1. Une société civile de portefeuille créée entre un père (500 parts), une mère (499 parts) et une indivision composée de leurs trois enfants (1 part) acquiert 75 % des parts d’une SCI, les parts restantes étant réparties entre les trois enfants. La gérance de la SCI est confiée à la société civile représentée par le père. À la suite du divorce des parents, des différends importants opposent le père aux autres membres de la famille.
Notamment, l’ex-épouse et ses fils demandent l’annulation d’assemblées de la société de portefeuille, dénonçant le non-respect des modalités de convocation des associés prévues par les statuts et le refus du gérant de prendre en compte un mandat de représentation de l’indivision.
Saisie du litige, la cour d’appel de Paris rejette leur demande (CA Paris 1-3-2018 n° 15/07467).
Envoi des convocations à une mauvaise adresse
2. L’adresse à laquelle les convocations avaient été expédiées était celle du domicile familial et même si cette adresse n’était plus actuelle, et à supposer que le gérant l’ait su, il avait pu sans fraude ni malveillance continuer à faire usage de l’ancienne adresse, pensant que son ex-épouse et ses fils feraient réexpédier leur courrier. En outre, cette ancienne adresse est celle qui figure pour l’ex-épouse dans l’assignation et le jugement de divorce prononcé après la tenue de l’assemblée. Seule la signification de ce jugement a été faite à sa nouvelle adresse. Surtout, aucun d’eux n’affirme avoir informé officiellement la société de leur changement d’adresse.
3. Il a déjà été jugé que la convocation envoyée à l’un des associés par lettre recommandée AR est régulière, même si elle a été retournée avec la mention « n’habite plus à l’adresse indiquée », dès lors que la lettre a été envoyée à l’adresse que l’associé avait lui-même indiquée dans ses courriers adressés à la société avant et après cette convocation (Cass. com. 29-10-2003 n° 00-17.358 : RJDA 3/04 n° 309, rendu à propos d’une société en nom collectif mais transposable à une société civile).
Convocation irrégulière des indivisaires
4. Le fait que l’indivision ait fait l’objet d’une unique convocation et qu’une convocation individuelle n’ait pas été envoyée aux enfants était indifférent, estime la cour d’appel : dans leurs rapports avec la société civile, les indivisaires s’étaient longtemps exprimés par le biais de l’indivision avec une adresse unique et, lorsqu’ils avaient souhaité être convoqués individuellement, ils l’avaient été. En tout état de cause, même si des convocations individuelles avaient été envoyées, elles auraient été adressées au domicile familial où les intéressés prétendent qu’ils n’auraient pas pu les réceptionner.
5. Dans les sociétés civiles, contrairement aux sociétés anonymes, aucune disposition législative ne prévoit la convocation individuelle des indivisaires de parts sociales aux assemblées générales. Néanmoins, elle s’impose, à notre avis, en raison de la qualité d’associé reconnue à chaque indivisaire, y compris si les indivisaires ont déjà désigné un mandataire unique pour les représenter. En l’espèce, les statuts renvoyaient aux dispositions de l’article 40, al. 1 du décret 78-704 du 3 juillet 1978 pour les modalités de convocation et cet article prévoit la convocation des « associés » de société civile sans aucune restriction. La convocation permet également à chacun des indivisaires de prendre connaissance de l’ordre du jour de l’assemblée et de définir, en accord avec les autres, les consignes de vote à donner au mandataire.
Défaut de respect du délai de convocation
6. Au cas particulier, les convocations portaient la date du 4 avril, mais elles n’avaient été expédiées par La Poste que le 5 avril pour une assemblée générale devant se tenir le 19 avril.
Or, rappelle la cour d’appel, pour calculer le délai de convocation de quinze jours au moins avant la date de la réunion (Décret du 3-7-1978 art. 40, al. 1), le jour d’envoi de la convocation ne compte pas, mais le jour de la tenue de l’assemblée doit être pris en compte (Cass. com. 11-1-2005 n° 02-14.118 F-D : BPAT 2/05 inf. 61). Le délai de convocation court à compter de la date d’envoi de la lettre et non pas à compter de la date de réception de celle-ci (Cass. ch. mixte 16-12-2005 n° 04-10.986 P : BPAT 2/06 inf. 69). Le délai de quinze jours n’avait donc pas été respecté.
Ceci étant, la violation des dispositions relatives aux modalités de convocation des associés de société civile n’est sanctionnée par la nullité qu’en cas de grief (Cass. ch. mixte 16-12-2005 n° 04-10.986 P, précité). Or, les intéressés ne démontraient pas que le non-respect du délai leur avait causé un grief, d’autant qu’ils critiquaient surtout le fait que les convocations avaient été envoyées à une adresse où ils n’habitaient plus et ne pouvaient pas les recevoir. La cour d’appel refuse donc d’annuler l’assemblée.
Représentation des indivisaires aux assemblées
7. Au cours d’une assemblée générale extraordinaire ultérieure, le gérant avait exclu du vote l’indivision de ses enfants en contestant la validité d’un mandat donné par le fils aîné, placé en liquidation judiciaire, à l’un de ses frères. Le mandat mentionnait l’identité du mandant et du mandataire et la propriété indivise d’une part de la société civile.
La cour d’appel de Paris a admis la validité de ce mandat pour les motifs suivants :
– le pouvoir, qui faisait expressément référence aux assemblées générales ordinaire et extraordinaire devant se tenir à une date déterminée, constituait un mandat par lequel le fils aîné avait expressément demandé à l’un de ses frères, dont l’acceptation avait pu être tacite et résulter de l’exécution du mandat, de voter pour son compte toutes les résolutions de l’assemblée, tant ordinaire qu’extraordinaire ;
– le droit de vote constitue un acte d’administration, peu important la nature de la décision soumise aux suffrages de la collectivité des associés ; en décidant que le liquidateur judiciaire devait autoriser toutes les résolutions comportant des actes de disposition et qu’ainsi le mandat n’autorisait pas l’indivision à voter les résolutions de l’assemblée générale extraordinaire, le gérant puis le tribunal qui a entériné la distinction entre les actes d’administration et les actes de disposition ont méconnu le caractère exprès du mandat donné et la différence existant entre la personne morale de la société et la personne physique que constitue l’associé.
8. La décision de la cour d’appel est critiquable en ce qu’elle affirme que le droit de vote est toujours un acte d’administration. En effet, l’exercice du droit de vote constitue, selon l’ordre du jour et les résolutions prises par l’assemblée, un acte d’administration ou de disposition (Cass. com. 16-11-2004 n° 01-10.666 F-D : BPAT 1/05 inf. 16, rendu à propos d’une société anonyme mais transposable). En conséquence, si la décision à prendre comporte des résolutions conduisant à un acte de disposition (réduction du capital, dissolution de la société, fusion, scission, etc.), les indivisaires doivent, à notre avis, donner un mandat spécial pour cette assemblée. On peut néanmoins se demander si un tel mandat n’avait pas été donné en l’espèce.
9. En affirmant que le droit de vote constitue un acte d’administration peu important la nature de la décision à prendre, la cour d’appel semble se référer au droit des incapacités qui, avant la réforme de 2008, considérait dans tous les cas le droit de vote comme un acte d’administration.
Désormais, l’annexe 2 du décret 2008-1484 du 22 décembre 2008 range le vote des décisions collectives tantôt dans les actes d’administration, tantôt dans les actes de disposition, et énumère plusieurs décisions qui sont présumées constituer des actes de disposition (reprise des apports, modification des statuts, prorogation et dissolution, vente d’un élément d’actif immobilisé, aggravation des engagements des associés, etc.), sauf circonstances d’espèce permettant de considérer qu’elles n’ont que de faibles conséquences sur la valeur du patrimoine du mineur, sur ses prérogatives ou sur son mode de vie.
Même si la distinction entre actes de disposition et d’administration se retrouve en matière d’indivision, on ne peut pas, selon nous, déterminer l’étendue du mandat du représentant des indivisaires en se référant à des textes spécifiques aux personnes protégées (dans le même sens, E. Naudin, Décret du 22 décembre 2008 : retour sur la distinction entre les actes d’administration et les actes de disposition : Bull. Joly sociétés 2009 p. 534).
10. Signalons enfin qu’il importait peu que le fils aîné ait été en liquidation judiciaire dès lors que le débiteur en liquidation judiciaire n’est pas dessaisi de l’exercice des droits liés à sa qualité d’associé et donc du droit de participer aux décisions collectives (Cass. com. 18-10-2011 n° 10-19.647 FS-PB : BPAT 1/12 inf. 58).
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