Statuant sur l’action d’un usufruitier contre une entreprise qu’il avait chargée de réaliser la charpente métallique et le revêtement d’un bâtiment à usage commercial, la Cour de cassation énonce deux règles :
l’usufruitier, quoique titulaire du droit de jouir de la chose, n’en est pas le propriétaire. Il ne peut donc pas exercer, en sa seule qualité, l’action en garantie décennale que la loi attache à la propriété de l’ouvrage et non à sa jouissance ;
l’usufruitier peut néanmoins agir, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, en réparation des dommages que lui cause la mauvaise exécution des contrats qu’il a conclus pour la construction de l’ouvrage, y compris les dommages affectant l’ouvrage.
A noter :
Le bénéficiaire de la garantie décennale est le maître de l’ouvrage, qui dispose du droit de construire. L’arrêt commenté limite le bénéfice de la garantie décennale à celui qui a la propriété de la chose. La solution n’est pas nouvelle. Dans un arrêt ancien, la Cour de cassation avait déjà affirmé que la garantie décennale « constitue une protection légale, attachée à la propriété de l'immeuble » (Cass. 1e civ. 28-11-1967 n° 65-12.642 : Bull. civ. I n° 348).
L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre (le nu-propriétaire) a la propriété, à charge d’en conserver la substance (C. civ. art. 578). L’usufruitier n’a donc pas, en principe, le droit de construire puisqu’il doit conserver la substance de la chose. Pourrait-il le faire sous condition qu’il restitue la chose intacte à l’issue de l’usufruit ? Et s’il avait l’autorisation du nu-propriétaire, agirait-il comme mandataire de ce dernier, titulaire alors de l’action en garantie ? La Cour de cassation semble le sous-entendre lorsqu’elle énonce que la société usufruitière ne « prétendait pas avoir été mandatée par le nu-propriétaire ». L’usufruitier peut faire réaliser des travaux d’entretien, voire des grosses réparations consécutives à la carence du nu-propriétaire dans l’entretien des lieux. Dans ce cas, il est maître de l’ouvrage, mais l’action en garantie décennale semble lui être fermée par les termes généraux de l’arrêt, de même que tout recours contre l’assureur en responsabilité décennale de l’entreprise qui exécute les travaux.
Si l’arrêt prive l’usufruitier de l’action en garantie décennale, il lui laisse la faculté d’exercer l’action en responsabilité de droit commun en réparation des dommages que lui cause la mauvaise exécution des contrats qu'il a conclus pour la construction de l'ouvrage, y compris pour les dommages à l’ouvrage qu’il a fait construire. L’arrêt ne précise pas, toutefois, si en l’espèce les travaux en question étaient d’entretien ou d’amélioration et s’ils excédaient ou non les pouvoirs de l’usufruitier ; la question n’aurait d’intérêt que dans ses rapports avec le nu-propriétaire.