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La réticence dolosive d'une partie est sanctionnée même si l'autre a été négligente

L’erreur commise par l’acquéreur de droits sociaux à la suite d’une réticence dolosive du cédant est toujours excusable, même si l’acquéreur, aguerri, a négligé de s’informer sur la société avant l’achat.

Cass. com. 18-9-2024 n° 23-10.183 F-B


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©Getty Images

Après avoir acquis en 2019 l’intégralité des parts d’une société, l’acquéreur demande l’annulation de la cession pour réticence dolosive du cédant, se plaignant que celui-ci ne l’a pas averti de la situation financière dégradée de la société avant la cession.

Une cour d’appel rejette la demande : s'il n'est pas démontré que le cédant a informé l’acquéreur du passif social antérieur à la cession, il pesait sur l’acquéreur, qui prenait le contrôle de la société et disposait d’une expérience antérieure dans la gestion de sociétés, une obligation renforcée de se renseigner sur la situation de la société qu'il acquérait. En l'absence de toute démarche de l’acquéreur pour se renseigner sur la situation financière de la société, le silence du cédant sur l'existence de dettes et de contrats liant cette société à des tiers ne constitue pas une dissimulation volontaire de la situation financière de la société pouvant caractériser un dol.

La Cour de cassation censure cette décision : les motifs retenus par la cour d’appel, tirés de ce que l’acquéreur aurait dû se renseigner, avant la cession, sur la situation financière de la société, sont impropres à exclure l'existence d'une réticence dolosive, laquelle rend toujours excusable l'erreur provoquée.

A noter :

La portée de cet arrêt, rendu sous l’empire des dispositions du Code civil dans leur rédaction issue de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, s’étend au-delà des cessions de parts sociales ou d’actions.

L’annulation d’un contrat peut être prononcée en cas de dol commis par l’une des parties, c’est-à-dire lorsque celle-ci a obtenu le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges (C. civ. art. 1137, al. 1) ou lorsqu’elle a intentionnellement dissimulé à l’autre partie une information qu’elle savait déterminante pour celle-ci (art. précité, al. 2). Dans ce dernier cas, on parle de réticence dolosive. L'erreur qui résulte d'un dol est toujours excusable (art. 1139) et, affirme ici la Cour de cassation, il en est ainsi que l'on soit en présence d’un dol par manœuvres ou par réticence. Il est donc exclu qu’on puisse reprocher à la partie qui soutient avoir été victime d’un dol de ne pas s’être suffisamment renseignée avant la conclusion du contrat. En d’autres termes, l’intention de l’auteur du dol de tromper l’autre partie absorbe l’éventuelle négligence ou faute de celle-ci. 

Avant la réforme de 2016, en présence de textes moins explicites (C. civ. ex-art. 1116), la jurisprudence avait déjà retenue la notion de réticence dolosive et le caractère excusable de l’erreur causée par un dol. Mais la chambre commerciale de la Cour de cassation en avait fait une application évolutive. Dans un premier temps, elle avait jugé que l’erreur causée par des manœuvres ou des mensonges était toujours excusable (par exemple, pour des cessions de droits sociaux, Cass. com. 10-7-1989 n° 87-19.426 ; Cass. com. 3-7-2001 n° 98-17.274 F-D) mais qu’elle ne l’était pas nécessairement en cas de réticence dolosive (notamment, Cass. com. 20-5-2003 n° 99-17.232 FS-D :  RJDA 8-9/03 n° 836, reprochant à l’acquéreur agissant à titre professionnel de ne pas s’être renseigné par lui-même avant de s’engager). Dans un second temps, la chambre commerciale avait jugé que la réticence dolosive rendait toujours excusable l'erreur provoquée (Cass. com. 13-2-2007 n° 04-16.520 F-D et 13-3-2007 n° 05-21.564 F-D : RJDA 11/07 n° 1076 ; Cass. com. 8-3-2016 n° 14-23.135 F-D : RJDA 7/16 n° 508 ; Cass. com. 6-4-2022 n° 20-15.684 F-D), comme l’avaient fait d’autres chambres de la Haute Juridiction (Cass. 1e civ. 23-5-1977 n° 76-10.716 : Bull. civ. I n° 244 ; Cass. 3e civ. 21-2-2001 n° 98-20.817 FS-PBI : RJDA 5/01 n° 554).  

Sur ce point, le régime est donc identique que le contrat ait été conclu avant ou après le 1er octobre 2016 (date d’entrée en vigueur des articles 1137 et 1139 précités).

Document et lien associés : 

Cass. com. 18-9-2024 n° 23-10.183 F-B

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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