Des époux mariés sous le régime de la séparation de biens achètent en indivision un appartement destiné au logement familial. La femme finance la part indivise de son mari au moyen d'un apport personnel. Le couple divorce. L'ex-femme réclame à son ex-mari une créance au titre de l'achat de l'appartement.
La Cour d'appel rejette sa demande pour deux raisons. Tout d'abord, la clause du contrat de mariage stipulant que chacun des époux sera réputé s'être acquitté jour par jour de sa part contributive aux charges du mariage leur interdit de prouver que l'un ou l'autre ne se serait pas acquitté de son obligation. Ensuite, les versements effectués par l'un d'eux pendant le mariage, tant pour régler le prix d'acquisition d'un bien immobilier constituant le domicile conjugal que pour rembourser les mensualités des emprunts immobiliers y afférents, participent de l'exécution de son obligation de contribution aux charges, sauf s'ils excèdent ses facultés contributives. En l'espèce, l'épouse ne démontre pas que sa participation financière à l'achat du domicile familial a excédé son obligation de contribution aux charges du mariage ; aucune créance ne peut donc être réclamée.
Cassation au visa de l'article 214 du Code civil, dont il résulte que, sauf convention contraire des époux, l'apport en capital de fonds personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l'acquisition d'un bien indivis affecté à l'usage familial, ne participe pas de l'exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage.
À noter : Les dépenses entrant dans les charges du mariage sont entendues très largement puisqu'il s'agit de toutes celles liées au train de vie de ménage. Pour ce qui est des investissements immobiliers, entrent dans cette catégorie tant le financement du domicile familial que celui d'une résidence secondaire (pour des exemples, respectivement Cass. 1e civ. 11-4-2018 no 17-17.457 F-D ; Cass. 1e civ 18-12-2013 no 12-17.420 : BPAT 2/14 inf. 54, Bull. civ. I no 249).
La Cour de cassation contrebalance cette lecture extensive par deux limites tenant :
- soit à la finalité de l'investissement. Ainsi, l'acquisition d'un bien à des fins purement locatives ne constitue pas une charge du mariage (Cass. 1e civ. 5-10-2016 no 15-25.944 F-PB : BPAT 6/16 inf. 217) ;
- soit à son mode de financement. C'est le cas de l'espèce commentée, qui confirme une solution déjà énoncée. En effet, en 2019, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel, « sauf convention matrimoniale contraire, l'apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part indivise du conjoint lors de l'achat d'un bien indivis affecté à l'usage familial, ne participe pas de son obligation de contribuer aux charges du mariage » (Cass. 1e civ. 3-12-2019 FS-PBI : SNH 34/19 inf. 1, note A. Chamoulaud-Trapiers ; D. 2020 p. 906 obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau, AJ Famille 2019 p. 604 obs. J. Casey). Au-delà de cette confirmation de jurisprudence, la présente décision apporte des précisions complémentaires.
L'on apprend d'abord que tout apport en capital de fonds personnels est concerné par l'exclusion de la contribution aux charges du mariage, pas uniquement celui provenant de la vente de biens personnels comme l'indiquait la décision de 2019. L'arrêt du 17 mars 2021 confirme ainsi l'interprétation large et a priori logique qui avait été donnée de l'arrêt de 2019 (voir, en ce sens, A. Chamoulaud-Trapiers précitée). Ainsi, pour un époux séparé de biens, constituer un capital en épargnant au fil des mois puis l'investir dans l'achat d'un bien à usage familial n'équivaut pas à rembourser au fil des mois un emprunt pour ce même type d'achat.
Par ailleurs, il ressort clairement de l'affaire commentée que l'existence, dans le contrat de mariage, d'une clause de présomption de contribution aux charges du mariage, même réputée irréfragable, est sans incidence sur le sort d'un apport en capital puisque celui-ci est hors du champ d'application de la clause.
Enfin, la Cour de cassation admet que les époux peuvent déroger au principe posé et prévoir conventionnellement qu'un tel apport en capital relève de la contribution aux charges du mariage. Si la décision de 2019 évoque une convention « matrimoniale », celle commentée se contente d'une « simple » convention entre époux. Est-ce un oubli ou une maladresse de rédaction ? Ce n'est pas certain, dès lors qu'a déjà été jugé valable l'engagement librement pris par un époux et accepté par l'autre, en dehors du contrat de mariage, pour déterminer la contribution aux charges du ménage (Cass. 1e civ. 3-2-1987 no 84-14.612 : Bull. civ. I no 41 : JCPN 1988 II p. 65 note Ph. Simpler, Gaz. Pal. 1987 II p. 384).
Florence GALL-KIESMANN
Pour en savoir plus sur cette question, voir Mémento Droit de la famille n° 1965