Un architecte est chargé de réaliser un dossier de permis de construire et de rédiger les documents de consultation des entreprises en vue de la réalisation d’une maison d’habitation. Un bureau d’étude béton réalise les plans de structures. Après obtention du permis, les travaux de gros œuvre sont confiés à une entreprise. Après achèvement des travaux, des fissures en façade apparaissent et les constructeurs sont assignés aux fins d’indemnisation sur le fondement de l’article 1792 du Code civil. Le maître de l’ouvrage vend la maison en cours de procédure et l’acquéreur la détruit. L’action se poursuit néanmoins contre les constructeurs.
La cour d’appel met hors de cause l’architecte et le bureau d’étude béton. Elle prononce en revanche une condamnation partielle de l’entreprise chargée du gros œuvre et de son assureur en retenant l’acceptation des risques par le maître de l’ouvrage.
Cassation de l’arrêt d’appel sur le fondement de l’article 1792 du Code civil.
La Cour de cassation reproche à la cour d’appel d’avoir mis hors de cause l’architecte en retenant que sa mission s’était limitée au permis de construire et qu’il avait conseillé au maître de l’ouvrage de faire une étude de sol. Elle rappelle que, selon l’article 1792 du Code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination, une telle responsabilité n'ayant point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère. Or, les fissures en façade tenant à l’absence de prise en compte des contraintes du sol sont imputables à l’architecte et une acceptation délibérée des risques par le maître de l’ouvrage n’a pas été caractérisée par la cour d’appel.
La Cour de cassation censure également la cour d’appel pour avoir mis hors de cause le bureau d’étude béton au motif qu’il avait averti le maître de l’ouvrage de la nécessité de dimensionner les fondations après réalisation d’une étude de sol, et que ce dernier ne démontrait pas que les plans avaient été transmis à l’entreprise de gros œuvre. La Haute Juridiction rappelle que c’est au locateur d’ouvrage de démontrer l’existence d’une cause étrangère exonératoire. La cour d’appel a donc inversé la charge de la preuve.
Enfin, la Cour de cassation casse l’arrêt pour avoir retenu l’acceptation délibérée des risques par le maître de l’ouvrage et limité son indemnisation par l’entreprise de gros œuvre et son assureur au motif, notamment, qu'il avait été informé par l'architecte et le bureau d’étude béton de la nécessité de faire procéder à une étude de sol indispensable à la conception de fondations. Elle considère que la cour d’appel n’a pas précisé en quoi le maître de l’ouvrage avait été parfaitement mis en garde et informé des risques encourus par l’ouvrage à défaut de suivre le conseil donné de réaliser une étude de sol.
A noter :
L’arrêt commenté statue sur la responsabilité des trois prestataires au visa de l’article 1792 du Code civil (garantie décennale) en rappelant, notamment, que le constructeur est responsable de plein droit, sauf s’il établit l’existence d’une cause étrangère.
À propos de l’architecte, l’arrêt énonce avec rigueur que le projet qu’il établit doit être réalisable et tenir compte des contraintes du sol, principe déjà affirmé par d’autres arrêts (Cass. 3e civ. 25-2-1998 n° 96-10.598 PF : Bull. civ. III n° 44 ; Cass. 3e civ. 21-11-2019 n° 16-23.509 FS-PBI : BPIM 1/20 inf. 26). La question de l’étude du sol dans l’établissement du projet a donné lieu à quelques hésitations en jurisprudence. L’étude du sol ne relève pas seulement, à notre sens, de l’obligation de conseil. Elle implique que le projet n’est réalisable que si le sol est en mesure de recevoir l’ouvrage, ce qui, selon nous, doit être pris en compte dès l’avant-projet et lors de la demande de permis de construire. L’arrêt, qui énonce, à propos d’une mission limitée au dossier de permis de construire et aux pièces relatives à la consultation des entreprises, que les désordres « tenant à l’absence de prise en compte des contraintes du sol étaient imputables à l’architecte », et qui censure un motif de la cour d’appel qui s’était borné à relever le conseil donné au maître de l’ouvrage de faire réaliser une étude de sol, nous paraît confirmer cette appréciation. Est-ce à dire que l’étude de sol doit précéder la demande de permis, ou que le permis délivré ne concerne un ouvrage réalisable que si l’étude est alors effectuée ? Quelle que soit l’option, l’obligation de l’architecte ne se limite pas à l’obligation de conseil : l’arrêt donne à penser qu’il doit faire procéder à l’étude de sol ou s’assurer qu’elle sera faite, pour que sa mission soit aboutie… sauf si le maître d’ouvrage, dûment informé, accepte le risque d’un ouvrage impropre à sa destination ou peu solide. Cette « cause étrangère » serait d’une valeur discutable, selon nous, pour un professionnel qui établirait alors le dossier des entreprises en ayant conscience des problèmes de sécurité qui pourraient résulter de l’exécution du projet. On rappelle qu’en l’espèce l’acquéreur a démoli la maison…
S’agissant du bureau d’étude béton, qui a établi les plans de structures du dossier, la cour d’appel a retenu que le maître de l’ouvrage avait été averti de la nécessité de dimensionner les fondations après réalisation d’une étude de sol et que celui-ci ne démontrait pas que ces plans avaient été transmis à l’entreprise. L’arrêt estime qu’il y a renversement de la charge de la preuve car, selon l’article 1792 du Code civil, la responsabilité du constructeur est encourue de plein droit sauf preuve de la cause étrangère. Or celle-ci, qui doit présenter les caractères de la force majeure, n’a pas été démontrée par le bureau d’étude.
Sur l’obligation à réparation de l’assureur de l’entreprise, l’arrêt condamne le partage de sa responsabilité avec le maître de l’ouvrage. Celui-ci n’a pas accepté le risque lié à l’absence d’étude de sol : le fait d’attirer l’attention sur le risque inhérent à la réalisation des travaux ne suffit pas (Cass. 3e civ. 21-11-2012 n° 11-25.200 FS-D : BPIM 1/13 inf. 50). Il faut que l’acceptation soit consciente et délibérée, d’autant que l’entreprise doit réaliser les travaux conformément aux règles de l’art et que le constructeur doit avoir un rôle actif dans la prévention des risques encourus.
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