Les actionnaires d’une société (A) mandatent une banque d’affaires avec mission de rechercher un acquéreur en vue de lui vendre la totalité des actions formant le capital de la société. Par l’intermédiaire de cette banque, les actionnaires de la société A signent ensuite un protocole avec une société (B). Celui-ci prévoit l’apport par les actionnaires de la totalité de leurs actions de la société A à la société B, en contrepartie de l’attribution aux apporteurs d’actions à bons de souscription d’actions (Absa) et d’obligations convertibles en actions (OCA) émises par la société B. Estimant que la banque n’a pas exécuté sa mission car l’opération réalisée n’est pas une vente, les actionnaires refusent de lui payer ses honoraires. La banque les poursuit alors en paiement.
Une cour d’appel donne raison à la banque. Elle retient que l'attribution de droits sociaux aux actionnaires en rémunération de leur apport des titres de la société A constitue un prix de vente et en déduit que le protocole qu'ils ont signé prévoit bien l'achat par la société B de la totalité des actions composant le capital de la société A, en contrepartie d’une somme perçue par les vendeurs.
Les Editions Francis Lefebvre accompagnent les entreprises dans la relance de leur activité avec INNEO Entreprise :
Pas encore abonné ? Nous vous offrons un accès à la solution documentaire INNEO Entreprise pendant 10 jours.
Censure de la Cour de cassation. Rappelant la distinction entre une vente et un apport, la Cour juge que l'apport en propriété fait à une société, en contrepartie duquel sont attribués des droits sociaux, n'est pas une vente. En l’espèce, le protocole stipulait que les actionnaires s'engageaient à apporter à la société B leur participation dans la société A. La cour d'appel avait ainsi dénaturé le contrat signé par les parties.
A noter :
La vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer (C. civ. art. 1582, al. 1). L’apport est défini par l’article 1832, al. 1 du Code civil, selon lequel la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. La décision est rendue au visa de ces deux articles et de l’interdiction faite au juge de dénaturer l’écrit qui lui est soumis (ici, le protocole).
Si l’apport d’un bien se rapproche par certains aspects de la vente, les deux opérations présentent une différence fondamentale tenant à la contrepartie du transfert de la propriété de ce bien. Dans la vente, le vendeur reçoit un prix. Dans l'apport, il y a attribution de droits sociaux ; il n'y a pas de prix.
L’opération d’apport peut toutefois présenter un caractère mixte lorsque la rémunération se compose à la fois de droits sociaux et d’une somme en numéraire, ou lorsque l’apport s’accompagne de la reprise d’un passif, celle-ci constituant un prix. A été qualifiée de vente la convention par laquelle une personne avait transmis son fonds de commerce à une société moyennant la prise en charge par celle-ci des sommes dont elle était redevable envers une banque (Cass. com. 6-12-1982 : Bull. Joly 1983 p. 100). A l’inverse, a été qualifiée d’apport en nature l’acquisition par une société d’actifs pour un prix symbolique, avec un complément de prix important sous la forme de bons de souscription d'actions exerçables en fonction de la réalisation d'objectifs de chiffre d'affaires (Bull. COB janvier 2003 p. 74). L'AMF a repris cette position dans une communication sur les « apports d'actifs ou acquisitions rémunérés par des titres de créance complexes (ORA, OC) ou des bons de souscription d'actions » (Rev. AMF janvier 2004 p. 156).