La chambre sociale de la Cour de cassation précise, pour la première fois à notre connaissance, les effets de la situation irrégulière d’un travailleur étranger sur la poursuite de son contrat de travail à la suite de la perte, par son ancien employeur, du marché sur lequel il était affecté. Et ils sont simples : faute d’autorisation de travail valide à la date de la reprise du marché, l’intéressé ne peut pas prétendre à l’application des dispositions conventionnelles prévues en cas de changement de prestataire de services.
A noter : Bien que rendue en application de la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités, la présente solution est applicable à tous les secteurs d’activité dans lesquels des dispositions conventionnelles régissent le transfert des contrats de travail en cas de changement de titulaire d’un marché.
Le salarié étranger en situation irrégulière à la date du transfert...
Dans cette affaire, un salarié, ressortissant d’un État tiers à l’Union européenne, a été engagé en qualité d’employé polyvalent de restauration sans toutefois détenir l’autorisation de travail requise pour exercer une activité salariée en France. Son employeur ayant perdu le marché sur lequel il était affecté, l’intéressé pensait malgré tout voir son contrat de travail transféré chez le nouveau prestataire, conformément à l’avenant n° 3 à la convention collective du personnel des entreprises de restauration de collectivités. Tel n’a pas été le cas, l’entreprise entrante ayant refusé de le reprendre à son service.
Le travailleur étranger a donc saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts du nouveau titulaire du marché. Débouté par la cour d’appel de Bordeaux, il s’est alors pourvu en cassation en invoquant deux arguments.
Il se fondait, tout d’abord, sur l’article 3 de la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 garantissant le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprise et sur l’article L 8252-1 du Code du travail disposant que le salarié étranger employé irrégulièrement est assimilé, à compter de la date de son embauche, à un salarié régulièrement engagé dans certains domaines. Selon lui, compte tenu de la protection accordée par le droit européen en la matière, le fait que l’article L 8252-1 précité ne vise pas explicitement les règles régissant le transfert des contrats de travail était sans importance sur son application.
Le demandeur relevait ensuite que toutes les conditions prévues par l’avenant n° 3 à la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités étaient remplies. L’obligation de reprendre les salariés affectés sur le marché n’étant assortie d’aucune autre condition, le nouveau prestataire de services était donc tenu de poursuivre tous les contrats de travail en cours à la date de la reprise du marché en question. Autrement dit, le texte conventionnel ne subordonnant pas son application à la régularité du titre de séjour du travailleur, le salarié étranger devait nécessairement voir son contrat de travail transféré dans la nouvelle entreprise.
... ne peut pas imposer au nouvel employeur la poursuite de son contrat
Telle n’est pas la position de la chambre sociale de la Cour de cassation qui donne raison aux juges du fond et rejette en conséquence le pourvoi du salarié étranger.
D’une part, l’article L 8252-1 du Code du travail ne prévoit l’assimilation d’un étranger non muni d’une autorisation de travailler en France à un salarié régulièrement engagé qu’au regard de certaines règles limitativement énumérées par la loi (durée du travail, droit au repos, santé et sécurité au travail, ancienneté, etc.). Or, les dispositions régissant le transfert des contrats de travail ne figurent pas dans cette liste, comme le relève la Cour de cassation.
D’autre part, cette dernière rappelle que l’article L 8251-1 du Code du travail interdit à tout employeur d’embaucher, de conserver à son service ou d’employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. Ces dispositions ont d’ailleurs été jugées d’ordre public par la Cour de cassation dans un arrêt important rendu en 2017. À l’époque, elle les avait fait primer sur les dispositions légales protectrices de la femme enceinte prévues à l’article L 1225-4 du Code du travail (Cass. soc. 15-3-2017 n° 15-27.928 FS-PBRI).
Suivant le même raisonnement, le juge suprême ne pouvait donc qu’écarter l’application des dispositions conventionnelles régissant la poursuite des contrats de travail en cas de reprise d’un marché dans le secteur de la restauration de collectivités.
Guilhem POSSAMAÏ
Pour en savoir plus sur le transfert de contrat de travail prévu par accord collectif : Voir Mémento Social n° 75030