1. De l’adoption de la réglementation aux premiers contentieux
La loi 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, qui a créé les articles L 225-102-4 et L 225-102-5 du Code de commerce, est entrée en vigueur depuis plus de quatre ans.
Elle prévoit que tout groupe dépassant certains seuils de nombre de salariés (au moins 5 000 salariés en France ou 10 000 salariés dans le monde) est tenu d’« établir et de mettre en oeuvre de manière effective des mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement ».
Le plan de vigilance consiste principalement en cinq mesures : une cartographie des risques, des procédures d’évaluation de la chaîne de valeur, des actions d’atténuation et de prévention, un mécanisme d’alerte et un dispositif de suivi de la mise en œuvre effective et efficace des mesures.
Il est publié et examiné avec attention par les ONG ou associations.
Les premiers contentieux relatifs au devoir de vigilance » sont apparus à la fin de l’année 2019, et aucune décision de fond n’a encore été rendue à ce jour.
2. Des contentieux « devoir de vigilance » aux sujets de plus en plus larges
Les premiers contentieux relatifs au devoir de vigilance avaient une dimension humanitaire et visaient des comportements considérés comme insuffisamment respectueux des droits de populations situées dans des pays émergents.
C’est le cas pour les actions judiciaires ayant visé le groupe EDF (construction d’un parc éolien au Mexique) et Total (projets d’exploration et de transport d’hydrocarbures Tilenga en Ouganda).
D’autres actions ont été initiées en matière de droits des travailleurs, qu’il s’agisse des salariés du groupe visé ou de ceux de ses sous-traitants.
Les sociétés Teleperformance (centres d’appels) et XPO Logistics (transport) ont ainsi fait l’objet de mises en demeure de la part d’organisations syndicales. La société Yves Rocher a été assignée par d'anciens employés de sa filiale turque, un syndicat et des ONG au motif que la liberté d'association et les droits fondamentaux des travailleurs turcs ne seraient pas respectés.
Une action à visée climatique a par ailleurs été engagée : des collectivités territoriales et associations ont enjoint à la société Total de publier un nouveau plan de vigilance comprenant une prévention du risque lié au réchauffement planétaire au-delà du seuil de 1,5°C fixé par l’Accord de Paris.
L’assignation à l’encontre de Danone exigeant « un plan de vigilance de déplastification » élargit encore le champ de ces actions.
3. Les questions soulevées par l’action judiciaire engagée à l’encontre de Danone
La loi sur le devoir de vigilance exige que chaque société identifie les « atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement » notamment dans le cadre de ses propres activités.
Le plan de vigilance doit recenser les mesures prises concernant ces « atteintes graves » ou « risques » identifiés.
Dans le cadre de l’action initiée devant le tribunal judiciaire, les trois associations environnementales (ONG), Zero Waste France, ClientEarth et Surfrider Foundation Europe semblent reprocher à Danone « non pas de ne rien faire » en matière de plastique mais de ne pas avoir appréhendé cette question dans leur plan de vigilance.
Or, à la différence de libertés fondamentales, l’on peut se demander si l’utilisation du plastique, elle-même réglementée par la loi et des règlements européens spécifiques, doit être incluse dans le champ du devoir de vigilance.
Les risques en matière d’environnement n’ayant pas été précisés par la loi (à la différence de l’Allemagne), il reviendra à la juridiction de déterminer si l’utilisation du plastique peut être qualifiée d’atteinte grave envers l’environnement au sens de la loi sur le devoir de vigilance.
La loi exige par ailleurs la mise en place de mesures raisonnables pour faire face aux atteintes graves identifiées.
La juridiction devra donc également – si elle estime que le plastique doit être appréhendé sous l’angle du devoir de vigilance – évaluer les mesures mises en place par Danone, notamment en matière de recyclage.
Or, comment évaluer le caractère « raisonnable » des mesures mises en place en la matière si ce n’est par rapport à la réglementation existante ?
Autant de questions que soulève cette nouvelle typologie de contentieux fondée sur des textes qui n’ont pas défini toutes les notions qu’ils impliquent.