1. Dans un arrêt du 11 octobre 2017, promis à une très large diffusion, la Cour de cassation fournit d’importantes précisions sur l’articulation des pouvoirs de l’administrateur légal et de la responsabilité civile des tiers confrontés à ses fautes de gestion (Cass. 1e civ. 11-10-2017 n° 15-24.946 F-PBI).
2. Les faits Une femme, en sa qualité d’administratrice légale sous contrôle judiciaire, avait placé sur un compte ouvert au nom de son fils mineur, la somme de 20 000 € échue à ce dernier dans le cadre de la succession de son père. Elle a par la suite prélevé à son profit, en 2007, dans un espace de temps assez court, la somme totale de 14 000 €. Le jeune garçon ayant été placé sous la tutelle du département, l’aide sociale à l’enfance agissant en qualité de tuteur a assigné la banque en versement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par l’enfant.
La cour d’appel fait droit à sa demande au motif que « les prélèvements effectués par la mère sur le compte de celui-ci (…) auraient dû, par leur répétition, leur importance et la période resserrée d’une semaine sur laquelle ils ont eu lieu, attirer l’attention de la banque et entraîner une vigilance particulière de sa part, s’agissant d’un compte ouvert au nom d’un mineur soumis à une administration légale sous contrôle judiciaire ».
3. La solution La Cour de cassation exclut, au contraire, la responsabilité de la banque : celle-ci n’est pas garante de l’emploi des capitaux fait par l’administrateur légal, même placé sous contrôle judiciaire. Elle statue en application des dispositions issues de la réforme de la protection juridique des majeurs (Loi 2007-308 du 5-3-2007) mais antérieures à celle de l’administration légale (Ord. 2015-1288 du 15-10-2015).
Cette solution est conforme à sa jurisprudence (Cass. 1e civ. 20-3-1989 n° 87-15.899 : Bull. civ. I n° 126, D. 1989 p. 406, note J. Massip, JCP N 1990 II p. 33, note Th. Fossier).
Elle montre combien il est délicat d’articuler l’autonomie de gestion de l’administrateur, la protection patrimoniale du mineur et la sécurité juridique des tiers, sans en passer par le sacrifice de l’un des intérêts en présence.
4. Rappel du contexte législatif Rappelons que dans le souci de renforcer la surveillance de la gestion du tuteur, la loi du 5 mars 2007 précitée a accru le rôle des mécanismes de contrôle de sa mission (Loi 2007-308 du 5-3-2007 ; N. Peterka, A. Caron-Déglise : Protection de la personne vulnérable Dalloz Action 2017-2018 n° 352. 22). Il en est ainsi tout spécialement de la surveillance de l’emploi ou du remploi des capitaux du mineur ou du majeur en tutelle. Non seulement, lorsqu’un subrogé tuteur a été nommé, il atteste auprès du juge des tutelles du bon déroulement des opérations que le tuteur a l’obligation d’accomplir, notamment en matière d’emploi ou de remploi des capitaux. Mais encore, les tiers, en particulier les prestataires de l’administrateur (notaires, établissements bancaires), s’ils ne sont pas garants de l’emploi des capitaux, peuvent néanmoins informer le juge des tutelles des actions ou des omissions de l’administrateur qui leur paraissent de nature à porter préjudice au mineur ou au majeur en tutelle (C. civ. art. 499, al. 1 et 2). Surtout, cette faculté est transformée en un devoir d’alerte si, à l’occasion de cet emploi, ils ont connaissance d’actes ou d’omissions qui compromettent manifestement l’intérêt de la personne protégée (C. civ. art. 499, al. 2). Le texte leur impose alors d’en avertir le juge des tutelles, à peine d’engager leur responsabilité civile à l’égard de celle-ci.
Si un tel renforcement du rôle de surveillance des tiers apparaît comme un utile contrepoids à l’autonomie de gestion de l’administrateur, l’arrêt du 11 octobre 2017 en réduit considérablement la portée, en renvoyant la sanction de la mauvaise gestion de ce dernier à ses rapports internes avec le mineur.
Le devoir d’alerte des tiers, un tempérament limité à l’autonomie de l’administrateur
5. Autonomie de l’administrateur légal Pour écarter la responsabilité civile de la banque à raison d’un manquement à une obligation de vigilance, l’arrêt relève que l'administrateur légal, même placé sous contrôle judiciaire, peut faire seul les actes d'administration, dont les dépôts ou retraits de fonds sur le compte du mineur, et que la banque n'est pas garante de l'emploi des capitaux. Il rappelle que, non seulement, les actes accomplis par l’administrateur dans le périmètre de ses pouvoirs immunisent la banque contre le risque d’une mise en jeu de sa responsabilité civile mais, encore, les tiers ne sont pas garants de l’emploi des capitaux du mineur ou du majeur en tutelle (C. civ. art. 499, al. 2).
La solution est conforme au souci tout à la fois d’assurer la fluidification de la gestion du patrimoine de la personne mineure ou majeure vulnérable et la sécurité juridique des tiers. Elle conduit à conférer à l’administrateur légal une parfaite indépendance de gestion pour procéder à l’investissement des capitaux de la personne protégée. Il est vrai qu’il est tenu, sous la tutelle, de respecter les prescriptions de l’ordonnance de gestion du juge des tutelles, relatives au remploi du prix d’aliénation des biens du mineur ou du majeur (C. civ. art. 501). En revanche, l’administrateur ne doit aucun compte aux tiers.
6. Ces derniers n’ont pas à entraver les opérations relatives aux avoirs du mineur ou du majeur par des contrôles qui ne leur incombent pas. Les tiers « ne sont pas garants de l’emploi des capitaux » de la personne protégée (C. civ. art. 499, al. 2 reprenant C. civ. art. 455 ancien issu de la loi 64-1230 du 14-12-1964). Ils ne peuvent donc être tenus responsables, en principe, des dysfonctionnements imputables à l’administrateur liés à une mauvaise utilisation des capitaux du mineur ou du majeur. C’est dire, par exemple, dans le cas de la vente d’un bien appartenant à la personne protégée, que l’acquéreur n’a pas à se préoccuper du remploi du prix d’aliénation, quand bien même il aurait été judiciairement prescrit dans l’ordonnance de gestion. La situation du notaire est, elle, plus délicate car, s’il n’est pas non plus garant de l’emploi des capitaux du mineur, il doit néanmoins s’assurer, à l’occasion de cet emploi, de la validité des actes qu’il instrumente.
7. Si elle peut surprendre de prime abord, comme apparaissant peu respectueuse de la protection patrimoniale de la personne vulnérable, la solution se justifie, à mieux y regarder, à l’aune de l’esprit du droit tutélaire. Il convient ici de rappeler la ratio legis du texte, lequel repose sur la volonté « d’éviter que la gestion tutélaire soit paralysée par la multiplication de formalités dont l’expérience du passé montre qu’elle peut se révéler désastreuse pour les personnes que l’on entend protéger et qu’il peut être nécessaire de permettre au tuteur de saisir les opportunités favorables qui peuvent se présenter » (Sur tout ceci, v. J. Massip : Tutelle des mineurs et protection juridique des majeurs Defrénois – Lextenso Editions 2009 n° 633 à 635).
8. Autonomie tempérée Au demeurant, si elle a conservé le principe de l’irresponsabilité des tiers, et notamment des établissements bancaires, dans la gestion des capitaux du mineur ou du majeur, la loi du 5 mars 2007 n’y a pas moins apporté un tempérament dans l’hypothèse où, à l’occasion de cet emploi, ils ont connaissance d’actes ou omissions qui compromettent manifestement l’intérêt de la personne protégée. Ils sont alors tenus d’en aviser le juge à peine d’engager leur responsabilité à l’égard de celle-ci.
9. Depuis la réforme de l’administration légale L’ordonnance du 15 octobre 2015 précitée a supprimé la soumission de l’administration légale aux règles de la tutelle, et donc à l’article 499 du Code civil, en abrogeant le renvoi opéré par l’ancien article 389-7 à ces dernières. Il n’en demeure pas moins que ces solutions sont transposables mutatis mutandis sous les nouveaux textes. Il est prévu que les tiers, « ayant connaissance d’actes ou omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou d’une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci », ont un devoir d’alerte du juge des tutelles (C. civ. art. 387-3, al. 2). Le texte complète cette disposition en précisant que « les tiers qui ont informé le juge de la situation ne sont pas garants de la gestion des biens du mineur faite par l’administrateur légal » (C. civ. art. 387-3, al. 3).
Il en résulte que leur responsabilité ne peut être recherchée ici, comme sous la tutelle (C. civ. art. 499, al. 2), qu’en cas de carence à leur devoir d’alerte, c’est-à-dire s’ils ont omis de dénoncer une situation manifestement et gravement préjudiciable au mineur.
10. Si elle fait écho à l’article 499, la règle n’en apparaît pas moins plus exigeante. Elle recouvre une plus grande variété d’opérations que celles visées sous la tutelle, dont le domaine d’application est limité aux seules hypothèses d’emploi ou de remploi des capitaux du tutélaire. La différence de rédaction des textes tient à ce que, sous l’administration légale, le devoir d’alerte des tiers est conçu comme un tempérament à la déjudiciarisation de la gestion des biens du mineur et à l’accroissement corrélatif des pouvoirs de l’administrateur légal unique.
Rappelons, en effet, que sous l’empire des dispositions antérieures, l’administrateur légal sous contrôle judiciaire ne pouvait accomplir sans l’autorisation du juge des tutelles que les seuls actes d’administration. L’ordonnance a étendu, dans le souci de parvenir à un traitement égalitaire de tous les modèles familiaux, cette autonomie de gestion à la plupart des actes de disposition. Désormais, l’administrateur, qu’il soit unique ou conjoint, peut en principe conclure, sans autorisation judiciaire, tous les actes relatifs aux biens du mineur, y compris les actes de disposition à l’exception des actes les plus graves (C. civ. art. 387-1) et de ceux soumis au contrôle renforcé du juge des tutelles (C. civ. art. 387-3, al. 1).
11. Devoir d’alerte des tiers… Dans ce contexte, le dispositif d’alerte des tiers doit contribuer, dans les situations à risque, à la mise en place de ce contrôle. Encore faut-il identifier les situations de nature à mettre en péril le patrimoine du mineur. Sur ce terrain, l’arrêt du 11 octobre 2017, dont la solution reste valable sous la tutelle, est particulièrement restrictif conformément aux dispositions de l’article 499 du Code civil. L’un des apports de l’arrêt est de montrer que les dysfonctionnements doivent être suffisamment caractérisés pour engager la responsabilité de la banque, laquelle ne peut se voir reprocher un manquement à un devoir de vigilance sur le seul fondement d’actes relevant des pouvoirs de l’administrateur.
12. en cas de détournement ou d’excès de pouvoirs… Pour que la responsabilité du tiers puisse être recherchée sur le fondement de l’article 499, alinéa 2, il faut donc que l’acte de l’administrateur soit constitutif d’un détournement ou d’un excès manifeste de pouvoirs et qu’il soit manifestement préjudiciable au mineur ou au majeur. L’article 387-3 reprend cette solution pour l’étendre à tous les actes de gestion manifestement et gravement préjudiciables au mineur (et non pas seulement à ceux relatifs à l’emploi ou au remploi de ses capitaux) ainsi qu’aux situations à risque pour ses intérêts patrimoniaux, telles que la détention par le mineur d’un patrimoine important ou complexe échappant à la compétence du ou des administrateurs ou l’existence d’un conflit aigu entre ces derniers.
13. mais pas seulement Loin de se réduire aux seuls détournements et dépassements de pouvoirs, les hypothèses de mise en œuvre de la responsabilité des tiers pour manquement à leur devoir d’alerte sur le fondement de l’article 387-3, alinéa 2 englobent donc, de manière très ouverte, toutes les situations susceptibles de mettre gravement en danger les intérêts patrimoniaux du mineur (N. Peterka, A. Caron-Déglise, préc., n° 126. 24). Il peut en être ainsi d’une situation patente de conflit d’intérêts entre l’administrateur légal et le mineur, de nature à porter un préjudice grave à ce dernier, dans le cadre du partage de la succession du parent prédécédé. Le texte impose, en pareil cas, au notaire d’en aviser le juge des tutelles. Peu importe que l’atteinte aux intérêts du mineur se soit déjà réalisée ou qu’elle soit probable.
En dehors de ces situations, le principe demeure celui de l’irresponsabilité des tiers à raison de la mauvaise gestion de l’administrateur, ce qui renvoie sa sanction aux rapports de ce dernier avec le mineur.
Les sanctions de la mauvaise gestion de l’administrateur
14. Responsabilité de l’administrateur L’arrêt du 11 octobre 2017 conduit à cantonner la réparation du préjudice découlant des dysfonctionnements de l’administration légale aux rapports du ou des parents et de l’enfant. « L'administrateur légal est tenu d'apporter dans la gestion des biens du mineur des soins prudents, diligents et avisés, dans le seul intérêt du mineur » (C. civ. art. 385 issu de l’ord 2015-1288 du 15-10-2015 art. 3 reconduisant la règle introduite par la loi 64-1230 du 14-12-1964).
À l'instar du tuteur, l'administrateur légal répond à l'égard de l’enfant de toute faute, même légère, commise dans sa gestion, pourvu qu'elle entraîne un préjudice pour ce dernier (C. civ. art. 386, al. 1, 412 et 496). Il en est ainsi, notamment, s'il passe un acte irrégulier sans se munir de l'autorisation du juge des tutelles (C. civ. art. 387-1) ou un acte interdit (C. civ. art. 387-2). L'action se prescrit alors par un délai de 5 ans à compter de la majorité de l'enfant ou de son émancipation (C. civ. art. 386, al. 4). Lorsque l'administration légale est exercée en commun par les deux parents, ces derniers sont solidairement responsables du préjudice que de tels actes pourraient causer au mineur (C. civ. art. 386, al. 2).
L'ordonnance de 2015 transpose par ailleurs, sous l'administration légale, le principe de la responsabilité de l'État à raison des fautes commises dans l'organisation et le fonctionnement de la tutelle par le juge et le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal de grande instance. L'action en responsabilité est en pareil cas dirigée contre l'État qui dispose d'une action récursoire (C. civ. art. 386, al. 3 et 412, al. 2). Ce risque contribue à favoriser l’individualisation de l’administration légale, dans les situations les plus dangereuses pour le patrimoine du mineur. Le juge dispose d’un éventail varié de mesures, s'étendant du contrôle des actes de disposition qu'il détermine, à la demande d'inventaire des biens du mineur et de ses actualisations ainsi qu'au contrôle des comptes de gestion de l'administrateur (C. civ. art. 387-3 à 387-5).
15. Actes inopposables ou nuls Au-delà du mécanisme de la responsabilité civile, la mauvaise gestion de l’administrateur impacte la validité des actes de gestion. Le régime commun de la représentation, issu de la réforme des contrats, a vocation, en l’absence de dispositions contraires, à s’appliquer sous l’administration légale (C. civ. art. 1156 et 1157 issus de l’ ord. 2016-131 du 10-2-2016 art. 2). Ces règles conduisent à rendre inopposables au mineur les actes faits par l’administrateur en dehors du périmètre de ses pouvoirs et à entacher de nullité les actes qu’il accomplit au détriment des intérêts de l’enfant.
Jusqu’à présent, la Cour de cassation conférait un effet très énergique à ces sanctions en interdisant au tiers ayant contracté avec l’administrateur légal agissant au nom du mineur, d’invoquer la théorie du mandat apparent (Cass. 1e civ. 17-5-2017 n° 15-24.840 FS-PB : Sol. Not. 8-9/17 inf. 190, JCP N 2017 n° 1235, note M. Storck, Defrénois 2017 n° 12 p.757, note J. Combret). À supposer qu'elle puisse être invoquée sous les nouveaux textes, le recours à cette théorie se heurterait de toute façon à l'obligation faite au tiers contractant de vérifier la réalité et l'étendue des pouvoirs de l'administrateur. Si bien que la validité ou l’efficacité de l’acte restent fragilisées (N. Peterka, Les actes interdits dans la gestion du patrimoine du mineur, Actes pratiques et stratégie patrimoniale, juill.-août-sept. 2017, Étude 19). Sur ce terrain aussi, la responsabilité du notaire pourra donc être recherchée.
Par Nathalie PETERKA Professeur à l’Université Paris-Est Créteil (UPEC, Université Paris 12) Directrice du Master 2 Droit privé des personnes et des patrimoines et du Master 2 Protection de la personne vulnérable