Une banque clôture le compte courant d'une entreprise mise en liquidation judiciaire et verse le solde du compte au liquidateur judiciaire. Ce dernier en conteste le montant, faisant valoir que plusieurs virements ordonnés par l'entreprise avant le jugement ouvrant la liquidation judiciaire ainsi qu’un titre interbancaire de paiement (TIP) au profit de l'Urssaf n’ont été débités sur le compte qu’après ce jugement et qu’ils sont donc inopposables à la procédure. Le liquidateur réclame en conséquence à la banque la restitution de plus de 322 000 €.
La cour d’appel de Paris avait fait droit à la demande : si l'utilisateur de services de paiement ne peut pas révoquer un ordre de paiement une fois qu'il a été reçu par le prestataire de services de paiement (C. mon. fin. art. L 133-8), il n'en résulte pas pour autant que la date du paiement correspond à la date à laquelle la banque a reçu l'ordre de virement du débiteur ; le paiement d'un virement n'intervenant qu'à réception des fonds par le bénéficiaire ou le banquier de ce dernier qui les détient pour le compte de son client, il importait peu que les opérations de virement aient été en cours auprès de la banque de l'entreprise la veille du jugement prononçant la liquidation judiciaire dès lors qu'elles avaient donné lieu à paiement après ce jugement. Le TIP avait également été débité du compte alors que le débiteur se trouvait dessaisi.
L’arrêt est censuré par la Cour de cassation.
En application de l’article L 641-9 du Code de commerce, le jugement qui prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens et interdiction de tout règlement, les actes de disposition effectués postérieurement à ce jugement étant inopposables à la procédure collective.
Il résulte de l’article L 133-6 du Code monétaire et financier qu’une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution ; l’émetteur d’un ordre de paiement dispose donc des fonds dès la date à laquelle il consent à cette opération.
A noter :
Précision inédite.
Le dessaisissement d'un débiteur en liquidation judiciaire prend effet à compter de la première heure du jour où est ouverte ou prononcée la liquidation judiciaire (Cass. com. 18-1-2000 n° 97-20.587 F-D : RJDA 6/00 n° 701 ; Cass. com. 13-10-2015 n° 14-14.327 F-PB : RJDA 4/16 n° 310). Le débiteur dessaisi ne peut plus disposer des sommes figurant au crédit de son compte bancaire, que celui-ci soit affecté à son activité professionnelle ou qu'il s'agisse de son compte personnel ou d'un compte joint (Cass. com. 3-11-2010 n° 09-15.546 F-PB : RJDA 3/11 n° 262). L’éventuelle bonne foi de la banque qui a exécuté les ordres de paiement sans avoir connaissance du prononcé de la liquidation judiciaire est sans incidence (Cass. com. 19-5-2004 n° 02-18.570 FS-PB : RJDA 11/04 n° 1248).
Mais quelle date faut-il retenir pour l’opération contestée : celle de l’ordre de paiement ou celle à laquelle la banque du bénéficiaire du paiement a reçu les fonds (Cass. com. 18-9-2007 n° 06-14.161 FS-PBIR : RJDA 12/07 n° 1270, à propos d’un virement fait au profit du débiteur), ce qui vaut paiement (Cass. com. 3-2-2009 n° 06-21.184 FS-PB : RJDA 7/09 n° 667), ou encore celle à laquelle l’opération a été inscrite au débit du compte du débiteur (Cass. com. 20-10-1992 n° 89-10.083 P : Bull. civ. IV n° 320) ?
En matière de dessaisissement, il convient de se placer exclusivement du point de vue du débiteur et remonter à la date à laquelle il a émis l’ordre de paiement, consentant ainsi à l’exécution de l’opération, comme le précise désormais l’article L 133-6 du Code monétaire et financier pour les paiements autres que ceux faits par chèque, lettre de change ou billet à ordre. C’est à ce moment que le débiteur a disposé de ses fonds. Si le débiteur payeur a consenti à l’exécution de l’opération de paiement avant le jour de sa liquidation judiciaire, cet acte de disposition n’est pas atteint par le dessaisissement, même si l’opération s’est dénouée postérieurement.
Cet arrêt simplifie la question de la portée dans le temps du dessaisissement en refusant de confondre l’acte de disposition qu’est l’ordre de paiement avec le paiement lui-même qui ne se réalisera qu’après.
Même s’il échappe au dessaisissement prévu par l’article L 641-9 du Code de commerce, l’ordre de paiement donné par le débiteur peu avant sa mise en liquidation judiciaire peut néanmoins être remis en cause. Notamment, il peut tomber sous le coup de la nullité de certains actes effectués par le débiteur entre la date de cessation de ses paiements et l’ouverture de la procédure collective, période dite « suspecte » (paiement d’une dette non échue ou paiement reçu par un créancier en connaissance de l’état de cessation des paiements de son débiteur ; C. com. art. L 632-1, I-3 et L 632-2, al. 1).