1. Sans opérer une véritable réforme de la réforme que certains redoutaient ou espéraient, la loi 2018-287 du 20 avril 2018, ratifiant l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, apporte certaines corrections mais aussi quelques modifications substantielles au nouveau droit des contrats en vigueur depuis le 1er octobre 2016.
Les modifications apportées à certains articles du Code civil auront inévitablement des répercussions sur les pratiques du droit des sociétés dès lors que les contrats que l’on y rencontre habituellement, tels la cession de droits sociaux, le pacte d’actionnaires ou les statuts d’une société, sont soumis au droit commun des contrats et sont donc sensibles à toute modification qu’il subit.
D’ailleurs, la loi de ratification du 20 avril 2018 comporte des modifications importantes qui, même si elles ne sont pas les plus nombreuses, concernent spécialement les pratiques du droit des sociétés. Certaines modifications touchent en effet directement les sociétés prises en leur qualité de partie à un contrat : il s’agit de la réécriture de l’article 1145 du Code civil relatif à la définition de la capacité des personnes morales et de la restriction du champ d’application des conflits d’intérêts prévu à l’article 1161 du Code civil, duquel les personnes morales ont été exfiltrées. Enfin, certaines cessions de droits sociaux se trouveront, à compter du 1er octobre 2018, soustraites du champ d’application de la révision du contrat pour imprévision prévue par l’article 1195 du Code civil, compte tenu de l’insertion dans le Code monétaire et financier du nouvel article L 211-40-1 à compter de cette date.
2. En somme, les impacts de la loi de ratification du 20 avril 2018 sur le droit des sociétés seront loin d’être négligeables, qu’ils soient diffus ou spécifiques. L’objectif de cet article est d’essayer d’identifier et d’analyser ceux qui auront le plus d’incidences pratiques. Ils seront examinés au stade de la négociation et de la formation du contrat, puis de son exécution.
Application dans le temps de la réforme du droit des contrats
Il nous paraît important de formuler deux observations d’ordre général concernant l’incidence de la loi du 20 avril 2018 sur l’application dans le temps de la réforme du droit des contrats.
En premier lieu, la loi de ratification, qui entrera en vigueur le 1er octobre 2018, a pour effet de renforcer l’étanchéité des contrats conclus avant le 1er octobre 2016 au nouveau droit des contrats issu de l’ordonnance du 10 février 2016. En effet, l’article 16, III de la loi de 2018 complète l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 en précisant que les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 sont soumis à la loi ancienne « y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public », et ce dans un souci de clarification et de simplification. Il est expressément précisé que cette modification sera rétroactivement applicable à compter du 1er octobre 2016.
En second lieu, la loi de ratification introduit un mécanisme assez complexe d’application dans le temps des dispositions du Code civil modifiées. L’article 16, I de la loi de ratification opère en effet une classification, en deux catégories distinctes, des modifications réalisées par cette dernière : les modifications importantes de l’ordonnance du 10 février 2016 introduites par la loi de ratification, à l’instar de celles relatives à la définition du contrat d’adhésion (C. civ. art. 1110), à la caducité de l’offre (art. 1117), à la réticence dolosive (art. 1137), ou encore à la réduction du prix ( art. 1223), entreront en vigueur le 1er octobre 2018 ; les modifications mineures, considérées comme « interprétatives », à l’instar de celles portant sur la violence ( art. 1143) ou encore la fixation unilatérale du prix dans les contrats de prestations de services (art. 1165), seront quant à elles applicables à tous les contrats conclus depuis le 1er octobre 2016.
I. La négociation et la formation du contrat
3. Certaines des modifications apportées par la loi de ratification auront une incidence indirecte sur les pratiques du droit des sociétés ; d’autres les concernent directement.
A. Les incidences indirectes de la loi de ratification
4. Plusieurs incidences indirectes de la loi de ratification sur le droit des sociétés méritent d’être soulignées : certaines résultent de la nouvelle définition du contrat d’adhésion et des clauses abusives, d’autres des correctifs apportés aux vices du consentement.
Extension de la définition du contrat d’adhésion mais délimitation de la notion de clauses abusives
5. Actuellement, le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties (C. civ. art. 1110, al. 2). Cette définition est modifiée à compter du 1er octobre 2018. Le contrat d’adhésion s’entendra désormais de « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables déterminées à l’avance par l’une des parties ». La loi de ratification abandonne ainsi toute référence à la notion de conditions générales, ancrant ainsi la définition du contrat d’adhésion autour de l’absence de négociabilité des clauses du contrat.
Une telle éviction de toute référence aux conditions générales permettra à nos yeux de qualifier le cas échéant beaucoup plus facilement en contrats d’adhésion les conventions que l’on rencontre habituellement en droit des sociétés, tels la cession de droits sociaux, le pacte d’actionnaires, voire les statuts d’une société, alors que l’actuelle référence à l’existence de conditions générales pouvait être perçue comme un obstacle, ou tout au moins un frein, à une telle qualification dès lors que de telles conventions ne comportent pas en principe de « conditions générales ».
Il en résultera une application plus aisée du régime des clauses abusives au droit des sociétés, ce dispositif n’ayant vocation à s’appliquer qu’en présence d’un contrat d’adhésion (C. civ. art. 1171).
6. Reste qu’il ne sera pas aisé de démontrer en pratique le caractère non négociable d’un ensemble de clauses. Il est vraisemblable que les juges s’appuieront sur le poids économique des contractants et le caractère inhabituel des clauses pour opter en faveur de la qualification de contrat d’adhésion. On pense notamment aux salariés, voire aux dirigeants d’une société d’un grand groupe, par ailleurs actionnaires minoritaires (ou plutôt « ultraminoritaires » de celle-ci), qui donnent leur accord à la conclusion d’un pacte d’actionnaires dont la grande majorité des clauses, souvent complexes et sophistiquées, échappe à leur compréhension et à leur capacité de négociation.
7. Si la qualification d’une convention en contrat d’adhésion sera vraisemblablement plus aisée à compter du 1er octobre 2018, la loi de ratification restreint dans le même temps la définition des clauses abusives. L’article 1171 du Code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016, répute non écrite dans un contrat d’adhésion « toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Le champ d’application de cette sanction avait pu paraître trop large dans la mesure où elle pouvait toucher des clauses qui, spécifiquement, avaient été négociées entre les parties tout en traduisant un déséquilibre significatif entre leurs droits et obligations. La loi du 20 avril 2018 tend à dissiper ces inquiétudes en réduisant, à compter du 1er octobre 2018, le champ d’application des clauses du contrat susceptibles d’être réputées non écrites. Selon la nouvelle rédaction de l’article 1171, pour être réputée non écrite, la clause d’un contrat d’adhésion créant un déséquilibre significatif devra avoir été « non négociable » et « déterminée à l’avance par l’une des parties ».
8. A compter du 1er octobre 2018, et à supposer que l’existence d’un contrat d’adhésion soit établie, il ne suffira donc plus de démontrer l’existence d’un déséquilibre significatif, il faudra encore prouver que la clause considérée n’était pas négociable. Au final, la réécriture concomitante des articles 1110 et 1171 du Code civil paraît cohérente, faisant de l’absence de négociation possible le critère de l’éviction des clauses du contrat.
Les vices du consentement
9. Exclusion de la réticence dolosive portant sur l’estimation de la valeur de la prestation. L’actuel article 1137 du Code civil, après avoir énoncé en son alinéa 1 que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges », envisage la réticence dolosive en son alinéa 2 : « Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ». La loi du 20 avril 2018 a souhaité exclure la réticence dolosive portant sur l’estimation de la valeur de la prestation en ajoutant à ce texte un alinéa aux termes duquel : « Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».
En matière de cession de droits sociaux, cet ajout permettra de conforter la position du cédant, investi du droit de ne pas tout dire au cessionnaire à l’occasion des audits portant sur la société cédée.
Le Parlement a en réalité tenté de mettre un peu de cohérence dans les textes : à partir du moment où l’article 1112-1 du Code civil dispose que le devoir précontractuel d’informations « ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation », il paraissait logique qu’aucune réticence dolosive ne puisse être reprochée à une partie précisément pour ne pas avoir révélé à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.
10. Restriction du domaine de l’abus de dépendance. La modification de l’article 1143 du Code civil aura peut-être plus de conséquences pratiques, d’autant que son caractère interprétatif lui confère une portée rétroactive. La nouvelle rédaction précise que l’état de dépendance dans lequel se trouve le contractant doit être apprécié à l’égard de son cocontractant : « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ». La dépendance du contractant ne doit donc plus être appréciée à l’aune de sa seule personne, mais à la lumière de ses relations avec son cocontractant.
En droit des sociétés, une telle précision aura des conséquences sur la possible qualification d’un état de dépendance au sens de l’article 1143 du Code civil. On pense notamment aux pactes d’actionnaires dans lesquels l’abus de dépendance du salarié par ailleurs actionnaire minoritaire de la société qui l’emploie, pourrait exister à l’égard de cette société, mais non à l’égard de son cocontractant, l’actionnaire majoritaire.
B. Les incidences directes de la loi de ratification
11. La réécriture par la loi de ratification de l’article 1145, al. 2 du Code civil relatif à la capacité des personnes morales et de l’article 1161 à propos des conflits d’intérêts en matière de représentation dissipera les inquiétudes des praticiens pour les contrats conclus après le 1er octobre 2018.
Capacité des personnes morales
12. En faisant figurer, pour la première fois, la question de la capacité des personnes morales dans une disposition légale, l’ordonnance du 10 février 2016 avait surpris. On se rappelle que l’article 1145, al. 2 du Code civil exige actuellement, à peine de nullité, que les actes accomplis par les personnes morales soient utiles à la réalisation de leur objet social. Cette disposition a suscité de nombreuses interrogations et sa mise en œuvre pratique a posé d’importantes difficultés. Le terme « utile » laissait entendre qu’il fallait réaliser un contrôle d’opportunité de l’acte accompli pour déterminer si la personne morale était capable d’accomplir ledit acte ou si celui-ci risquait la nullité pour défaut de capacité. Mais la loi ne disait rien du critère à prendre en considération pour réaliser le contrôle d’opportunité. A partir de quel moment un acte était-il utile pour une personne morale ? Etait-ce synonyme d’intérêt social ?
Les parlementaires ne sont pas restés insensibles à ces difficultés de nature à porter atteinte à la sécurité juridique, et ont supprimé purement et simplement cette partie de l’article 1145, al. 2, en prévoyant que la capacité des personnes morales est seulement « limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles ».
13. Si la réécriture de cet article mérite d’être saluée, on regrettera que la nouvelle rédaction n’entre en vigueur qu’à compter du 1er octobre 2018. La condition d’utilité à la réalisation de l’objet social demeure donc pour tous les contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et le 1er octobre 2018. On peine à saisir la logique du législateur : s’il s’agissait de faire disparaître une cause d’insécurité juridique, pourquoi ne pas avoir fait rétroagir la disposition au 1er octobre 2016 ? On espère que, pour les contrats conclus dans cette période, les magistrats appliqueront l’article 1145 du Code civil à la lumière de sa rédaction à venir au 1er octobre 2018, de manière à ce que les risques d’annulation de l’acte soient réduits pour la période intermédiaire.
Inapplicabilité de l’article 1161 du Code civil aux personnes morales
14. A l’instar de l’article 1145, al. 2 du Code civil, l’actuelle rédaction de l’article 1161 du même Code a posé de nombreux problèmes d’articulation avec le droit des sociétés. La loi de ratification du 20 avril 2018 a alors opté pour une solution radicale en exfiltrant les personnes morales de l’application de l’article 1161 régissant les conflits d’intérêts. Autrement dit, en matière de représentation, le contrôle des conflits d’intérêts lorsque l’acte est conclu entre le représentant et le représenté ou entre deux personnes ayant le même représentant est limité, par la loi du 20 avril 2018, à la représentation des personnes physiques. Ainsi, seuls les représentés personnes physiques sont tenus, suivant la nouvelle rédaction de l’article 1161 du Code civil, d’autoriser ou de ratifier l’acte conclu dans ces conditions pour mettre celui-ci à l’abri de la nullité.
La modification apportée mérite à nos yeux approbation dans la mesure où elle met un terme à toutes les discussions relatives à l’application de ce mécanisme aux sociétés à propos desquelles le législateur n’a pas mis en place de procédure des conventions réglementées.
15. Comme en matière de capacité des personnes morales, on peut toutefois regretter que la nouvelle rédaction n’entre en vigueur qu’à compter du 1er octobre 2018. La rétroactivité au 1er octobre 2016 aurait permis de donner cohérence et stabilité à cette matière, puisque rien ne justifie l’existence d’un régime dérogatoire pour une durée de 2 années seulement.
II. L’exécution et la non-exécution du contrat
16. Deux axes permettent d’appréhender les impacts de la loi de ratification du 20 avril 2018 sur l’exécution du contrat en droit des sociétés : les questions relatives à l’exécution du contrat et ses effets, d’une part, et les questions relatives aux modalités d’extinction ou conséquences d’inexécution du contrat, d’autre part.
A. L’exécution du contrat et ses effets
17. Sans préjudice des dispositions transitoires dont nous verrons les effets au fur et à mesure de notre analyse, deux dispositions majeures méritent d’être étudiées, qui peuvent avoir une incidence plus ou moins directe en matière de droit des sociétés : le jeu de l’imprévision et la monnaie du contrat.
Le jeu de l’imprévision
18. Rappelons que le Code civil a, par l’ordonnance du 10 février 2016, introduit en droit positif la théorie de l’imprévision par le biais de l’article 1195 alors même que la jurisprudence civile, depuis l’arrêt « Canal de Craponne », avait toujours refusé la possibilité pour le juge de modifier les prestations des parties dans les contrats de longue durée, même en cas de survenance d’événements imprévisibles venant bouleverser l’économie du contrat.
L’ordonnance du 10 février 2016 avait donc rompu avec cette position traditionnaliste, introduisant dans notre droit positif la révision judiciaire du contrat en cas d’imprévision.
Plusieurs interrogations ont été posées et réflexions menées s’agissant de la question de savoir si le nouvel article 1195 devait ou non s’appliquer en matière de cession de droits sociaux, notamment s’agissant de l’effet à donner à une clause de complément de prix en cas de survenance d’événements imprévisibles venant bouleverser l’économie du contrat.
19. Parallèlement, beaucoup se sont émus de la place donnée au juge dans le contrat en raison du pouvoir qui lui était attribué.
L’article 1195 du Code civil déclare, d’abord, qu’en cas de changement imprévisible des conditions économiques postérieurement à la conclusion du contrat, rendant son exécution « excessivement onéreuse » pour une partie qui « n’avait pas accepté d’en assumer le risque », une partie, sous réserve de poursuivre parallèlement l’exécution de ses obligations, est autorisée à demander à son cocontractant une « renégociation » du contrat.
Certes, cet alinéa est nouveau dans notre droit positif. Pour autant, il ne s’agit ni plus ni moins pour les parties que de se rencontrer pour renégocier leur contrat, au besoin par voie d’avenant. Cela n’aura pas d’impact évident en matière de droit des sociétés.
20. L’article 1195 du Code civil pose, ensuite, le principe que, en cas de refus ou d’échec de cette renégociation, les parties peuvent mettre fin au contrat ou bien ensemble saisir le juge et lui demander de procéder à son adaptation. Jusqu’alors, les parties pouvaient toujours se retourner vers un tiers pour lui demander d’adapter leur contrat. Ici encore, la nouveauté n’est pas fondamentale.
Le dernier alinéa de l’article 1195 donne la possibilité au juge, « à défaut d’accord (des parties) dans un délai raisonnable », de, « à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ». C’est là que la théorie de l’imprévision bat son plein, et que se pose la question de savoir si, en droit des sociétés, cette disposition autorise le cessionnaire, dans l’hypothèse de la survenance d’événements imprévisibles, à forcer la renégociation d’un nouveau contrat de cession, et donc d’un nouveau prix.
Au fil des allers et retours entre l’Assemblée nationale et le Sénat, l’article 1195 du Code civil n’a finalement pas été modifié.
21. En revanche, son champ d’application a été restreint. En effet, la loi du 20 avril 2018 a ajouté dans le Code monétaire et financier l’article L 211-40-1, aux termes duquel « l’article 1195 du Code civil n’est pas applicable aux obligations qui résultent d’opérations sur les titres et les contrats financiers mentionnés aux I au III de l’article L 211-1 du présent Code ».
Les titres financiers sont définis à l’article L 211-1 du Code monétaire et financier comme :
1. Les titres de capital émis par les sociétés par actions ;
2. Les titres de créance ;
3. Les parts ou actions d’organismes de placement collectif.
Autrement dit, les contrats de cession d’actions sont désormais exclus du jeu de l’imprévision.
Rappelons que le Sénat voulait la suppression de l’article 1195 du Code civil. Si sa position n’a pas été retenue, force est de constater que la disposition introduite au Code monétaire et financier, passée tout à fait inaperçue, à l’origine destinée aux seuls produits financiers, emporte une rédaction large concernant l’ensemble des titres cotés et des actions non cotées.
22. A contrario, rien n’exclut le jeu de l’imprévision en matière de cession de parts sociales.
Si la cession porte sur des actions, les parties ne pourront pas solliciter une renégociation du contrat sur le fondement de l’article 1195 du Code civil. Si la cession porte sur des parts sociales, exécutée instantanément, rien ne justifie l’application de l’article 1195 du Code civil. Si la cession porte sur des parts sociales, dont l’exécution est prévue dans le temps avec des effets différés (signing/closing), sans clause d’exclusion de l’application ou d’aménagement de l’application de l’article 1195 du Code civil, la théorie de l’imprévision pourra jouer dans les relations entre le cédant et le cessionnaire.
23. Rappelons que parmi les modifications introduites par la loi du 20 avril 2018, certaines ont seulement une vocation interprétative et sont rétroactives tandis que d’autres, ayant un effet modificatif sur le fond du droit, entreront alors en vigueur le 1er octobre 2018. En ce qui concerne l’ajout dans le Code monétaire et financier de l’article L 211-40-1, l’article 16, I de la loi du 20 avril 2018 prévoit que cette nouvelle disposition sera applicable à compter du 1er octobre 2018.
Il nous semble raisonnable de distinguer selon la nature de la cession : si la cession porte sur des parts sociales, le jeu de l’imprévision jouera à l’identique, que le contrat soit conclu entre le 1er octobre 2016 et le 30 septembre 2018 ou à compter du 1er octobre 2018. Si la cession porte sur des actions, le cessionnaire devrait pouvoir se prévaloir du jeu de l’imprévision pour tout contrat conclu entre le 1er octobre 2016 et le 30 septembre 2018. Après, non.
Le paiement en devises
24. Nos règles relatives au paiement sont précisées. Certes, « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros » (C. civ. art. 1343-3) ; à ce titre, cet article doit être lu conjointement avec l’article L 111-1 du Code monétaire et financier, selon lequel la monnaie de la France est l’euro.
Néanmoins, aux termes de l’article 1343-3 du Code civil, tel qu’issu de l’ordonnance de février 2016, une autre devise que l’euro peut être stipulée « si l’obligation ainsi libellée procède d’un contrat international ou d’un jugement étranger ».
A partir du 1eroctobre 2018, les cas dans lesquels les parties peuvent stipuler un paiement de leur contrat en devises étrangères sont plus larges. L’article 1343-3 du Code civil tel qu’issu de l’ordonnance de ratification est, en effet, rédigé comme suit : « … le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’une opération à caractère international ou d’un jugement étranger. Les parties peuvent convenir que le paiement aura lieu en devise s’il intervient entre professionnels, lorsque l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée ».
25. C’est un apport intéressant de la loi de ratification, la réécriture de l’article 1343-3 du Code civil conduisant à en faire une disposition de nature modificative de l’ordonnance de 2016.
Or, il peut s’avérer utile pour une société française, qui contracte avec une autre société, de faire par exemple financer par une banque française un projet d’acquisition de droits sociaux dont l’exécution se situe à l’étranger. Du point de vue du droit international privé français, un tel contrat n’est pas un contrat international, alors que l’opération s’analyse bien en une opération à caractère international.
Le changement apporté par l’article 1343-3 du Code civil est donc efficace et dans le sens de la réalité économique.
26. Reste la question de la place du juge dans le contrat. En effet, l’article 1343-3 du Code civil ajoute que les parties peuvent également prévoir un paiement en une devise étrangère « s’il intervient entre professionnels lorsque l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée ». Ce sera donc au juge de dire ce qu’il faudra entendre par « usage communément admis ».
A compter du 1er octobre 2018, les parties peuvent dans un contrat de cession de droits sociaux prévoir un paiement en devises étrangères lorsque l’opération concernée est à caractère international ou s’il existe pour ladite opération un usage l’autorisant. Soyons donc prêts à partir de cette date.
B. Inexécution et modalités de la résolution du contrat
27. Avant d’envisager les modalités de la résolution du contrat intéressant le droit des sociétés, nous nous attacherons à l’un des remèdes particulièrement intéressant dans cette matière : la réduction du prix.
La réduction unilatérale du prix
28. La loi de ratification a réécrit l’article 1223 du Code civil, dont la rédaction était jugée imparfaite. En cas d’exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d’en réduire de manière proportionnelle le prix (C. civ. art. 1223, al. 1).
L’article 1223 distinguera donc, à compter du 1er octobre 2018, selon que la totalité du prix a été payée ou pas. Il convient de s’interroger, à propos des cessions de droits sociaux, sur l’utilité et l’utilisation qui pourrait être faite de cette disposition par le débiteur du prix de cession.
En effet, si le prix de cession n’a pas encore été payé, le prétendu créancier de l’obligation inexécutée peut désormais réduire unilatéralement le prix.
En revanche, si le prix a été intégralement payé, c’est au juge que le créancier, à défaut d’accord du débiteur, peut demander de voir le prix réduit (C. civ. art. 1223, al. 2).
Outre que l’on voit là un nouveau pouvoir de révision accordé au juge, force est de constater que cette disposition pourra aisément être utilisée par le cessionnaire de droits sociaux pour, lorsque l’exécution du contrat de cession est étalée dans le temps, retenir le règlement du prix ou de son solde.
29. Si, pour ce faire, le créancier doit notifier par écrit à son cocontractant sa décision d’exercer unilatéralement ce pouvoir de réduction du prix, il est également prévu que le débiteur peut accepter la décision de réduction de prix proposée par le créancier, également par écrit (C. civ. art. 1223, al. 1). Certains ont pu en déduire qu’à raison de cet accord requis auprès du créancier, la réduction du prix n’était plus unilatérale, puisque convenue. Il nous semble, toutefois, que la possibilité pour le débiteur d’accepter la réduction proposée est seulement optionnelle, sans remise en cause du caractère unilatéral du pouvoir accordé au débiteur.
Autrement dit, si l’on en revient au droit des sociétés et notamment à la cession de droits sociaux, c’est bien unilatéralement que le débiteur pourra réduire le prix de cession.
30. Le cessionnaire de droits sociaux pourra, à compter du 1er octobre 2018 – la modification apportée à l’article 1223 du Code civil n’ayant pas un caractère interprétatif –, utiliser le pouvoir que lui accorde cet article. Ses dispositions n’étant pas d’ordre public, les parties pourront y renoncer. Il sera donc opportun pour le cédant, lors de la rédaction du contrat de cession de droits sociaux, et notamment de la clause de complément de prix, de limiter le pouvoir ainsi accordé au cessionnaire.
Les modalités de la résolution du contrat
31. Il convient de rappeler que la réforme de 2016 a ceci de bénéfique qu’elle regroupe au sein d’une même sous-section du Code civil les différentes modalités de la résolution du contrat consécutivement à une inexécution ( art. 1224 s.). Ces dispositions n’ont pas été modifiées par la loi de ratification du 20 avril 2018.
Rappelons également que, dans le sillage des solutions dégagées antérieurement par la jurisprudence, à la classique résolution judiciaire des contrats ont été ajoutées la clause résolutoire ainsi que la résolution par notification, réservée toutefois aux seules inexécutions graves.
32. C’est l’article 1225 du Code civil qui a certainement, d’ores et déjà, attiré le plus notre attention s’agissant de nos rédactions contractuelles, même si la solution retenue n’est pas complètement nouvelle. Le nouvel article 1225 du Code civil impose, en effet, que la clause résolutoire précise expressément les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution.
L’on sait également qu’en principe, la résolution nécessite une mise en demeure restée infructueuse. Mais c’est là encore une simple faculté à laquelle les parties peuvent déroger par voie de clause.
33. Enfin, en droit des sociétés comme en toute matière, le principe de la résolution judiciaire, comme celui de la résolution unilatérale, pourra très certainement être remis en cause par une clause du contrat.
La Cour de cassation avait jugé que l’ancien article 1184 du Code civil n’était pas d’ordre public, de sorte qu’un cocontractant pouvait renoncer par avance au droit de demander la résolution judiciaire du contrat.
Mais dans la mesure où le nouvel article 1227 dispose que « la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice », un débat pourrait naître, s’agissant de la validité, dorénavant, des clauses portant renonciation de recourir au juge pour lui demander la résolution du contrat.
34. Les articles 1224 et suivants n’ont pas fait l’objet de toilettage ou précisions ni de modifications par la loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016. C’est donc depuis le 1er octobre 2016 qu’ils s’appliquent en totalité. Parmi les clauses à prévoir dans nos contrats de cession, n’oublions pas une clause résolutoire précise et efficace et réfléchissons aux effets de l’insertion d’une clause de renonciation à toute résolution judiciaire du contrat.
Par Catherine PEULVE, Avocat à la Cour et Vice-Présidente nationale de l’ACE
et Grégory MOUY, Avocat et coprésident de la commission Droit des sociétés de l'ACE