Droit pénal général
Classement sans suite et ne bis in idem : éclairage de la CJUE
Consacré à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le principe ne bis in idem « doit être interprété en ce sens qu’une personne ne peut être considérée comme ayant été définitivement acquittée, au sens de cet article 50, en conséquence d’une ordonnance de classement sans suite adoptée par un parquet en l’absence d’examen de la situation juridique de cette personne en tant que responsable, sur le plan pénal, des faits constitutifs de l’infraction poursuivie ».
C’est ce qui ressort d’un arrêt du 25 janvier 2024 dans lequel la Cour de justice de l’Union européenne rappelle qu’une personne ne peut être considérée comme ayant fait l’objet d’un « jugement pénal définitif » pour les faits qui lui sont reprochés, au sens de l’article 50, que si la décision a été rendue à la suite d’une appréciation portée sur le fond de l’affaire concernée. Dans l’hypothèse d’une décision fondée sur une absence ou une insuffisance de preuves, cela implique qu’elle ait été précédée d’une instruction approfondie incluant notamment l’audition de la victime et des éventuels témoins, précise la Cour. (CJUE, 25-01-2024, aff. C‑58/22, Parchetul de pe lângă Curtea de Apel Craiova)
Droit pénal international
Extradition et peine de mort : garanties exigées !
Il résulte des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 696-15 du code de procédure pénale que lorsque la peine de mort est encourue à raison des faits pour lesquels l'extradition est demandée, il appartient à la chambre de l'instruction de s'assurer que l'Etat requérant prend l'engagement dénué de toute ambiguïté que cette peine ne sera pas appliquée à la personne réclamée. Par conséquent, des considérations générales relatives à l'existence d'un moratoire sur l'application de la peine de mort depuis trente ans dans l'Etat requérant et à des engagements internationaux renouvelés de cet Etat en ce sens, que la chambre de l'instruction qualifie elle-même de symboliques, ne peuvent fonder le rejet du moyen pris de l'absence de garantie effective donnée par les autorités requérantes de non-application de la peine de mort à la personne réclamée. (Crim. 30-01-2024, n° 23-83.549 F-B)
Droit pénal spécial
Loi Immigration : le volet pénal
La loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (L. n° 2024-42 du 26-01-2024) contient plusieurs dispositions de droit pénal visant, d’une part, à sanctionner les séjours irréguliers et, d’autre part, à éloigner les étrangers qui ont fait l’objet d’une condamnation pénale.
Plusieurs infractions ou circonstances aggravantes sont ainsi créées. Un crime, notamment, défini comme « le fait de diriger ou d’organiser un groupement ayant pour objet la commission des infractions de facilitation à la circulation ou au séjour d’étranger en situation irrégulière », puni de vingt ans de réclusion criminelle et 1 500 000 € d’amende (CESEDA, art. L. 823-3-1). Le délit de séjour irrégulier, que les sénateurs souhaitaient faire renaître de ses cendres, a été considéré comme un cavalier législatif par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 25-01-2024, n° 2023-863 DC).
La peine d’interdiction de territoire est généralisée et pourra être prononcée pour tous les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à trois ans (pour en savoir plus, V. T. SCHERER, Le volet pénal de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration : punir et éloigner, D. actu. 31-01-2024).
Affaire Ramadan : rejet de la requête par la CEDH
La Cour européenne des droits de l'homme a déclaré irrecevable la requête de l’islamologue Tariq Ramadan, qui contestait sa condamnation pénale pour diffusion de l’identité de la victime présumée d'un viol pour lequel il est mis en examen. La Cour relève que les juridictions nationales ont clarifié la notion de « victime » selon la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en précisant qu'une autorisation écrite de la personne ayant porté plainte aurait pu lever l'obligation de secret. Elles ont par ailleurs pris en compte à la fois le droit du requérant à la libre d'expression (garanti par l’art. 10 de la Convention) pour se défendre publiquement et le besoin de la victime de s’exprimer sur les faits, et par là même de révéler des éléments permettant de l’identifier. Dès lors, l’ingérence dans la liberté d’expression du requérant était proportionnée au but légitime poursuivi. (CEDH, 01-02-2024, req. n° 23443/23, Ramadan c. France)
Procédure pénale
Perquisition en cabinet d’avocat : questions de droit(s)
Dans un arrêt rendu le 30 janvier, la Cour de cassation indique que le délai de 5 jours ouvert au juge des libertés et de la détention pour statuer sur la contestation de la saisie d'un document à l'occasion d'une perquisition dans le cabinet d'un avocat (C. pr. pén., art. 56-1) n’est pas prescrit à peine de nullité. Par ailleurs, en l'absence de toute disposition expresse et en considération du très bref délai imparti à ce magistrat pour se prononcer, les convocations adressées à l'avocat au cabinet ou au domicile duquel la perquisition a été effectuée, au bâtonnier ou son délégué, peuvent l'être par tout moyen. À ce titre, la Cour estime ainsi qu’une lettre simple et des messages téléphoniques suffisent. (Crim. 30-01-2023, n° 23-82.058 F-B)
CRPC et excès de pouvoir
Aucun texte n'envisageant la possibilité d'un recours du procureur de la République contre l'ordonnance d'homologation des peines proposées sur sa requête dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), un pourvoi en cassation contre une telle décision n'est possible que si son examen fait apparaître un risque d'excès de pouvoir relevant du contrôle de la Cour de cassation. Il en est ainsi lorsque le juge délégué homologue une proposition de peines en répression de faits de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours par le conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité et par une personne agissant en état d'ivresse manifeste, faisant encourir au prévenu une peine de sept ans d'emprisonnement. En effet, les délits d'atteintes volontaires et involontaires à l'intégrité des personnes et d'agressions sexuelles prévus aux articles 222-9 à 222-31-2 du code pénal sont exclus du champ d'application de la CRPC lorsqu'ils sont punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à 5 ans. (Crim. 30-01-2023, n° 23-84.773 F-B)
Peine et exécution des peines
Sursis probatoire : il est interdit d’interdire de quitter le territoire !
Doit être cassé l’arrêt qui, sur le fondement de l'article 132-45, 9°, du code pénal, a prononcé à l’encontre du condamné une peine d’interdiction de quitter le territoire national. Cette peine n’est en effet pas prévue par la loi, puisqu’elle ne figure pas parmi la liste exhaustive que dresse l’article 132-45 quant aux obligations dont la juridiction de condamnation peut imposer spécialement le respect à la personne condamnée à une peine assortie du sursis probatoire. (Crim. 31-01-2024, n° 23-81.704 F-B)
Cumul de peines : non-rétroactivité de la loi du 30 juillet 2020
Une cour d’appel ne peut condamner à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, ainsi qu’à des peines complémentaires de cinq ans d'interdiction de séjour et de trois ans d'interdiction d'entrer en contact avec la victime, le prévenu coupable de harcèlement moral aggravé et de non-respect d'une ordonnance de protection, dès lors que les faits ont été commis entre avril et septembre 2019. En effet, la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, dont est issu l’article 131-6, dernier alinéa, du code pénal, qui permet un tel cumul de peines impossible auparavant et est, en cela, plus sévère que le droit antérieur, ne peut recevoir application que pour les faits commis après son entrée en vigueur, le 1er août 2020. (Crim. 31-01-2024, n° 22-86.821 F-B)
Pour aller plus loin : voir la revue AJ pénal