Si l’administrateur d’une société (dotée, par hypothèse, d'un conseil d'administration) exerce en principe librement son droit de vote, dans l’intérêt de la société, le devoir de loyauté auquel un administrateur commun à une société mère et à une filiale est tenu à l’égard de la mère l’oblige, lorsqu’une décision est votée par le conseil d’administration de cette société, à voter dans le même sens au sein du conseil d’administration de la filiale, sauf lorsque cette décision est contraire à l’intérêt de cette filiale.
Ayant énoncé ce principe, la Cour de cassation l'a appliqué au cas suivant : le conseil d'administration d'une société par actions simplifiée (SAS) contrôlant plusieurs filiales avait approuvé à la majorité la candidature de ses associés majoritaires à la direction générale de ses filiales ; lors des conseils d'administration des filiales, des administrateurs communs à la société mère et aux filiales s'étaient opposés à la nomination des associés majoritaires. Une cour d'appel les avait condamnés à indemniser la société mère pour manquement à leur devoir de loyauté à son égard en retenant que les administrateurs sont tenus au respect des décisions « collectives » prises régulièrement et non entachées d'abus de droit.
La Cour de cassation censure l'arrêt d'appel car les juges auraient dû rechercher si la décision du conseil d'administration de la mère n'était pas contraire à l'intérêt de ses filiales.
A noter : Cette décision, dont la solution est inédite, est riche d'enseignements.
Premier enseignement, qui concerne les administrateurs de toute société, faisant ou non partie d'un groupe : l'administrateur « exerce librement son droit de vote, dans l'intérêt de la société ». Le libre exercice du droit de vote de l'administrateur n'avait jamais été discuté en doctrine tant il allait de soi et il trouve ici sa première consécration dans la jurisprudence. La Cour de cassation l'assortit d'une limite, tenant au respect de l'intérêt social, ce qui ne surprendra pas dans la mesure où elle a toujours ainsi borné l'action du dirigeant. Elle avait en ce sens jugé que des administrateurs ayant un intérêt personnel à une décision à prendre (en l'espèce, l'agrément de l'acquéreur de leurs actions) n'étaient pas interdits de voter dès lors que leur intérêt n'était pas susceptible de s'opposer à l'intérêt social (Cass. com. 24-2-1975 : Rev. sociétés 1976 p. 92 note Oppetit).
Cette limite s'impose d'autant plus maintenant que, depuis la loi Pacte du 22 mai 2019, le législateur l'a expressément consacrée : toute société doit être « gérée dans son intérêt social » (C. civ. art. 1833 modifié ; BRDA 10/19 inf. 2 nos 2 s.).
Second enseignement, qui concerne le sens du vote d'un administrateur commun à une société mère et à sa filiale : le devoir de loyauté de celui-ci à l'égard de la mère l'oblige à voter, au sein du conseil d'administration de la filiale, dans le sens de la décision prise par le conseil de la mère. Jusqu'à présent, le devoir de loyauté du dirigeant à l'égard de la société n'avait été reconnu en jurisprudence que pour sanctionner une acte de gestion fautif ; par exemple, l'obligation de loyauté interdit à un gérant de SARL de négocier, pour le compte d'une autre société dont il est également dirigeant, un marché dans le même domaine d'activité (Cass. com. 15-11-2011 n° 10-15.049 : RJDA 2/12 n° 164).
Comme on pouvait s'y attendre, cette obligation de loyauté est bornée par la même limite que celle mentionnée ci-dessus : le respect de l'intérêt social, de la filiale cette fois-ci. Les juges suprêmes ont ainsi arbitré entre deux logiques : d'une part, la « logique de groupe », selon laquelle, lorsque la mère décide, les filiales « suivent » ; d'autre part, l'autonomie de chacune des personnes morales composant le groupe, qui commande de prendre en compte leurs intérêts respectifs. La réponse apportée s'applique aussi bien à l'administrateur qui a voté en faveur de la décision du conseil d'administration de la mère (avant de se déjuger par la suite lors du conseil de la filiale) qu'à celui qui a voté contre (et qui confirme ensuite ce refus au sein du conseil de la filiale).
La décision ci-dessus ayant été rendue sur le fondement de l'article L 225-251 du Code de commerce, qui déclare les administrateurs et le directeur général de société anonyme (SA) responsables de leurs manquements à l'égard de la société, et de l'article L 227-8 du même Code, qui rend applicables aux dirigeants de SAS les règles fixant la responsabilité des membres du conseil d'administration et du directoire des SA, on pourrait en déduire que cette solution ne concerne que les administrateurs de SA et de SAS. Nous ne le pensons pas : cette solution vaut, à notre avis, pour tout mandataire social appartenant aux organes collégiaux d'une société mère et d'une filiale, quels qu'ils soient (conseil d'administration, de surveillance, directoire, etc., institué par la loi ou, comme en l'espèce, par les statuts).
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Sociétés commerciales nos 40740 et 13953