Dans un contexte où l’incertitude se mêle à l’inconnu, une chose est malheureusement sûre : beaucoup de sociétés vont réaliser des pertes cette année.
La gestion des déficits fiscaux des sociétés imposées à l’impôt sur les sociétés devient alors un enjeu substantiel pour atténuer l’impact de ces mauvais résultats et, in fine, mieux surmonter les difficultés pouvant en résulter.
Se pose plus particulièrement une question : que faire des déficits fiscaux constatés à la clôture des exercices 2019 et 2020 ? La solution : les reporter. Certainement, mais comment ?
Deux modalités de report des déficits
Les sociétés peuvent, bien évidemment, imputer les déficits constatés à la clôture de l’exercice (2019, 2020 par exemple) sur les bénéfices des exercices suivants, et ce, sans limite de temps (2020, 2021, etc.). Rappelons toutefois que ce report en avant ne peut s’effectuer que dans la limite d’un million d’euros et, au-delà, dans la limite de la moitié du résultat diminué de cette somme (CGI, Art. 209, I.). De plus, cette imputation n’améliore pas immédiatement la situation financière de la société.
Autre possibilité, retenue moins couramment, mais pouvant être préférable dans le contexte actuel, le report en arrière des déficits (ou « carry-back ») permet d’imputer le déficit constaté au titre d’un exercice clos, sur le bénéfice fiscal de l’exercice précédent à hauteur d’un million d’euros (CGI, Art. 220 quinquies).
Un report en arrière limité par la loi
Concrètement le déficit des exercices clos en 2019 ou en 2020 peut diminuer le résultat imposable des exercices clos respectivement en 2018 et en 2019 dans la limite d’un million d’euros.
A noter cependant que le bénéfice fiscal sur lequel peut s’imputer le déficit (autrement appelé bénéfice d’imputation) n’est pas le résultat fiscal constaté, mais un bénéfice devant être retraité.
D’une part, seul est pris en compte le bénéfice ayant donné lieu à un paiement effectif d’impôt sur les sociétés. Ainsi, le résultat fiscal, certes imposé, mais le cas échéant acquitté grâce aux crédits d’impôt, est exclu.
D’autre part, ce bénéfice est diminué du montant de sa fraction éventuellement distribuée.
Une amélioration immédiate de la situation comptable de la société et de la trésorerie à moyen terme
La société détient alors une créance sur le Trésor égale à l’impôt sur les sociétés (hors contributions additionnelles) calculé au taux en vigueur à la clôture de l’exercice au cours duquel le bénéfice d’imputation a été réalisé.
Comptabilisée en produit (non imposable), cette créance améliore le résultat de la société, ses capitaux propres et plus généralement l’image globale de ses comptes. Toutefois, cette créance ne peut pas, en principe, être remboursée immédiatement.
Elle peut être soit mobilisée par cession Dailly, soit conservée pour être imputée sur l’impôt sur les sociétés dû au titre des exercices arrêtés au cours des cinq années suivant celle de la clôture de l'exercice au titre duquel l'option pour le report en arrière a été exercée. Ce n’est qu’au terme de ce délai que la créance devient remboursable.
Par exception, les entreprises faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire sont en droit de demander son remboursement immédiatement et ce, dès l’ouverture de la procédure collective.
Une option simple à exercer…
En pratique, l’option doit être exercée dans le délai de dépôt des déclarations de résultat sur le formulaire 2058-A. Par ailleurs, la société doit joindre le formulaire 2039-SD à son relevé de solde d’impôt sur les sociétés (CGI, Annexe III, Article 46 quater-0 W).
Dans les groupes d’intégration fiscale, l’option est exercée par la société mère, les filiales intégrées n’étant plus en mesure de reporter en arrière leur déficit (CGI, Art. 223 G). C’est ici l’occasion de rappeler que, dans une décision récente, le Conseil d’Etat a jugé que la société mère ne peut pas imputer le déficit fiscal d’ensemble d’un nouveau groupe d’intégration sur le bénéfice d’ensemble d’un ancien groupe d’intégration ayant cessé et dont elle était à l’époque tête de groupe. Dès lors, le déficit d’ensemble du nouveau groupe ne peut être reporté en arrière que sur son bénéfice propre (CE 3 -8 ch. 2-12-2019 n 420910, min. c/ Sté Courant SAS).
… dans des délais impératifs
Attention, la société qui n’aurait pas exercé l’option dans les délais perdrait définitivement le droit de reporter en arrière le déficit de l’exercice concerné (BOI-IS-DEF-20-10, n° 260). Précisons en outre que les sociétés en procédure collective ne peuvent plus reporter en arrière leur déficit une fois la procédure ouverte (CGI, Art. 220 quinquies, II)].
Toutefois, la société peut demander, par voie de réclamation, le report en arrière du déficit d’un exercice sur le bénéfice d’un exercice redressé. De manière symétrique, lorsqu’à la suite d’un contrôle, un déficit est majoré (ou est constaté), il est possible de demander, par voie de réclamation, l’imputation du surplus de déficit sur le bénéfice d’un exercice antérieur (CE 10e -9e s.-s. 19-12-2007 n° 285588 et 294358, SA Vérimédia ; BOI-IS-DEF-20-10, n°50 et 60).
Les enseignements de la crise de 2008 : vers un assouplissement des modalités de remboursement ?
Bien que le dispositif soit intéressant, les contraintes très strictes auquel il est soumis nuisent à son efficacité.
En particulier, le délai de remboursement des créances ne permet pas à la plupart des entreprises de combler leur besoin de trésorerie à court terme. Et lorsqu’elles peuvent enfin obtenir la restitution d’impôt, il est déjà bien tard pour celles qui rencontrent des difficultés financières sans pour autant faire l’objet d’une procédure collective.
C’est notamment pour cette raison que le législateur avait permis le remboursement immédiat des créances de carry-back dans le cadre de son plan de relance de l’économie adopté à la suite de la crise de 2008.
Ainsi, les entreprises ont été autorisées à demander en 2009 le remboursement immédiat des créances non utilisées nées de l’option pour le report en arrière des déficits des exercices 2004 à 2008 inclus (Loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 (1), Art. 94). Il s’agissait, ce faisant, de permettre aux entreprises de reconstituer leur trésorerie en accélérant le remboursement de leurs créances de carry-back.
Elles ont pu en outre exercer l’option pour le report en arrière des déficits dès le deuxième jour ouvré suivant la clôture de l’exercice sans attendre la liquidation de l’impôt sur les sociétés, sur la base d'une estimation du déficit en cause moyennant une marge d'erreur tolérée de 20 %.
Compte tenu de l’ampleur inédite de la crise qui se dessine, il n’est pas impossible et même souhaitable que le législateur adopte ce type de mesures dérogatoires dans les prochains mois.
Prenant en compte cette éventualité, les entreprises qui auront opté pour le report en arrière de leur déficit 2019 y gagneraient ainsi plus rapidement, en termes de trésorerie, que si elles ont fait le choix du report en avant. Ceci d’autant plus si le retour à une situation bénéficiaire n’est pas attendu avant plusieurs années, ou si le montant du déficit de l’exercice excède largement sa fraction maximum susceptible d’être imputée sur les bénéfices antérieurs.
Dans le contexte exceptionnel que nous connaissons, d’autres assouplissements mériteraient d’être apportés au dispositif, tels que l’augmentation du bénéfice d’imputation pour l’aligner sur celui qui s’applique au report en avant, et l’allongement de la période de report en arrière (à trois ans par exemple, comme c’était le cas auparavant, au lieu d’un an aujourd’hui).
Quoi qu’il en soit, l’option pour le carry-back doit être considérée avec soin en cette période de récession et de difficultés financières, car elle offre aux entreprises l’opportunité de mieux tirer parti de leurs déficits que le seul report en avant.
Par CMS Francis Lefebvre Avocats
CMS Francis Lefebvre Avocats est l’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires internationaux. Son enracinement local, son positionnement unique et son expertise reconnue lui permettent de fournir des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée dans tous les domaines du droit. Le cabinet est membre de CMS. Fondé en 1999, CMS, avec plus de 70 bureaux répartis dans une quarantaine de pays, est l’un des dix réseaux de cabinets d’avocats les plus importants au monde. Il fournit une large gamme d’expertises dans 19 domaines, notamment : Corporate, Énergie, Sciences de la Vie/Pharmaceutique, Technologie, média & communication, Fiscalité, Banque & Finance, Droit commercial, Concurrence, Contentieux & Arbitrage, Droit social, Droit de la propriété intellectuelle et Droit immobilier & construction.
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