Déclarant avoir été victime de violences verbales et physiques commises par le gérant de la société qui l’employait, un salarié produit en justice un enregistrement audio effectué à l’insu de celui-ci. Invoquant un procédé déloyal, le gérant conteste la recevabilité de cet enregistrement à titre de preuve.
La Cour de cassation juge cette preuve recevable en se fondant sur l'argumentation suivante.
Le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
La cour d'appel de Paris avait relevé que, au moment des faits, trois collègues de travail de la victime ainsi qu'une personne, cliente de l'entreprise et associée avec le gérant dans une autre société, étaient présents sur les lieux ; au regard des liens de subordination unissant les premiers avec l'employeur et du lien économique de la seconde avec le gérant, la victime pouvait légitimement douter qu'elle pourrait se reposer sur leur témoignage. L'altercation enregistrée était intervenue au sein de la société dans un lieu ouvert au public, au vu et au su de tous. La victime s'était bornée à produire un enregistrement limité à la séquence des violences qu'elle indiquait avoir subies et n'avait fait procéder au constat de la teneur de cet enregistrement par un huissier de justice que pour contrecarrer la contestation de l'employeur quant à l'existence de l'altercation verbale et physique.
La cour d'appel avait ainsi recherché si l’utilisation de l’enregistrement de propos, réalisé à l’insu de leur auteur, portait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie privée du dirigeant de la société employeur et le droit à la preuve de la victime ; elle avait pu en déduire que la production de cette preuve était indispensable à l’exercice par la victime de son droit à voir reconnaître tant le caractère professionnel de l’accident résultant de cette altercation que la faute inexcusable de son employeur à l’origine de celle-ci, et que l’atteinte portée à la vie privée du dirigeant était strictement proportionnée au but poursuivi d’établir la réalité des violences subies par elle et contestées par l’employeur.
A noter :
Opérant un revirement de jurisprudence, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé récemment que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’une preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ; le juge doit apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Cass. ass. plén. 22-12-2023 n° 20-20.648 BR : BRDA 3/24 inf. 25).
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation confirme cette solution dans l'arrêt commenté. Elle rejoint ainsi la chambre sociale qui a déjà mis en application cette mise en balance des intérêts (Cass. soc. 17-1-2024 n° 22-17.474 F-B : RJS 3/24 n° 138 ; Cass. soc. 14-2-2024 n° 22-23.073 F-B : RJS 4/24 n° 197).
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