Depuis l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, l'article L 1235-3 du Code du travail fixe un barème de l'indemnité à la charge de l'employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le montant est compris entre un minimum et un maximum, variant en fonction de l'ancienneté du salarié, avec un maximum de 20 mois de salaire pour les salariés ayant au moins 30 ans d'ancienneté..
Le conseil de prud'hommes du Mans puis celui de Troyes sont, à notre connaissance, les premiers juges du fond à avoir eu à se prononcer sur la conventionnalité de ce barème. Etait ainsi examinée sa conformité à :
- l’article 10 de la convention 158 de l’OIT, selon lequel, si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » ;
- l’article 24 de la charte sociale européenne qui prévoit que, « en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motifs valables à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
Les deux conseils de prud’hommes sont d'accord pour admettre que l’article 10 de la convention 158 de l’OIT a un effet direct "horizontal" permettant à un salarié de l’invoquer directement dans un litige l’opposant à son employeur.
En revanche, contrairement au conseil de prud'homme du Mans, celui de Troyes admet également cet effet pour l’article 24 de la charte sociale européenne, se référant expressément à la décision rendue en ce sens par le Conseil d’Etat (CE 10-2-2014 n° 358992 : RJS 5/14 n° 436).
Les décisions rendues par ces deux juridictions sont diamétralement opposées puisque le conseil de prud'hommes du Mans juge le barème conforme aux conventions internationales alors que le conseil de prud'hommes de Troyes, suivi ensuite par ceux d'Amiens et de Lyon, écarte son application.
L'application du barème d’indemnités écartée par le conseil de prud'hommes de Troyes...
Le conseil de prud’hommes de Troyes juge, à l’inverse du juge du Mans, que le barème d’indemnités est contraire à la convention précitée de l’OIT et ajoute qu’il viole, par ailleurs, la charte sociale européenne. Il retient deux arguments à l’appui de cette décision.
D’une part, le juge considère que l’article L 1235-3 du Code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi.
D’autre part, il estime que ce barème ne permet pas non plus d’être dissuasif pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié et qu’il est donc en porte-à-faux avec une décision du comité européen des droits sociaux (CEDS), organe en charge de l’interprétation de la charte. Celui-ci a en effet jugé que la loi finlandaise fixant un plafond de 24 mois d’indemnisation était contraire à ce texte (CEDS 8-9-2016 n° 106/2014).
Le conseil de prud’hommes en conclut que ce barème sécurise davantage les fautifs que les victimes et est inéquitable.
Cette décision fait écho à la position de certains auteurs qui ont exprimé, dès l’adoption des ordonnances, leur doute quant à la conventionnalité d’un tel référentiel obligatoire (par exemple : J. Mouly, Le plafonnement des indemnités de licenciement injustifié devant le comité européen des droits sociaux : une condamnation de mauvais augure pour la « réforme Macron » : Droit social p. 745 ; C. Percher, « Le plafonnement des indemnités de licenciement injustifié à l'aune de l'article 24 de la charte sociale européenne révisée » : Revue de droit du travail p. 726).
Dans l’espèce jugée par le conseil de prud'hommes de Troyes, l’application du barème est donc écartée. Le salarié ayant obtenu la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur s’est vu accorder 9 mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ayant 2 ans d’ancienneté, il n’aurait pu prétendre au maximum, en application de ce barème, qu’à une indemnité de 3,5 mois de salaire.
... puis par ceux d'Amiens et de Lyon
Les conseils de prud’hommes d’Amiens et de Lyon ont ensuite écarté à leur tour l’application du barème d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans une décision du 19 décembre 2018, le juge d’Amiens estime que l’indemnité de 0,5 mois de salaire à laquelle le salarié pouvait prétendre en application de ce barème, compte tenu de sa faible ancienneté et de l’effectif de l’entreprise inférieur à 11 salariés, ne peut être considérée comme étant appropriée et réparatrice de son licenciement abusif. Il en conclut que notre droit est contraire à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT signée par la France.
Dans une décision rendue 2 jours plus tard, le conseil de prud’hommes de Lyon, sans même faire expressément référence au barème, accorde à un salarié, dont le contrat avait été abusivement rompu au bout d’un seul jour, une indemnité égale à 3 mois de salaire. Il juge en effet que l’indemnisation doit être évaluée à la hauteur du préjudice subi conformément à l’article 24 de la charte sociale européenne.
Incertitude juridique pour les employeurs
A notre connaissance, seul le conseil de prud’homme du Mans a, à ce jour, conclu à la conformité du barème à l'article 10 de la convention 158 de l'OIT
Il a jugé que l'indemnité prévue au barème a vocation à réparer le préjudice résultant de la seule perte injustifiée de l'emploi et que, si l'évaluation des dommages-intérêts est encadrée entre un minimum et un maximum, il appartient toujours au juge, dans les bornes du barème ainsi fixé, de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu'il se prononce sur le montant de l'indemnité (notamment l'âge et les difficultés à retrouver un emploi, après des années passées au sein de la même entreprise).
Il a ensuite relevé que le barème n'est pas applicable aux situations où le licenciement intervient dans un contexte de manquement particulièrement grave de l'employeur à ses obligations, comme c'est le cas lorsque le licenciement est entaché de nullité résultant notamment de la violation d'une liberté fondamentale, de faits de harcèlement moral ou sexuel, d'une atteinte à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou de l'exercice d'un mandat par un salarié protégé.
En pratique : alors que le barème obligatoire d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse était présenté comme l’une des mesures devant sécuriser les ruptures du contrat de travail, les premières décisions rendues par les juges du premier degré placent les employeurs dans l'incertitude. On attendra donc avec intérêt les décisions des juges du second degré. Rappelons que le CEDS a par ailleurs été saisi par une confédération syndicale d’une question relative à la conformité de ce référentiel à la charte sociale européenne.