Une SARL exploitant un magasin de bricolage (A) conclut un contrat avec la société Mr Bricolage pour utiliser cette enseigne. Le contrat, signé par les cogérants de la société A, dont ils sont les seuls associés, confère à la société Mr Bricolage un droit de préemption « en cas de cession des parts sociales ou actions assurant le contrôle de la personne morale qui exploite le magasin concerné ». Les gérants de la société A font apport de leurs parts sociales à une société tierce (B) qui en devient ainsi la seule associée. La société A est transformée en SAS avec un conseil de surveillance. La société B revend 49 % des actions de la société A à la société Bricorama et résilie avec préavis le contrat d'enseigne. La société B est nommée président de la société A et la société Bricorama président du conseil de surveillance de cette dernière. La société Mr Bricolage demande alors l'annulation de la cession et l’exécution forcée de son droit de préemption.
Saisie une première fois du litige, la Cour de cassation estime que le droit conventionnel de préemption vise les seules cessions de plus de 50 % des actions de la société A mais qu’il convient de rechercher si la cession de 49 % de ces actions n’est pas néanmoins constitutive d’une fraude à ce droit de préemption (Cass. com. 26-2-2013 n° 12-13.721 F-D : BRDA 6/13 inf. 26).
Devant la cour d'appel de renvoi, la société Mr Bricolage soutient que cette cession a bien eu pour conséquence de transférer le contrôle de la société A à la société Bricorama puisque les statuts modifiés lui donnent le pouvoir, en sa qualité de présidente du conseil de surveillance, de révoquer le dirigeant de la société A.
La cour d’appel de renvoi rejette l’argument car le pouvoir de révocation du président appartenant à la société Bricorama est subordonné à la caractérisation d’un motif grave.
La Cour de cassation censure la décision. En effet, les statuts attribuent à la seule société Bricorama le pouvoir de révocation du président qui, combiné aux autres prérogatives accordées à cet actionnaire minoritaire, est susceptible de lui conférer le contrôle sinon exclusif, à tout le moins conjoint, de la société A, éludant ainsi le droit de préemption de la société Mr Bricolage.
A noter : c’est sur le fondement du principe selon lequel la fraude corrompt tout que la Cour de cassation a rendu cette décision.
Le contrôle d’une société peut prendre différentes formes. Il peut notamment résulter de la détention d’une fraction du capital conférant la majorité des droits de vote, d’un contrôle conjoint avec un autre actionnaire agissant de concert ou encore du pouvoir de nommer ou de révoquer les dirigeants (C. com. art. L 233-3).
En l’espèce, si la cession critiquée ne conférait pas directement la majorité des droits de vote à l’acquéreur, la société Bricorama, les modifications statutaires qui avaient accompagné la cession ouvrait à cette dernière les autres voies de contrôle. Les statuts de la SAS A lui donnaient, en qualité de président du conseil de surveillance, la possibilité de convoquer une assemblée en vue de révoquer le dirigeant, ce dernier étant exclu du vote. Ce dirigeant étant la société B, titulaire de 51 % du capital, la société Bricorama détenait le pouvoir exclusif de le révoquer.
Selon les moyens, d’autres modifications statutaires conféraient à la société Bricorama un droit de veto et d’information sur « toute décision importante », un droit de « contrôle » sur tout acte excédant l’objet social et la possibilité de bloquer toute décision sociale par un absentéisme délibéré.
Enfin, la société B semblait « acquise » à la société Bricorama puisqu’elle avait été créée, en vue de permettre l’opération, par les anciens dirigeants de la société A qui en étaient les seuls associés.
C’est donc sciemment que la cession avait été limitée à 49 % pour échapper au droit de préemption alors que les parties avaient bien organisé un transfert du contrôle de la société A.
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Sociétés commerciales n° 69167