Une société exploitant un restaurant conclut avec un expert-comptable une lettre de mission qui détaille, dans un premier paragraphe intitulé « Nos prestations », les missions de l'expert-comptable en matière sociale, à savoir l'établissement des bulletins de paie et la gestion administrative d'événements occasionnels courants, tels que les entrées des salariés, les arrêts maladie ou de maternité, les accidents de travail. Un autre paragraphe intitulé « Votre bénéfice » est rédigé à la suite du premier dans les termes suivants : « vous gagnerez en temps et en tranquillité d'esprit dans un domaine particulièrement sensible [...] chaque fois que cela sera possible, nous veillerons à vous faire bénéficier des potentiels économiques proposés par la réglementation en vigueur ». Estimant ne pas avoir été informée par son expert-comptable de l'existence d'aides à l'embauche et en avoir été privée par sa faute, la société cliente engage sa responsabilité contractuelle et lui demande des dommages-intérêts.
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La cour d'appel de Versailles donne raison à la société.
La responsabilité civile des experts-comptables s'apprécie au regard de la mission qui leur a été confiée. Certes, la mesure d'aide à l'embauche ne rentrait pas dans la catégorie des événements occasionnels prévue au premier paragraphe de la lettre de mission, laquelle, signée en 2014, n'avait pu prévoir la survenance de la mesure d'aide à l'embauche proposée en 2016. Toutefois, le contenu du paragraphe intitulé « Votre bénéfice » ne pouvait pas être compris comme une information générale formulée à titre accessoire, non créatrice d'obligations, mais devait être compris comme une conséquence directe du choix du client de retenir les services de l'expert-comptable. Ce paragraphe, formulé comme un argument de vente, engageait l'expert-comptable à veiller à ce que son client bénéficie d'économies potentielles.
L'expert-comptable était tenu d'une obligation de moyens concernant les aides à l'embauche, dont il n'était pas contesté qu'elles présentaient un potentiel d'économies pour la société cliente. Or l'expert-comptable ne l'avait pas alertée sur l'existence des aides malgré plusieurs mises en demeure restées sans réponse de sa part. L'envoi d'un courriel adressé par un prestataire extérieur de l'expert-comptable après la mise en cause de sa responsabilité, qui consistait en une information générale sur les aides à l'embauche, ne suffisait pas à démontrer que l'expert-comptable s'était acquitté de son obligation.
Sans le manquement de l'expert-comptable à son obligation, la société cliente aurait pu bénéficier des aides à l'embauche, de sorte que l'absence de perception de celles-ci constitue un préjudice réparable dans son intégralité et non simplement une perte de chance. Par suite, l’expert-comptable a été condamné à verser le montant des aides à l’embauche perdu (environ 60 000 €).
A noter :
La présente décision devrait inciter les rédacteurs d'une lettre de mission à ne pas y inclure de contenu à caractère promotionnel qui pourrait se révéler générateur d'obligations.
Au-delà des termes de la lettre de mission, l'expert-comptable est tenu d'un devoir général de conseil et d'information (Cass. com. 12-7-1993 n° 91-17.592 : Bull. civ. IV n° 298 ; Cass. com. 17-3-2009 n° 07-20.667 FS-PB : Bull. civ. IV n° 40). Ainsi, un expert-comptable qui a reçu pour mission de rédiger les bulletins de paie et les déclarations sociales de son client a, compte tenu des informations qu'il doit recueillir sur le contrat de travail pour établir ces documents, une obligation afférente à la conformité de ce contrat aux dispositions légales et réglementaires (Cass. com. 17-3-2009, précité ; Cass. com. 29-9-2015 n° 14-16.245 F-D : RJDA 1/16 n° 38).