Le Conseil d’Etat a décidé, par une décision du 25 juin 2020, de sursoir à statuer dans un, litige suivi par notre cabinet qui oppose la société Icade promotion logement à l’administration fiscale, pour soumettre à la Cour de justice deux questions préjudicielles concernant la portée du régime de la marge en matière de TVA immobilière.
Cette affaire, dont les faits sont antérieurs à la réforme des règles de TVA immobilière issue de la loi de finances rectificative n°2010-237 du 9 mars 2010, concerne le régime applicable à la revente à des particuliers, après leur division parcellaire et leur viabilisation de terrains également acquis auprès de particuliers.
Considérant qu’elle avait, à tort, soumis ces opérations au régime de la TVA sur la marge suivant le régime dit « des marchands de biens » alors applicable sur le fondement des dispositions combinées des articles 257 6° et 268 du Code général des impôts (CGI), la société avait réclamé la restitution des sommes en cause.
Le contentieux se cristallise autour d’une divergence d’interprétation de l’article 392 de la Directive TVA, reprenant lui-même les dispositions de l’article 28 §3 f) de la sixième directive, et transposé en droit interne à l’article 268 du CGI.
Cette disposition autorise les Etats membres à prévoir que la base d'imposition des livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir, achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat.
En l’occurrence, la société soutient, à l’appui de sa demande de restitution, que les cessions de terrain ne relevaient, sous l’empire de la réglementation applicable avant la réforme, ni du régime de la TVA immobilière (CGI, art. 257 7) dès lors que l’acquisition était réalisée par des particuliers en vue de la construction d’immeubles à usage d’habitation, ni du régime des marchands de biens soumis à la TVA sur marge.
Dans sa décision du 25 juin 2020, le Conseil d’Etat, estimant que le litige soulève des difficultés sérieuses d’interprétation, a décidé de sursoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) des questions préjudicielles suivantes :
1. L’article 392 de la directive du 28 novembre 2006 doit-il être interprété comme réservant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition a été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit d’opérer la déduction de cette taxe ? Ou permet-il d’appliquer ce régime à des opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition n’a pas été soumise à cette taxe, soit parce que cette acquisition ne relève pas du champ d’application de celle-ci, soit parce que, tout en relevant de son champ, elle s’en trouve exonérée ?
2. L’article 392 de la directive du 28 novembre 2006 doit-il être interprété comme excluant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses suivantes :
- lorsque ces terrains, acquis non bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir ;
- lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux (voirie, eau potable, électricité, gaz, assainissement, télécommunications) ?
L’interprétation de la CJUE sera d’autant plus attendue que le Conseil d’Etat a récemment jugé dans une affaire Promialp du 27 mars 2020 que le régime de la marge ne s’applique pas à la cession d’un terrain à bâtir qui, lors de son acquisition, avait le caractère d’un terrain bâti, mais qui est cédé après démolition du bâtiment qui y était édifié.
Bien que la question soumise à la Cour soit circonscrite au cas de terrains nus vendus après division parcellaire et travaux de viabilisation, il est vraisemblable que les réponses qu’apportera la Cour, saisie pour la première fois sur la portée de l’article 392 de la Directive, pourraient répondre aux nombreuses interrogations qui persistent après la décision Promialp et les commentaires fluctuants de l’administration sur cette question, voire contredire la position retenue par le Conseil d’Etat dans cette affaire renvoyée devant la Cour administrative d’appel de Lyon.
La Cour de justice se prononce généralement dans un délai de un à deux ans.
Par Elisabeth ASHWORTH, avocate associée au sein du cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats