Le 8 décembre 2008 s’ouvre une succession mettant en présence un héritier réservataire et un légataire universel à qui devait revenir un patrimoine musical. Face au refus du premier de consentir la délivrance amiable du legs, le second l’assigne en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession le 10 mars 2015, après avoir attendu la fin - en sa faveur - de la procédure d’interprétation du testament initiée par le premier (CA Versailles 30-1-2014 n° 13/03513).
Trop tard pour la cour d’appel : sa demande en délivrance de legs est prescrite depuis le 8 décembre 2013, soit 5 ans après le décès du testateur. La contestation en justice du testament litigieux n’a pas suspendu le délai de prescription. À cette occasion, le légataire n’a pas, par ailleurs, formé de demande assimilable à une demande reconventionnelle aux fins de ladite délivrance. Par ricochet son legs est privé de toute efficacité.
La Cour de cassation confirme : l’action en délivrance de legs, qui présente le caractère d’une action personnelle, est soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224. Elle appuie sa décision au rappel de deux textes : le premier qui enferme les actions personnelles ou mobilières dans un délai quinquennal de prescription à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (C. civ. art. 2224) ; le second qui contraint le légataire universel à demander en justice la délivrance des biens aux héritiers réservataires à défaut de délivrance volontaire (C. civ. art. 1004).
A noter :
Par cet arrêt, la Haute Juridiction clôt le débat qui s’est ouvert à la suite de la réforme du droit des successions et des libéralités et celle de la prescription civile sur le délai de prescription applicable à l’action en délivrance de legs (Lois 2006-728 du 23-6-2006 et 2008-561 du 17-6-2008). Fallait-il désormais :
- retenir un délai de prescription de 10 ans calqué sur celui du droit d’opter, ramené de 30 à 10 ans par la réforme des successions et des libéralités (C. civ. art. 780 ; en ce sens, M. Nicod, Prescription de l'action en délivrance d'un legs : Droit de la famille 6- 2015 comm. 128 ; J.-Cl. Civil Art. 1003 à 1013 fasc. 20 par D. Vigneau) ?
- préférer celui de droit commun réservé aux actions personnelles ou mobilières, de 5 ans depuis la réforme de la prescription civile (C. civ. art. 2224 ; en ce sens, M. Grimaldi : Droit des successions, LexisNexis 8e éd. 2020 n° 436 ; F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet : Les successions. Les libéralités, Dalloz 5e éd. 2024 n°842 ; C. Brenner et P. Malaurie : Droit des successions et des libéralités, Lextenso 11e éd. 2024, n° 419) ?
- ou encore, distinguer selon l’objet du legs, mobilier ou immobilier, pour faire application du délai de prescription quinquennal susvisé ou trentenaire, assimilant ainsi l’action en délivrance de legs à une action mixte (C. civ. art. 2224 et 2227 ; en ce sens C. Jubault : Droit civil. Les successions. Les libéralités, Montchrestien 2e éd. 2010, n° 903) ?
Parce qu’elle présente le caractère d’une action personnelle nous dit la Cour de cassation, l’action en délivrance de legs se prescrit par 5 ans. Elle tranche ici explicitement le débat sur cette question dont la réponse semblait avoir déjà été donnée implicitement (Cass. 1e civ. 30-9-2020 n° 19-11.543 FS-PB : SNH 34/20 inf. 4, RTD civ. 2020 p. 931 obs. M. Grimaldi, Defrénois 1-4-2021 n° 170u6 p. 28 obs. S. Gaudemet ; Cass. 1e civ. 21-6-2023 n° 21-20.396 FS-B : SNH 24/23 inf. 1 obs. N. Petroni-Maudière, RTD civ. 2023 p. 950 obs. M. Grimaldi, Defrénois 18-4-2024 n° DEF219j6 p. 40 obs. S. Gaudemet).
Pour mémoire, s’agissant des successions ouvertes avant le 19 juin 2008, date de l’entrée en vigueur de la réforme de la prescription civile, la Cour de cassation considérait que, faute de texte particulier précisant le délai d'exercice de l'action en délivrance de legs, celle-ci était soumise à la prescription trentenaire de l’ancien article 2262 du Code civil (Cass. 1e civ. 22-10-1975 n° 74-11.694 : Bull. civ. I n° 293, à propos d'un legs particulier ; Cass. 1e civ. 28-1-1997 n° 95-13.835 : Bull. civ. I n° 37, à propos d'un legs à titre universel).
Autres rappels des Hauts Magistrats :
- la contestation du testament par l’héritier réservataire, qu’elle porte sur sa validité ou, comme en l’espèce sur l’interprétation à en donner, ne suspend pas la prescription de l’action en délivrance de legs (Cass. 1e civ. 30-9-2020 n° 19-11.543 FS-PB précité, à propos d’une action en nullité du testament) ;
- l’expiration du délai de prescription prive le legs de ses effets (Cass. 1e civ. 22-10-1975 n° 74-11.694 : Bull. civ. I n° 293, à propos d’une action en délivrance d’un legs particulier intentée par le légataire 67 ans après l’ouverture de la succession). Le légataire peut cependant se prévaloir de la prescription acquisitive s’il prouve être entré en possession des biens légués le temps requis (Cass. civ. 8-5-1895 : DP 1895 I p. 425 note M. Planiol).
Pour en savoir plus
Voir MSUC 2025 N° 16997
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