Quelques mois après avoir cessé son activité et été radié du répertoire des métiers, un artisan est mis en liquidation judiciaire. Le liquidateur est autorisé par le juge-commissaire à faire vendre aux enchères la résidence principale de l’artisan et de son épouse. Ces derniers s’y opposent, soutenant que l’insaisissabilité de leur logement (C. com. art. L 526-1) est opposable à la procédure collective.
Une cour d’appel écarte cet argument : ayant été radié du registre des métiers depuis neuf mois à la date à laquelle la procédure collective avait été ouverte à son encontre, l'artisan ne pouvait pas bénéficier de l’insaisissabilité de sa résidence principale, compte tenu de la rédaction restrictive de l’article L 526-1, même si ses dettes professionnelles avaient été contractées quand il était en activité.
La Cour de cassation censure cette décision. L'insaisissabilité de plein droit des droits de la personne immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité de cette personne. Il en résulte que les effets de l'insaisissabilité subsistent aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels elle est opposable ne sont pas éteints, de sorte que la cessation de l'activité professionnelle de la personne précédemment immatriculée ne met pas fin, par elle-même, à ses effets.
A noter :
1° D’abord admise par la loi sur déclaration notariée et publicité de celle-ci, l’insaisissabilité de la résidence principale d'une personne physique immatriculée au registre national des entreprises est désormais de plein droit (cf. Loi 2015-990 du 6-8-2015 art. 206 modifiant C. com. art. L 526-1, al. 1).
La Cour de cassation fait ici application à l’insaisissabilité de plein droit d’un principe qu’elle avait déjà affirmé pour la déclaration d’insaisissabilité (Cass. com. 17-11-2021 n° 20-20.821 FS-PB : BRDA 1/22 inf. 15). La solution est transposable, par identité de texte, à la déclaration d’insaisissabilité portant sur un bien de l’entrepreneur autre que sa résidence principale (cf. art. L 526, al. 2).
Lorsque la déclaration d’insaisissabilité ou l’insaisissabilité de droit est opposable à la procédure collective, le bien concerné est hors procédure (cf. Cass. com. 13-3-2012 n° 10-27.087 F-D : D. 2012 p. 2202 obs. P.-M. Le Corre) et il ne peut pas être vendu dans le cadre de celle-ci pour apurer le passif (par exemple, Cass. com. 24-3-2015 n° 14-10.175 FS-PB : RJDA 6/15 n° 451). Mais les créanciers auxquels la déclaration n’est pas opposable – ceux dont la créance est née avant la publication de la déclaration ou avant l’insaisissabilité de plein droit ou ceux dont la créance n’est pas née à l’occasion de l’activité professionnelle du débiteur – peuvent saisir ce bien (Cass. com. 4-4-2016 n° 14-24.640 FS-PB : RJDA 7/16 n° 565 ; Cass. com. 13-9-2017 n° 16-10.206 F-D : RJDA 2/18 n° 169). L’administration fiscale le peut aussi en cas de manœuvres frauduleuses de l’entrepreneur ou d’inobservation grave et répétée par celui-ci de ses obligations fiscales (art. L 526-1, al. 3)
Le liquidateur judiciaire n’est toutefois pas complètement démuni. Il peut :
- contester l’insaisissabilité si le bien qu’il entend faire vendre n’était plus la résidence principale de l’entrepreneur lors de l’ouverture de la procédure collective (cf. Cass. com. 18-5-2022 n° 20-22.768 F-B : BRDA 12/22 inf. 11 ; Cass. com. 14-6-2023 n° 21-24.207 F-B : RJDA 11/23 n° 602) ;
- contester l’opposabilité de la déclaration parce qu’elle n’a pas été publiée régulièrement (Cass. com. 15-11-2016 n° 14-26.287 FS-PBI : RJDA 2/17 n° 120) ou ne l’a été qu’après l’ouverture de la procédure collective du déclarant (Cass. com. 10-3-2021 n° 19-21.971 F-P) ;
- demander l’annulation de la déclaration si cette dernière a été faite après la date de cessation des paiements de l’entrepreneur (art. L 632-1, I-13°) ou dans les six mois qui précèdent cette date (art. L 632-1, II).
Par ailleurs, l’entrepreneur peut renoncer à l’insaisissabilité (Cass. com. 17-11-2021 précité). La vente du bien peut aussi intervenir à la demande de l’entrepreneur et sur autorisation du juge-commissaire ou du tribunal lorsqu’elle facilite la réalisation des actifs relevant de la procédure (art. L 642-22, II).
2° L'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale a perdu de son intérêt depuis la scission du patrimoine de l'entrepreneur individuel, dans la mesure où, sauf exception, son patrimoine personnel (dont relève sa résidence principale) échappe à l'emprise de la procédure collective dont l'entrepreneur fait l'objet (H. Leyrat, L'insaisissabilité de la résidence principale de l'entrepreneur individuel a-t-elle encore un avenir ? : BRDA 3/24 inf. 30).
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