Des époux décèdent et laissent comme héritiers leurs huit enfants. Un tiers est désigné par ordonnance de référé avec une mission générale d’administration de l’indivision successorale. Il consent, suivant acte notarié, trois baux ruraux sur des parcelles dépendant de cette indivision. L’un des héritiers réclame l’annulation de ces baux. Selon lui, compte tenu de la nature de sa mission, l’administrateur ne pouvait pas, sans l’accord unanime de tous les indivisaires ni autorisation judiciaire, consentir les baux ruraux, lesquels ne ressortissent pas de l’exploitation normale des biens indivis (C. civ. art. 815-3).
La cour d’appel rejette sa demande et déclare les baux opposables. Le preneur a pu légitimement croire que l’administrateur était investi du pouvoir de signer ces baux dans la mesure où :
- le preneur a répondu à un appel à candidature de la Safer, que l’administrateur avait missionnée pour rechercher des exploitants ;
- les baux ruraux ont été reçus en la forme authentique et ils portent la mention selon laquelle l’administrateur est intervenu en qualité d’administrateur judiciaire des successions en vertu d’une décision de justice annexée à la minute d’un acte reçu par notaire.
Par suite, l’administrateur était titulaire d’un mandat apparent lui permettant de représenter les indivisaires pour conclure des baux ruraux en leur nom.
La Cour de cassation confirme la décision.
À noter : Les indivisaires ne peuvent conclure un bail rural qu’avec le consentement de tous (C. civ. art. 815-3). L’un d’entre eux ne peut agir au nom des autres qu’avec un mandat spécial (Cass. 1e civ. 25-10-2005 n° 03-14.320 F-PB : Bull. civ. I n° 387). Dans l’affaire commentée, la requérante semblait s’inspirer de cette jurisprudence et la transposer à l’administrateur. C’était oublier que la théorie du mandat apparent peut sauver un bail rural irrégulièrement conclu, dès lors que le preneur a pu légitimement croire que l’indivisaire (ici l’administrateur) avait agi comme mandataire de tous (Cass. 3e civ. 13-10-2009 n° 08-15.557 F-D). Ici, les juges ont bel et bien caractérisé les circonstances justifiant une telle croyance. Cet arrêt donne néanmoins l’occasion qu'il faut vérifier la capacité des contractants.
Rappelons aussi que la réforme du droit des contrats, applicable aux actes conclus depuis le 1er octobre 2016, a expressément validé le mandat apparent. Il est, en effet, prévu que l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté (C. civ. art. 1156). La solution de l’arrêt, rendue sous l’empire des dispositions antérieures à la réforme, conserve donc tout son intérêt.
Notons enfin que pour les contrats conclus depuis le 1er octobre 2016, la réforme a donné la possibilité au tiers qui doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel avec qui il s’apprête à conclure, de demander par écrit au représenté de lui confirmer dans un délai qu’il fixe et qui reste raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte (C. civ. art. 1158).
Florence GALL-KIESMANN
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Droit de la famille n°s 69150, 69201 et 69266