Une société d’aménagement d’économie mixte conclut un marché de travaux de fourniture de pose de pierres naturelles d’une durée de 40 mois dont 23 pour une tranche ferme, et 11 et 6 mois pour deux tranches conditionnelles. Malgré un ordre de service du démarrage des travaux de la tranche ferme, les travaux ne sont pas réalisés. L’entreprise dénonce la caducité du marché et adresse un décompte final au maître de l’ouvrage. Ce dernier le refuse et notifie à l’entreprise sa décision de résilier le marché pour un motif d’intérêt général.
L’entreprise saisit la juridiction administrative, mais le Conseil d’État juge que le litige ne relève pas de la compétence de cette juridiction. Le différend est porté devant les tribunaux judiciaires.
La cour d’appel estime que la résiliation est justifiée par un motif d’intérêt général. Le pourvoi soutient que le motif d’intérêt général comme condition de validation de la résiliation est une clause exorbitante du droit commun que le juge devait écarter. Il énonce également que la cour d’appel s’est déterminée par des motifs impropres à caractériser le motif d’intérêt général.
Le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation relève que le moyen tiré du caractère exorbitant de la clause autorisant le maître d’ouvrage à résilier le marché pour motif d’intérêt général est irrecevable car il n’a pas été soutenu devant les juges du fond et se bornait à contester le motif d’intérêt général. La Cour ajoute que le motif d’intérêt général a été souverainement apprécié par la cour d’appel.
A noter :
L’intérêt de cet arrêt est moins dans sa solution que dans le cas d’espèce qu’il juge. La résiliation d’un marché pour un motif d’intérêt général concerne le droit des marchés publics et peut être prononcée par le maître de l’ouvrage, même en l’absence de faute de l’entrepreneur (CCP art. L 2195-3). Celui-ci a droit à une indemnité, qui est en général prévue par le contrat, ce qui était le cas en l’espèce. On ignore pour quelle raison le Conseil d’État a écarté la compétence de la juridiction administrative, mais du moment que l’affaire a été portée devant une juridiction de l’ordre judiciaire, celle-ci devait appliquer les règles compatibles avec celles du droit privé. Le caractère exorbitant de la clause de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général aurait pu donner lieu à discussion, mais la question n’a pas été posée aux juges du fond. Au demeurant, si la résiliation pour motif d’intérêt général est une particularité des marchés publics, elle n’est pas incompatible avec le droit des marchés privés et il est possible, à notre avis, de stipuler une clause inspirée de cette règle dans le contrat ; il se peut d’ailleurs que le maître de l’ouvrage résilie unilatéralement le contrat sans imputer une faute du constructeur.
La résiliation, si elle n’est pas motivée, peut être fautive et justifier une réparation judiciaire du préjudice subi par le cocontractant ou être conforme à des prévisions contractuelles et donner lieu à une indemnisation généralement conventionnelle… Resterait la question de l’importance de la réparation. En cas de résiliation du marché public pour un motif d’intérêt général, l’indemnité doit être proportionnée au préjudice (CE 4-5-2011 n° 334280, Chambre de commerce et d'industrie de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan : RJDA 2/12 n° 158). Il en serait probablement de même en droit privé. Cette question n’était pas soulevée dans le litige. Sans doute, toute indemnité tient compte du préjudice subi. Mais le préjudice indemnisable n’est pas nécessairement le même selon que la résiliation unilatérale repose ou non sur un motif pertinent… Le motif d’intérêt général est-il propre aux marchés publics ou peut-il être étendu aux marchés privés au moins dans certains cas ? Le pouvoir d’appréciation donné au juge du fond en ce domaine, associé à son appréciation du préjudice, est probablement une bonne chose.
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