1. L’esprit de la loi, et ses limites
La loi de réforme pour la justice modifie quelques pans de la protection juridique des majeurs avec une intensité variable suivant les actes, la nature des mesures de protection et les devoirs de l’organe de protection (Loi 2019-222 du 23-3-2019 art 10 et 11).
Elle a restitué le droit de vote à toutes les personnes en tutelle (C. élec. art. L. 5 abrogé) et facilité sa mise en œuvre pour le vote avec assistance (C. élec. art. L. 64) ou par procuration (C. élec. art. L. 72-1).
Union des personnes. Mais c’est à propos du droit du couple qu’elle opère la rupture la plus franche avec la loi de 2007 qui a fêté le 1er janvier 2019 ses 10 ans d’application. Portée par les recommandations du Défenseur des droits et les préconisations d’un rapport de mission interministérielle, la déjudiciarisation de l’entrée en mariage, de l’action en divorce et de la conclusion du Pacs pour les personnes en tutelle a pu sembler une mesure nécessaire au législateur pour mettre en conformité le droit français avec le droit onusien (Rapport du Défenseur des droits : Protection juridique des majeurs vulnérables, sept. 2016, p. 42 ; Rapport de mission interministériel : A. Caron-Déglise, L’évolution de la protection des juridique des personnes. Reconnaître, soutenir et protéger les personnes les plus vulnérables, 21-9-2018, p. 67 ; Conv. internationale du droit des personnes handicapées 13-12-2006, entrée en vigueur le 20-3-2010).
Les explications de textes sur les mesures de précaution n’y ont rien fait. La pression internationale était trop grande. L’union des personnes devait être libérée de toute entrave réservée aux personnes protégées. La procédure d’opposition à mariage, qui relève du droit commun, a été jugée suffisante pour éviter le mariage d’une personne vulnérable inapte à manifester un consentement lucide. Les majeurs en tutelle devaient bénéficier du même respect d’autonomie que celui accordé aux personnes protégées par un mandat de protection future ou une habilitation familiale.
Union des biens. Les notaires savent combien le mariage et, dans une moindre mesure, le Pacs produisent des effets tant personnels que pécuniaires Or, en dépit des cloisons patrimoniales que l’on peut élever en concluant une séparation de biens (contrat de mariage, convention de Pacs), la vie commune emporte avec elle un alignement du train de vie sur la personne la plus fortunée ou la plus dépensière. Pour éviter les abus, la loi du 23 mars 2019 invite les curateurs et les tuteurs à redoubler d’attention à l’égard de la protection des biens de la personne protégée. En témoigne l’introduction d’un mécanisme de conclusion forcée du contrat de mariage (C. civ. art. 1399, al. 3 nouveau).
C’est là que le bât blesse. La loi a retiré au curateur et au tuteur la possibilité de ne pas autoriser le mariage de la personne protégée au motif que l’union projetée est contraire à ses intérêts (C. civ. art. 460 abrogé). Elle les prive ainsi du pouvoir d’organiser dans son ensemble l’union de la personne et des biens du majeur protégé. De surcroît, en concentrant le contrôle de l’organe de protection sur les biens du majeur protégé, la loi du 23 mars 2019 réalise une erreur de perspective sur les effets patrimoniaux du mariage. Heureusement, les nouvelles dispositions du divorce et du Pacs ne produisent pas des effets aussi asymétriques : la déjudiciarisation fortifie le rôle protecteur du curateur et du tuteur.
Entrée en vigueur. Toutes les dispositions relatives au mariage, au Pacs et au divorce des majeurs protégés sont entrées en vigueur le 25 mars 2019.
2. Mariage et contrat de mariage : la double métamorphose de la protection
Suppression de l’autorisation à mariage. Jusqu’ici, le mariage des personnes en curatelle et en tutelle était subordonné à l’autorisation de leur curateur ou, en tutelle, du juge des tutelles (C civ. art. 460 issu de la loi du 5-3-2007). Cette mesure de précaution a été jugée proportionnée au but que la loi souhaitait atteindre et partant respectueuse de la liberté nuptiale (Cons. const. 29-6-2012 n° 2012-260 QPC ; CEDH 25-10-2018 n° 37646/13, Delecolle).
Néanmoins, le législateur a cru indispensable de réécrire l’article 460 du Code civil au nom du respect des droits fondamentaux (C. civ. art. 415, al. 2 issu de la loi du 5-3-2007). Les personnes en curatelle et en tutelle n’ont plus à solliciter d’autorisation à mariage. Leur contrainte est réduite à une simple information faite à leur curateur ou tuteur de leur projet de mariage, avant le dépôt du dossier en mairie (C. civ. art. 63, al. 7 modifié) et, partant, de la publication des bans. Les services de l’état civil devront être attentifs aux mentions en marge de l’acte de naissance (C. civ. art. 444) pour vérifier le respect de cette obligation d’information.
Rénovation de l’opposition à mariage. Ainsi informé du projet de mariage, le curateur ou tuteur peut, s’il le juge opportun, former une opposition dans les mêmes conditions qu’un ascendant
Ce mécanisme recèle une double limite :
- le défaut de justificatif écrit de l’information du curateur ou du tuteur n’est pas sanctionné par la nullité relative comme l’était autrefois le défaut d’autorisation à mariage du curateur ou du tuteur (C. civ. art. 182 ; voir aussi Cass. 1e civ. 20-4-2017 n° 16-15.632 FS-PBI : Sol. Not. 6/17 inf. 147 ; D. 2017 p. 1963 note G. Raoul-Cormeil) ;
- en outre, les conditions de mise en œuvre de l’opposition à mariage sont bien plus strictes que n’en dit la circulaire de la Chancellerie (Circ. Civ/04/2019 du 25-3-2019 n° JUSC1909309C, annexe 8 – Autonomie des majeurs pour les actes personnels, spéc. p. 2 : « Lorsqu’elle considérera que le projet n’est pas conforme aux intérêts de la personne protégée, elle [la personne en charge de la protection] pourra faire usage de son droit d’opposition qui est élargi pour être aligné sur celui des parents, étant observé que le droit d’opposition de la famille reste entier »). Il est prévu que « Le tuteur ou le curateur peut former opposition, dans les conditions prévues à l'article 173, … » (C. civ. art. 175 modifié). En la forme, il devra solliciter un huissier de justice et indiquer dans l’acte d’opposition le texte de loi sur lequel il est fondé (C. civ. art. 176). Au fond, seule l’absence de consentement lucide ou sincère du majeur protégé est envisageable dans tous les cas (C. civ. art. 146). Ce motif sera plus large et facile à établir qu’un vice du consentement (C. civ. art. 180). Aucun autre texte ne permet de justifier l’opposition à mariage sur la contrariété à l’intérêt personnel du majeur protégé à se marier.
Signifiée aux futurs époux, l’opposition à mariage du curateur ou du tuteur produit ses effets pendant un an. L’acte peut être renouvelé une fois. Les futurs époux peuvent en demander mainlevée (C. civ. art. 177). Et si le curateur ou le tuteur est assimilé aux ascendants en ce qu’il peut former opposition, il ne profite pas de son immunité : seuls les ascendants échappent au risque de dommages-intérêts si l’opposition est levée par le juge (C. civ. art. 173 et 179).
Conclusion forcée du contrat de mariage. Le curateur ou le tuteur peut, de surcroît, « saisir le juge pour être autoris[é] à conclure seu[l] une convention matrimoniale, en vue de préserver les intérêts de la personne protégée » (C civ. art. 1399, al. 3 nouveau). La conclusion forcée d’un contrat de mariage permettrait d’éviter aux époux de s’unir sous le régime de la communauté légale des biens. Est-il seulement dans le pouvoir du curateur ou du tuteur, pourvu qu’il obtienne l’autorisation du juge, d’imposer un contrat de mariage au majeur protégé pour préserver ses biens ? Rien n’est moins sûr.
Grief tiré de la nature contractuelle. D’abord, un tel dispositif pourrait s’avérer inefficace à chaque fois que le futur conjoint du majeur protégé refusera de signer le contrat de mariage préparé par le curateur ou le tuteur sur les conseils d’un notaire L’autorisation donnée à la personne chargée de la protection de signer « seule » (C. civ. art. 1399, al. 3) doit être interprété à la lumière des deux alinéas précédents : il faut comprendre sans le majeur protégé. Limité à la curatelle et à la tutelle, le nouveau texte ne saurait permettre la conclusion unilatérale d’un contrat de mariage. Alors que la loi du 3 janvier 1968 avait limité le rôle du curateur ou du tuteur à une mission d’assistance, la loi du 23 mars 2019 crée la possibilité de conclure un contrat de mariage par représentation. Il n’était pas judicieux d’étendre au contrat de mariage le régime exorbitant de l’article 469, alinéa 2 du Code civil qui permet au curateur, « lorsque la personne en curatelle compromet gravement ses intérêts », d’être autorisé par le juge à passer seul l’acte juridique qui les préserve.
C’était méconnaître la nature contractuelle de la convention matrimoniale. Il suffira au futur conjoint du majeur protégé d’opposer un veto pour rendre impuissant le curateur, le tuteur ou le juge. Nul ne pourra, par des voies de droit, empêcher les époux de se marier sous le régime légal.
Grief tiré du temps procédural. Un tel dispositif pourrait s’avérer ensuite illusoire. Sitôt informé du projet de mariage, le curateur ou le tuteur ne disposera que des quelques semaines qui précèdent la publication des bans pour saisir un juge des tutelles et lui demander de l’autoriser à préparer un contrat de mariage avec un notaire. En l’absence de sursis à la célébration du mariage prévu par la loi, on encouragera le curateur ou le tuteur à former une opposition à mariage pour se dégager ce temps précieux.
Grief tiré du régime primaire. Un tel dispositif pourrait s’avérer enfin insuffisant. Le régime de la séparation de biens n’a aucune prise sur les devoirs de collaboration entre époux, qui résultent du mariage (C. civ. art. 1388) : l’obligation de communauté de vie (C. civ. art. 215) ; la solidarité des dettes ménagères (C. civ. art. 220) et, en pratique, la contribution aux charges du mariage (C. civ. art. 214).
Autonomie contre protection. La distinction de la célébration du mariage en mairie et de la conclusion notariée du contrat de mariage a conduit la loi du 23 mars 2019 à faire une chose et son contraire. Il n’était ni opportun, ni réaliste de dissocier l’autonomie de la personne et la protection de ses biens. Heureusement, le divorce et le Pacs produisent, par un acte unique, leurs effets pluriels, laissant à l’organe de la mesure de protection une appréciation d’ensemble.
3. Divorce et Pacs : la double harmonisation de la protection
Déjudiciarisation de l’action en divorce. Il est prévu que « Dans l’instance en divorce, le majeur en tutelle est représenté par son tuteur et le majeur en curatelle exerce l’action lui-même, avec l’assistance de son curateur » (C. civ. art. 249 nouveau).
La loi du 23 mars 2019 ne modifie donc pas le régime de l’action en divorce du curatélaire sous l’angle de l’incapacité d’exercice. Celui-ci exerce l’action lui-même mais l’assistance reste nécessaire en demande, comme en défense, conformément au droit commun des actions en justice (C. civ. art. 467, al. 3 et 468, al. 3).
En revanche, en tutelle, la loi de 2019 poursuit la déjudiciarisation. La personne en tutelle continue de devoir être représentée par son tuteur, en demande comme en défense. Mais ce dernier peut agir en demande sans avoir à solliciter l’autorisation du juge ou du conseil de famille (C. civ. art. 249 modifié). Indépendamment du cas de divorce, le législateur distingue la décision de divorcer – qui est réservée à la personne en tutelle – et la mise en œuvre judiciaire de cette décision par la protection des biens qui est confiée au tuteur représentant le tutélaire. La demande et la défense à l’action en divorce sont ainsi dégradées au rang d’actions patrimoniales. En effet, ces actions ne nécessitent pas d’autorisation préalable du juge tandis que celles pour faire valoir des droits extra-patrimoniaux continuent de devoir être autorisées (C. civ. art. 475, al. 1 et 2).
Pourquoi ne pas avoir été plus loin en modifiant l’article 475, alinéa 2nd du Code civil ? La réforme manque de réflexion d’ensemble. Une action en nullité de mariage restera donc soumise à l’autorisation du juge des tutelles. Il est encore temps de penser à modifier le Code de procédure civile car, en l’état actuel des textes, l’acquiescement au jugement de divorce et le désistement de l’appel sont, en tutelle comme en curatelle, soumis à l’autorisation du juge des tutelles (CPC art. 1122). Heureusement, le ministère d’un avocat devrait permettre au tuteur de veiller à la sauvegarde des droits et des intérêts de l’époux protégé. Il faut garder à l’esprit que le juge peut être saisi par le tuteur ou le curateur en cas de désaccord entre la personne protégée et la personne en charge de la protection pour statuer sur la difficulté (C. civ. art. 259, al. 2 modifié).
Ouverture du divorce accepté. Par ailleurs, la loi du 23 mars 2019 ouvre aux majeurs protégés un troisième cas de divorce. Au divorce pour faute ou pour altération définitive du lien conjugal, s’ajoute désormais le divorce accepté (C. civ. art. 249-4 modifié). À tout moment de la procédure de divorce, l’époux en curatelle ou en tutelle peut donc consentir au principe de la rupture du mariage (C. civ. art. 247-1). Il pourra même le faire avant le début de la procédure, par acte contresigné par avocats, selon le droit commun du divorce qui entrera en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard le 1er septembre 2020. En sauvegarde de justice, il faudra néanmoins attendre l’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle, d’une habilitation familiale par représentation ou par assistance pour déterminer le rôle de l’organe de protection (C. civ. art. 249-3 modifié), sans préjudice du pouvoir du JAF de déterminer les mesures provisoires des articles 254 et 255.
En revanche, le divorce par consentement mutuel par acte d’avocats déposé au rang des minutes d’un notaire, reste interdit à tous les majeurs protégés, quelle que soit la nature judiciaire ou conventionnelle de la mesure (C. civ. art. 229-2, 2°). On peut se demander pourquoi il en est de même de la procédure judiciaire du divorce par consentement mutuel (C. civ. art. 249-4). Le législateur a dû penser que les époux qui s’entendent pour divorcer choisiront le divorce par altération définitive du lien conjugal dont le délai de 2 ans sera réduit à 1 an au 1er septembre 2020.
Conclusion déjudiciarisée du Pacs. La formation, la modification ou l’extinction du Pacs d’une personne en curatelle sont inchangées (C. civ. art. 461).
La loi du 23 mars 2019 modifie à la marge le Pacs de la personne en tutelle : l’autorisation du juge des tutelles n’est plus requise (C. civ. art. 462 modifié). Le tuteur conserve sa fonction d’assistance du tutélaire pour la formation du contrat. Il n’interfère pas dans la décision personnelle de se pacser, même s’il doit l’informer de ses droits (C. civ. art. 457-1), sans préjudice des conseils que lui prodiguera le notaire. Le tuteur conserve donc un pouvoir de veto tant qu’il estime que la convention de Pacs ne préserve pas suffisamment les intérêts patrimoniaux du tutélaire. Il devra aussi refuser de signer la convention s’il estime que la personne protégée est inapte à manifester un consentement lucide (C. civ. art. 414-1).
En tutelle, comme en curatelle, le juge pourra donc être saisi par la personne protégée pour statuer sur le désaccord qui l’oppose à son curateur ou à son tuteur. La jurisprudence a offert récemment, en curatelle comme en tutelle, des exemples significatifs, tant le contentieux dépassait le principe de l’union et avait en vue ses effets patrimoniaux (Cass. 1e civ. 8-3-2017 n° 16-18.685 F-D : RTD civ. 2017 p. 358 note J. Hauser, à propos d’une curatelle ; Cass. 1e civ. 15-11-2017 n° 16-24.832 F-PB : SNH 121/17 inf. 6, D. 2018 p. 403 note G. Raoul-Cormeil, à propos d’une tutelle).
En attendant, la modification du Pacs et sa dissolution sont soumis au même régime : le majeur protégé décide de se désunir puis l’organe de protection met en œuvre sa décision en sécurisant ses effets. Toute cette législation est sans conteste conforme aux droits fondamentaux mais elle pèche par excès d’idéalisme. Aux notaires de prodiguer leur conseil et de se montrer pragmatiques.
Gilles RAOUL-CORMEIL, professeur à l'Université de Brest
Pour en savoir plus sur ces questions : voir Mémento Droit de la famille n°s 286, 53300, 53305, 53315, 53330, 53825, 53825, 53830, 53835 et 53845