Une des ordonnances Macron du 22 septembre 2017 permet désormais aux partenaires sociaux des branches professionnelles de négocier sur la question des successions de contrats précaires (CDD et contrats de travail temporaire). L’objectif annoncé est d’assouplir le système existant, extrêmement rigide et peu appliqué. L’assouplissement des règles par la voie de la négociation de branche pourrait ainsi éviter à bien des employeurs d’être en infraction lorsqu’ils réembauchent un salarié sur un nouveau CDD ou un nouveau contrat de travail temporaire ! Avant de faire le point sur les assouplissements annoncés, faisons un retour sur le droit existant et sur ce que prévoit le Code du travail sur la question de la succession des contrats précaires.
Retour sur la règle posée par le Code du travail
Le principe est le suivant, et il concerne aussi bien les CDD que les contrats de travail temporaire : lorsqu’un contrat précaire se termine, l’employeur ou l’entreprise utilisatrice doit attendre un certain délai avant de pouvoir réembaucher le même salarié ou un autre salarié, sur le même poste, sur un nouveau CDD ou un nouveau contrat de travail temporaire.
À quoi sert cette règle ?
Elle a pour objet de rappeler aux employeurs que le contrat de travail à durée déterminée (ainsi que le contrat de travail temporaire), quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. En clair, le recours au CDD et aux contrats d’intérim est exceptionnel, il doit être lié à un besoin temporaire et déterminé, et ne pas correspondre à un besoin permanent… En quelque sorte, le fait de devoir respecter un délai de carence entre deux contrats oblige l’employeur à considérer que son besoin n’est pas permanent ! Le législateur protège l’employeur malgré lui…
Comment le délai de carence est-il calculé ?
Le délai de carence doit être calculé en tenant compte de la durée du contrat qui vient de se terminer, renouvellement(s) inclus. Il est égal au tiers de la durée du contrat si cette durée est de quatorze jours calendaires ou plus, ou à la moitié de la durée du contrat si la durée est inférieure à quatorze jours calendaires (les jours calendaires s’entendent du lundi au dimanche, ce sont tous les jours de la semaine, travaillés ou non).
Exemple 1 : pour un CDD qui a débuté le 1er mars et qui se termine, après deux renouvellements, le 30 mai, la durée totale du CDD est de 91 jours, le délai de carence sera donc de 91/3, soit 30,33 jours, arrondi à 31 jours.
Exemple 2 : pour un CDD qui a débuté le vendredi 1er décembre et qui s’achève le vendredi 29 décembre (renouvellements inclus), le délai de carence sera de 29/3, soit 9,66 jours, arrondi à 10 jours.
Exemple 3 : pour un CDD à temps partiel, le salarié travaillant lundi, mardi et vendredi, qui a débuté le 1er décembre et qui s’achève le vendredi 29 décembre (renouvellements inclus), le délai de carence sera de 29/3, soit 9,66 jours, arrondis à 10 jours.
Exemple 4 : pour un CDD de 12 jours calendaires (avec 2 renouvellements, hypothèse rare en pratique), le délai de carence doit être de 12/2, soit 6 jours.
Une fois réalisée cette première étape de calcul du délai de carence, il faut maintenant passer à la seconde étape, qui est celle de savoir à quelle date le nouveau contrat pourra démarrer…
À quelle date le nouveau contrat pourra-t-il démarrer ?Pour le savoir, le délai de carence doit être apprécié en jours d’ouverture de l’entreprise. Par jours d’ouverture, il faut entendre jours travaillés de l’entreprise, ou de l’établissement.
Exemple : Si le contrat s’est terminé le vendredi 17 novembre, et que le délai de carence est de 10 jours, le nouveau contrat pourra reprendre, selon les cas :
- le mardi 28 novembre, si l’entreprise est ouverte tous les jours,
- le jeudi 30 novembre, si l’entreprise est ouverte du lundi au samedi,
- le lundi 4 décembre si l’entreprise est ouverte du lundi au vendredi.
Les jours pris en compte sont toujours les jours d’ouverture de l’entreprise ou de l’établissement, quelle que soit la nature du contrat, à temps plein, ou à temps partiel, quels que soient les jours travaillés prévus au contrat, ou encore quel que soit le service dans lequel travaille le salarié, qui peut avoir des horaires différents de ceux de l’entreprise.
Exemple 1 : supposez un contrat qui se termine le vendredi 22 décembre, avec un délai de carence de 10 jours. L’entreprise est ouverte en principe du lundi au vendredi. Mais elle sera fermée le lundi 25 décembre et également le 26, ainsi que le 1er janvier et le 2 janvier. Le nouveau CDD pourra démarrer le vendredi 12 janvier au plus tôt.
Exemple 2 : un salarié travaille au service RH ouvert du lundi au vendredi, dans une usine agroalimentaire, ouverte 7 jours sur 7 (y compris les jours fériés). Le CDD s’est terminé le vendredi 22 décembre, avec un délai de carence de 10 jours. À vous de jouer : à quelle date pourra démarrer le nouveau CDD, le service RH étant fermé le 25 décembre et le 1er janvier ?
- le mardi 2 janvier ?
- Ou le mercredi 10 janvier ?
Vous ne vous y êtes pas trompés, la bonne réponse est le mardi 2 janvier, puisqu’on prend en compte les jours d’ouverture de l’entreprise, indépendamment du service dans lequel travaille le salarié !
Heureusement, dans certains cas, l’employeur n’est pas tenu de respecter ce délai de carence, la loi prévoyant quelques exceptions.
Quelles sont les exceptions au respect du délai de carence ?
Le Code du travail prévoit quelques situations qui exonèrent l’employeur de l’application du délai de carence. Autrement dit, quelques situations permettent à l’employeur de refaire un nouveau CDD ou un nouveau contrat d’intérim, immédiatement après la fin du précédent.
Ces situations sont les suivantes :
- lorsque le contrat est conclu pour assurer le remplacement d'un salarié temporairement absent ou dont le contrat de travail est suspendu, en cas de nouvelle absence du salarié remplacé ;
- lorsque le contrat est conclu pour l'exécution de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité ;
- lorsque le contrat est conclu pour pourvoir un emploi saisonnier ou pour lequel il est d'usage constant de ne pas recourir au CDI ;
- lorsque le contrat est conclu pour assurer le remplacement d'un chef d'entreprise, d'une personne exerçant une profession libérale, de son conjoint participant à l'activité de l'entreprise ou d'un associé non salarié ou de toute autre personne exerçant une profession libérale ; ou le remplacement du chef d'une exploitation agricole, d'un aide familial, d'un associé d'exploitation, ou de leur conjoint, dès lors qu'il participe effectivement à l'activité de l'exploitation agricole ou de l'entreprise ;
- lorsque le CDD est conclu dans le cadre des contrats liés à la politique de l’emploi ;
- lorsque le salarié est à l'initiative d'une rupture anticipée du contrat ;
- lorsque le salarié refuse le renouvellement de son contrat, pour la durée du contrat non renouvelé.
Quel est l’apport de l’ordonnance du 22 septembre sur ces règles légales ?
Il est désormais possible de prévoir d’autres règles de calcul du délai de carence et d’autres exceptions, par accord de branche étendu. Ces accords primeront désormais sur le Code du travail, même s’ils sont moins stricts et donc plus souples pour les employeurs.
À la différence des autres mesures des ordonnances Macron, en matière de CDD et de contrat de travail temporaire, la négociation au niveau des branches prime sur la négociation des accords d’entreprise. Mais attention, pour être applicable, l’accord de branche devra avoir été étendu par le ministère du travail. En l’absence d’accord étendu, et de ces dispositions spécifiques, les règles du Code du travail continueront de s’appliquer…
Qu’est-ce qu’un accord de branche étendu ?
Un accord de branche étendu est un accord collectif négocié entre des organisations syndicales d’employeurs et de salariés, au niveau des branches professionnelles, et qui a été étendu par le ministère du travail à l’ensemble des entreprises du secteur d’activité. Dès lors que l’accord est étendu, il a vocation à s’appliquer dans toutes les entreprises du secteur concerné. Pour en savoir plus sur l’accord de branche cliquez ici.
En pratique, que va-t-il donc se passer ?
Les partenaires sociaux pourront négocier pour déterminer la durée du délai de carence applicable entre chaque CDD ou contrat de mission. Un accord de branche étendu pourra prévoir par exemple que le délai de carence sera calculé sur la base de 1/4 de la durée du CDD venu à expiration, voire moins ! L’accord de branche pourra aussi prévoir d’autres exceptions permettant de ne pas appliquer ce délai, et les cas de recours pour lesquels ce délai ne sera pas applicable.
En revanche, sur l’appréciation du délai, il devra toujours être apprécié en jours d’ouverture de l’entreprise, sur ce point, les branches ne pourront pas être plus souples. Affaire à suivre…
Reste à savoir quel sera le réel impact de ces mesures sur la négociation de branche… Il est un peu tôt pour le dire, 3 mois après la parution de l’ordonnance. Certaines branches ont déjà annoncé qu’elles allaient s’engager dans cette négociation. Mais entre le temps de négociation et la procédure d’extension, qui n’est pas immédiate, cela laisse encore de beaux jours au délai de carence légal !
Par Anne LE NOUVEL, Rédactrice en chef Rocket Lawyer France et professeur associé des Universités au Cnam