapport de 2023 continuent à ne pas appliquer ce critère sans apporter d'explication pertinente. Le gendarme boursier rappelle à cette occasion que sont insuffisantes les explications fondées sur l'expérience, les qualités ou la liberté de jugement de l'administrateur (Recommandation AMF 2012-02) ou sur un changement d'équipe dirigeante ou de siège (Rapport AMF 2023).
En cas de passage d'une société à conseil de surveillance à une société à conseil d'administration, l'AMF précise que ce changement de mode de gouvernance ne remet pas en cause, pour le calcul des 12 ans de mandat, l'ancienneté acquise par un membre du conseil de surveillance à ce poste lorsqu'il devient administrateur. Une société ne saurait donc considérer comme indépendant un administrateur cumulant 12 ans d'ancienneté au conseil de surveillance et au conseil d'administration.
L'AMF considère que le critère de l'absence de mandat social dans une autre société du même groupe doit s'appliquer en cas de constitution d'une nouvelle société par voie d'apport : pour être considérés comme indépendants les administrateurs de la société créée ne devront donc pas être ou avoir été administrateurs de la société apporteuse pendant les cinq années précédant l'opération.
Par ailleurs, l'AMF estime que des mesures invitant les membres du conseil exerçant leur fonction au sein de la société mère et dans la filiale à s'abstenir de participer aux décisions du conseil de la société mère en cas de conflit d'intérêts ne suffisent pas à écarter ce critère. Il convient de s'assurer dans une telle situation que l'administrateur ne s'abstienne pas de façon trop répétée, ce qui nuirait à l'effectivité de son mandat.
Partant du constat que les informations fournies par les sociétés sur le critère relatif aux relations d'affaires qu'elles entretiennent avec leurs administrateurs indépendants sont relativement hétérogènes, l'AMF invite, dans la perspective de son rapport 2025, les sociétés à s'assurer de la disponibilité de cette information et à préciser, le cas échéant, les critères quantitatifs et qualitatifs d'appréciation du caractère significatif des relations d'affaires. Ce faisant, l'AMF cite en exemple la société Saint-Gobain, dont l'information fait notamment figurer une analyse des relations pour chaque administrateur et des critères quantitatifs sur les flux d'affaires exprimés en pourcentage afin de mieux apprécier le caractère significatif de la relation. La société fixe le seuil au-dessus duquel une relation d'affaires est présumée être significative à 1% du chiffre d'affaires consolidé d'une société du groupe.
Encadrement de la fonction de président d'honneur
Dénombrant une quinzaine de présidents d'honneur dans les sociétés qui composent l'échantillon de son étude, l'AMF relève que ce titre correspond à des situations très disparates, parfois éloignées du rôle purement symbolique auquel cette fonction est classiquement associée. Dans la majorité des sociétés concernées, le président d'honneur participe ainsi régulièrement aux réunions du conseil d'administration et dispose parfois même d'un droit de vote consultatif alors qu'il n'est pas administrateur. Au-delà de la participation au conseil, certaines sociétés confèrent au président d'honneur un rôle de représentation auprès des partenaires historiques ou la présidence d'un groupe de réflexion sur la prospective et l'innovation. Aucune règle du Code Afep-Medef ne vient encadrer la fonction de président d'honneur.
L'AMF estime que le président d'honneur peut exercer au cours des réunions du conseil une influence potentiellement significative sur les autres membres du conseil, notamment lorsqu'il est le fondateur de la société ou son ancien président-directeur général. Par ailleurs, le président d'honneur est susceptible d'avoir accès à des informations privilégiées lors des conseils. Ce constat pose des questions de principe sur le plan de la gouvernance au regard des règles prévues par la loi en matière d'organisation des pouvoirs et de responsabilité mais aussi en termes d'information des actionnaires. Se pose aussi la question de l'application des règles déontologiques des administrateurs au président d'honneur. Enfin, l'accès du président d'honneur à des informations privilégiées impose une prudence et une vigilance au regard du respect des règles sur les abus de marché.
Afin de prendre en compte ces interrogations, l'AMF recommande aux sociétés de décrire précisément le mode de désignation du président d'honneur ainsi que ses missions et ses prérogatives.
L'AMF recommande, en outre, de s'assurer que l'intéressé connaisse la réglementation relative aux abus de marché, et plus spécifiquement les règles interdisant de communiquer une information privilégiée ou d'effectuer une opération sur des titres concernés par cette information. L'AMF recommande enfin que soit mises en place des mesures de gestion des éventuels conflits d'intérêts.
Encouragement au dialogue actionnarial
La contestation en assemblée générale des résolutions par les actionnaires est demeurée importante en 2024 selon l'AMF, qui relève ainsi que 33 résolutions ont été approuvées à moins de 80 % des voix. Les contestations ont essentiellement porté sur les résolutions relatives à la rémunération des dirigeants (19 des 33 résolutions contestées). Parallèlement, l'AMF relève que la tenue d'un dialogue actionnarial est de plus en plus plébiscitée par les investisseurs.
Face à ce constat, l'AMF regrette la rareté de l'information fournie sur le résultat du dialogue actionnarial et, notamment, sur les positions arrêtées par le conseil en cas de contestation significative à l'occasion d'un vote en assemblée générale. Aussi, le gendarme boursier rappelle l'importance de permettre aux actionnaires d'émettre un vote éclairé sur les rémunérations et d'engager le dialogue avec les actionnaires en cas de fortes contestations du vote. Pour l'AMF, l'absence de prise en compte des préoccupations des actionnaires donne parfois lieu à une contestation croissante de ceux-ci.
L'AMF observe que l'article L 225-108 du Code de commerce, selon lequel la réponse à une question écrite d'un actionnaire est réputée avoir été donnée par le conseil si elle figure sur le site de la société, n'impose pas une publication des réponses. On peut aussi noter qu'aucun texte n'impose que les réponses soient retranscrites dans le procès-verbal de l'assemblée (CA Versailles 14-6-2006 n° 05-7797 : RJDA 5/07 n° 499). En effet, il suffit que le procès-verbal en donne un résumé fidèle et objectif (Rép. Gonnot : AN 22-5-1989 n° 10862).
Au titre de la bonne information et dans un souci de favoriser le dialogue actionnarial, l'AMF encourage les sociétés à publier l'ensemble des réponses aux questions écrites données dans le cadre de l'assemblée générale, y compris celles auxquelles il a été répondu en séance.
Documents et liens associés :
Rapport AMF sur le gouvernement d'entreprise et la rémunération des dirigeants de sociétés cotées : www.amf-france.org