Un couple italo-allemand, marié en Allemagne, obtient un certificat de divorce délivré par un officier de l’état civil italien à l’issue d’une procédure de divorce extrajudiciaire. Ce couple a alors demandé au service de l’état civil allemand l’inscription de ce divorce dans le registre des mariages. Ce dernier a refusé au motif qu’il n’existait pas de décision de divorce ayant fait l’objet d’une procédure de reconnaissance en Allemagne. Mais comme le règlement Bruxelles II bis prévoit une reconnaissance de plein droit des décisions de divorce dans l’Union européenne, les juridictions allemandes ont posé une question préjudicielle à la Cour de justice en lui demandant si les règles prévues par le règlement en matière de reconnaissance des décisions de divorce trouvaient à s’appliquer pour un divorce intervenu au terme d’une procédure extrajudiciaire.
Dans une décision rendue en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne indique que le divorce établi par un officier de l’état civil italien comportant un accord de divorce conclu par les époux et confirmé par ceux-ci devant cet officier est une décision circulant comme un jugement contentieux de divorce.
A noter :
Comme le relève Pierre Callé, professeur à l'université de Paris-Saclay, le règlement Bruxelles II bis (Règl. 2201/2003 du 27-11-2003) s’applique donc aux décisions de divorce intervenues au terme d’une procédure judiciaire comme extrajudiciaire. La réponse de la Cour de justice peut surprendre. On se souvient de l’arrêt Soha Sahyouni, dans lequel la Cour de justice avait précisé que le règlement 1259/2010 du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, dit « règlement Rome III », ne visait que les divorces prononcés soit par une juridiction étatique, soit par une autorité publique ou sous son contrôle (CJUE 20-12-2017 aff. 372/16 : Defrénois 6-9-2018 n° 139m3 p. 33 obs. P. Callé). La majorité de la doctrine en avait déduit que les divorces extrajudiciaires ne relevaient pas des règlements de l’Union européenne en matière de divorce : Bruxelles II bis ou Rome III, la Cour de justice ayant elle-même précisé que la notion de divorce devait être identique pour le règlement Bruxelles II bis et pour le règlement Rome III. Cet avis était conforté par les motifs de l’arrêt de la Cour de justice : « s’il est vrai que plusieurs États membres ont introduit, depuis l’adoption du règlement 1259/2010, dans leurs ordres juridiques, la possibilité de prononcer des divorces sans intervention d’une autorité étatique, il n’en demeure pas moins que, […] l’inclusion des divorces privés dans le champ d’application de ce règlement nécessiterait des aménagements relevant de la compétence du seul législateur de l’Union » (point 47). C’est d’ailleurs une des raisons qui avaient justifié la refonte du règlement Bruxelles II bis et l’adoption du règlement 2019/1111 du 25 juin 2019, dit « Bruxelles II ter », qui contient des dispositions expresses pour la circulation des divorces extrajudiciaires. Mais la Cour de justice entend finalement opérer une distinction entre les divorces privés et les divorces impliquant une autorité non judiciaire. Le divorce extrajudiciaire italien n’est donc pas un divorce privé qui ne pourrait pas circuler au sein de l’espace judiciaire européen. Plus encore, il mérite pour la Cour la qualification de décision, au motif que le mariage n’est dissous que si l’officier de l’état civil s’est assuré que les conditions légales sont respectées. Ce contrôle de légalité emporte ainsi la qualification de décision. La Cour de justice balaye notamment l’argument aux termes duquel lors de l’élaboration du règlement aucun État ne connaissait encore de divorce extrajudiciaire (point 50).
Cette solution est-elle transposable au divorce français par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire ? Cette question en appelle une autre : quel est le degré de contrôle que doit exercer l’autorité non judiciaire pour que l’acte de divorce qu’elle établit soit qualifié de décision ? Pour la Cour de justice, pour qu’il y ait décision, l’autorité publique doit garder « le contrôle du prononcé du divorce, ce qui implique, dans le cadre des divorces par consentement mutuel, qu’elle procède à un examen des conditions du divorce au regard du droit national ainsi que de la réalité et de la validité du consentement des époux à divorcer » (point 54). Le notaire français vérifie à cet égard un certain nombre de conditions formelles de validité, celles énoncées à l’article 229-3 du Code civil. S’assure-t-il de la réalité et de la validité du consentement des époux dès lors que le notaire doit vérifier que le projet de convention n’a pas été signé avant l’expiration du délai de réflexion ? La transposition de cette décision au divorce par consentement mutuel français dépend de la réponse à cette question. Si cela était le cas, faut-il en déduire que les notaires doivent être considérés comme une juridiction au sens du règlement Bruxelles II bis ? Une réponse positive semble s’imposer au regard de la définition européenne d’une « décision ».
La portée de cet arrêt dépasse le règlement Bruxelles II bis car, si le règlement Bruxelles II ter prévoit une procédure de circulation des actes authentiques et accords relatifs au divorce (Règl. 2019/1111 du 25-6-2019 art. 64 s.), il semble qu’il faille désormais distinguer les accords de divorce assimilables à des décisions, qui circuleront comme ces dernières, des autres, qui circuleront conformément aux articles 64 et suivants (point 60).
On sait que la Cour est encore saisie d’une question similaire dans l’affaire C-304/22, à savoir celle de l’applicabilité du règlement Bruxelles II bis au divorce extrajudiciaire avec participation d’un notaire espagnol (sur la question préjudicielle, voir Defrénois 1-9-2022 n° 209o7 p. 28 obs. C. Nourissat). On attendra donc avec impatience la réponse de la Cour.
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