Les propriétaires d’un lot dans un lotissement, régi par un cahier des charges du 10 septembre 1925, assignent l’association syndicale libre (ASL) en annulation de la délibération d’assemblée générale ayant décidé, à la majorité qualifiée de l’article L 315-3 du Code de l’urbanisme (devenu L 442-10), de modifier le cahier des charges afin de réduire la largeur de la voie privée desservant le lotissement.
La cour d’appel rejette la demande.
Le pourvoi est rejeté, car :- les statuts de l’ASL, adoptés à l’unanimité des colotis, prévoient que les décisions portant sur une modification des pièces du lotissement doivent être prises à la majorité qualifiée de l’article L 315-3 du Code de l’urbanisme ;
- la délibération litigieuse a été adoptée à cette majorité ;
- la modification du cahier des charges n’avait pas à être approuvée par l’autorité compétente.
A noter : La nature hybride des lotissements, qui sont régis à la fois par des règles d’urbanisme de droit public et des règles procédant de volontés privées, est source de complexité juridique. En principe, depuis les réformes du 31 décembre 1958 et du 30 décembre 1967, les documents du lotissement peuvent être modifiés à l’initiative soit de l’autorité compétente (C. urb. art. L 442-11), soit des colotis (C. urb. art. L 315-3, devenu L 442-10). Cette deuxième procédure, introduite par la loi 67-1253 du 30 décembre 1967, prévoit que lorsqu’un certain nombre de propriétaires le demandent ou l’acceptent, le préfet peut prononcer la modification de tout ou partie des documents à condition qu’elle soit compatible avec la réglementation d’urbanisme.
Sur la question de savoir si la procédure de l’article L 315-3 doit être dans tous les cas respectée et si, partant, l’intervention de l’autorité administrative est nécessaire, la jurisprudence a évolué. La Cour de cassation a d’abord jugé que l’article L 315-3 n’autorisait pas les colotis, réunis en assemblée générale, à modifier le cahier des charges, fût-ce à l’unanimité, mais leur permettait seulement de demander à l’autorité compétente de procéder à la modification, cette autorité disposant d’un pouvoir d’appréciation (Cass. 3e civ. 20-5-1998 n° 96-16.639). La Cour de cassation a, dans un deuxième temps, admis la validité d’une modification du cahier des charges décidée à l’unanimité des colotis sans arrêté modificatif (Cass. 3e civ. 16-12-2008 n° 07-14.307, s’agissant d’un cahier des charges ayant conféré un caractère contractuel aux dispositions du règlement relatives à l’affectation des parcelles à l’usage d’espace vert), autorisant ainsi les colotis réunis en assemblée générale soit à procéder eux-mêmes à la modification du cahier des charges à l’unanimité, soit à saisir l’autorité compétente, à la majorité qualifiée de l’article L 315-3, afin qu’elle se prononce sur la demande de modification. Enfin, dans un troisième temps, la Cour de cassation a admis que la modification du cahier des charges qui a été adoptée à la majorité de l’article L 315-3, conformément aux stipulations de ce document, n’a pas à être approuvée par l’autorité compétente (Cass. 3e civ. 12-7-2018 n° 17-21.081 : SNH 26/18 inf. 1, s’agissant d’une clause relative à la hauteur des haies dont il n’était pas démontré qu’elle pourrait affecter la sécurité de la circulation dans le lotissement).
Il s’agit de la consécration d’une évolution jurisprudentielle qui tend à donner sa pleine portée au caractère contractuel du cahier des charges et à l’affranchir des conditions de l’article L 315-3 du Code de l’urbanisme (devenu L 442-10). Cette solution facilite les évolutions de ce document, puisque les colotis peuvent décider de le modifier sans qu’il soit nécessaire ni de recourir à un vote à l’unanimité, ni de faire approuver la modification par l’administration.
Le présent pourvoi posait la question de savoir si les colotis avaient pu valablement décider à l’unanimité, lors de la constitution de l’ASL, d’autoriser les modifications du cahier des charges à la majorité qualifiée de l’article L 315-3. La stipulation relative à la majorité requise ne se trouvait pas en effet dans le cahier des charges lui-même, mais dans les statuts de l’ASL. Peu importe répond la Cour de cassation : dès lors que ces statuts, adoptés à l’unanimité des colotis, ont fait entrer dans l’objet de l’ASL la modification des documents du lotissement et ont prévu les règles de majorité applicables, la logique de la liberté contractuelle qui a conduit à valider cette procédure de modification quand elle est stipulée dans le cahier des charges conduit, logiquement, à la même solution. C’est l’apport du présent arrêt.
Anne-Lise COLLOMP, Conseilleur référendaire à la Cour de cassation
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Vente immobilière n° 18110