La Quotidienne : La loi Elan avait annoncé une réforme de grande ampleur. Est-ce le cas ?
Nul doute que l’ordonnance du 30 octobre 2019 a réformé en profondeur le droit de la copropriété, ne serait-ce qu’en redéfinissant son champ d’application pour le recentrer autour de la notion d’habitation. Il est désormais permis, pour les immeubles ou groupes d’immeubles bâtis à destination totale autre que d’habitation, de se soustraire au régime de la copropriété et d’être gérés par une structure de gestion pouvant s’adapter de manière plus efficace aux contraintes liées à leur activité. Alors que le régime contraignant de la copropriété est souvent décrié par les investisseurs, le législateur octroie une alternative supplémentaire à l’application du statut de la copropriété prenant en compte les caractéristiques et la destination de l’immeuble.
Si le reste de l’ordonnance du 30 octobre 2019 réforme ainsi le fonctionnement de la copropriété de manière significative, on regrettera toutefois l’absence de dispositions propres aux enjeux de rénovation énergétique, même si la facilitation des prises de décision en assemblée générale permettra certainement de favoriser les travaux y afférents.
La Quotidienne : Qu’est-ce que la réforme change pour les petites copropriétés ?
Les petites copropriétés de moins de 5 lots ainsi que celles composées seulement de deux copropriétaires seront régies par des règles particulières afin de limiter les risques de blocage inhérents à leur taille. Ce nouveau régime dérogatoire est plus qu’opportun et permet d’adapter la loi du 10 juillet 1965 à ce type de copropriété.
Par exemple, la possibilité pour les copropriétaires de prendre certaines décisions sans se soumettre au formalisme pointilleux entourant la convocation et la tenue d’une assemblée générale aura évidemment pour conséquence de faciliter la prise de décision des petites copropriétés.
D’autres dispositions tendent vers un fonctionnement moins contraignant de ces copropriétés et il sera intéressant, à l’avenir, d’analyser si elles contribuent également à la prévention des contentieux qui est l’un des deux objectifs poursuivis par l’ordonnance.
La Quotidienne : Le renforcement des garanties (hypothèque, privilège mobilier et privilège immobilier) permettra-t-il un recouvrement des charges plus efficace ?
Le renforcement des garanties (hypothèques, privilège mobilier et privilège immobilier) par l’ordonnance du 30 octobre 2019 favorise certes le recouvrement des charges par le syndicat mais n’apporte pas d’améliorations substantielles. Quoi qu’en dise le rapport au président de la République, l’hypothèque légale était déjà, en pratique, inscrite par le syndic sans autorisation de l’assemblée générale. S’agissant du privilège mobilier, le juge admettait déjà qu’il pût se reporter sur les loyers du locataire. Mais agrandir son assiette aux redevances dues par l’accédant au vendeur dans le cadre du contrat de location-accession est une mesure bienvenue, même si son utilité pratique sera probablement peu fréquente.
En réalité, ce n’est que l’extension de l’assiette du privilège spécial immobilier qui favorise véritablement le recouvrement des charges par le syndicat puisqu’il englobe désormais les créances de toute nature et non plus uniquement certaines d’entre elles.
La Quotidienne : Quelles sont les conséquences de l’ordonnance sur l’activité de syndic ? Ces nouvelles mesures offrent-elles au syndic une plus grande autonomie ou au contraire lui imposent-elles plus de contraintes ?
Il apparaît au regard des nouvelles dispositions de l’ordonnance du 30 octobre 2019 que le syndic devra supporter pléthore de nouvelles contraintes dans l’exercice de son activité. Conformité du projet de contrat de syndic au contrat-type sous peine de sanction administrative, responsabilité à l’égard du syndicat pouvant être engagée par le conseil syndical ou en son absence par les copropriétaires représentants un quart des voix ou encore obligation de conserver les archives du syndicat, sont autant de mesures destinées à brider l’activité du syndic.
Pourtant, l’ordonnance ne saurait être considérée comme oppressive pour les syndics en ce qu’elle contient une précision qui leur est largement favorable : la possibilité qu’ils auront de conclure avec le syndicat une convention portant sur des prestations de service ne relevant pas de leur mission, ce qui leur permettra d’élargir leur activité au sein de l’immeuble.
La Quotidienne : En quoi cette ordonnance permet-elle de renforcer les moyens d’action du syndicat des copropriétaires dans la gestion de l’immeuble ?
Plusieurs dispositions de l’ordonnance du 30 octobre 2019 viennent renforcer les moyens d’action du syndicat des copropriétaires dans la gestion de l’immeuble. La plus importante d’entre elles est probablement la généralisation du mécanisme de la « passerelle » qui facilite grandement la prise de décision en assemblée générale. Ce mécanisme permet de procéder immédiatement à un second vote à une majorité moindre que celle normalement requise lorsque cette dernière n’a pas été atteinte. Toutes les décisions relevant de la majorité de l’article 25 ou de celle de l’article 26 peuvent désormais faire l’objet de ce second vote. Le syndicat des copropriétaires pourra alors faire fi de l’absentéisme récurrent de certains copropriétaires et éviter que son immeuble ne subisse un immobilisme inéluctable (par exemple, par la réalisation de travaux d’amélioration ou l’acquisition de nouvelles parties communes).
Les moyens d’action du syndicat dans la gestion de l’immeuble seront également renforcés pour certains types de travaux : les travaux d’intérêt collectifs réalisés sur des parties privatives ne pourront plus être empêchés par le copropriétaire qui les supporte(sauf à certaines conditions).
Enfin, le syndicat des copropriétaires pourra désormais s’attarder plus longuement sur les questions les plus essentielles de la copropriété en déléguant les décisions les moins importantes au conseil syndical (celles relevant de la majorité de l’article 24 de la loi du 10 juillet 1965 à l’exception de l’approbation des comptes, de la détermination du budget prévisionnel, et des adaptations du règlement de copropriété rendues nécessaires par les modifications législatives et règlementaires).
Propos recueillis par Angeline DOUDOUX
Michèle RAUNET, notaire associé, Marianik DOREL, juriste immobilier et Simon HUVE, juriste-conseil au sein de l’étude Cheuvreux notaires.
Pour en savoir plus sur la réforme de la copropriété : voir le Bulletin Pratique immobilier 6/19 à paraître