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Les actes interdits sous la tutelle le sont aussi sous l'habilitation familiale avec représentation

L’article 494-6 du Code civil ne confère pas au juge des tutelles le pouvoir de délivrer une habilitation familiale en représentation pour les actes visés à l’article 509 du Code civil et, a fortiori, celui d’autoriser la personne habilitée à accomplir ces actes.

Cass. 1e civ. avis 20-10-2022 n° 22-70.011 B


Par Gilles RAOUL-CORMEIL, professeur à l'université de Caen
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©Gettyimages

Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Valenciennes, statuant en qualité de juge des tutelles, est saisi par la fille de la majeure protégée, habilitée à la représenter, pour être autorisée à renoncer en son nom à la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie souscrit par son conjoint décédé. Le juge des tutelles s’est interrogé sur le périmètre des pouvoirs de la personne habilitée et, conséquemment, sur les actes qu’il peut autoriser. Il saisit la Cour de cassation de la demande d’avis suivante : « les actes interdits en matière de tutelle, prévus à l’article 509 du Code civil, sont-ils transposables en matière d’habilitation familiale générale par représentation, notamment à la lumière de l’article 494-6 du Code civil ? »

Nouvelle, présentant une difficulté sérieuse, et susceptible de se poser dans de nombreux litiges (C. org. jud. art. L 441-1), la demande d’avis est jugée recevable par la Cour de cassation.

Puis, pour juger que le périmètre du pouvoir de représentation de la personne habilitée ne s’étend pas aux actes interdits de l’article 509 du Code civil, la Haute Juridiction raisonne en deux temps.

D’abord, l’habilitation familiale générale porte sur « les actes que le tuteur a le pouvoir d’accomplir, seul ou avec une autorisation, sur les biens de l’intéressé » (C. civ. art. 494-6, al. 3). En clair, la personne habilitée à représenter le majeur protégé peut conclure en son nom les actes qu’un tuteur peut passer seul, c’est-à-dire des actes de conservation et d’administration (C. civ. art. 504).

De surcroît, elle peut également passer seule les actes qu’un tuteur ne peut accomplir qu’avec une autorisation du juge (C. civ. art. 505 à 508).

Le périmètre des pouvoirs de la personne habilitée ne s’étend donc pas aux actes que le tuteur ne peut accomplir, même avec une autorisation, telle « la renonciation gratuite à un droit acquis » (C. civ. art. 509, 1°). L’habilitation familiale ne peut donc pas porter sur les actes interdits.

Par exception, la personne habilitée doit obtenir une autorisation du juge des tutelles pour accomplir un acte à titre gratuit (C. civ. art. 494-6, al. 4) ou un acte pour lequel elle serait en opposition d’intérêts avec la personne protégée (C. civ. art. 494-6, al. 6). Il faut ajouter à cette liste les actes de disposition du logement, qui requièrent également l’autorisation du juge (C. civ. art. 426). Cela dit, le pouvoir d’autorisation que la loi confère au juge dans ces hypothèses ne lui permet pas d’étendre le périmètre des pouvoirs de la personne habilitée aux actes interdits.

A noter :

Gilles Raoul-Cormeil, professeur à l’université de Caen, rappelle que c’est la deuxième fois que la Cour de cassation se prononce sur le sens des renvois à la tutelle. Nombreux, ces renvois contribuent à définir les pouvoirs du curateur (C. civ. art. 467, al. 1), ceux du mandataire à la protection future (C. civ. art. 490, al. 1), ceux du cocurateur ou cotuteur (C. civ. art. 447, al. 2) et, en l’espèce, ceux de la personne habilitée (C. civ. art. 494-6, al. 3). Le raisonnement mené par la Cour de cassation, dans cet avis de 2022, débute de la même manière que celui déroulé dans un précédent avis, à propos de la capacité commerciale du majeur en curatelle (Cass. 1e civ. avis 6-12-2018 n° 18-70.011 F-PBI : BPAT 1/19 inf. 21). Mais la Cour de cassation avait interprété l’article 467 du Code civil comme n’excluant pas les actes interdits de l’article 509, au motif suivant : « dans le silence ou dans l’ambiguïté des textes, ceux-ci doivent être interprétés dans un sens favorable à la capacité du majeur protégé ». La solution est différente dans l’avis ici commenté parce que l’enjeu est distinct.

Dans un régime d’assistance, le majeur protégé est le sujet de la mesure : il contracte seul ou avec l’assistance du curateur ou de la personne habilitée. L’inclusion des actes interdits a été justifiée par le principe du maintien de la capacité (C. civ. art. 1145, al. 1).

En revanche, dans un régime de représentation, la question ne porte pas sur la capacité du majeur protégé mais sur l’extension des pouvoirs de la personne habilitée. La Cour de cassation a donc eu plus de scrupules. À juste raison. Certes, l’inclusion des actes interdits dans l’habilitation familiale – simple ou générale – par représentation pose problème dans le détail des actes visés à l’article 509 du Code civil. Il est heureux que la personne habilitée ne puisse pas continuer une activité commerciale ou une profession libérale au nom du majeur protégé (C. civ. art. 509, 3°). En revanche, on peut hésiter à refuser à la personne habilitée de renoncer au nom du majeur protégé à la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, au regard de l’harmonie familiale qui préside au prononcé de cette mesure (C. civ. art. 494-4, al. 2). Un tel acte de renonciation n’est pas interdit à l’administrateur légal, qui devra obtenir l’autorisation du juge au nom du mineur (C. civ. art. 387-1, 4°). Cet avis invite donc le législateur à revoir sa liste des actes interdits dans l’habilitation familiale.

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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