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La CJUE admet un report des congés payés acquis limité à 15 mois et 2 périodes de référence consécutives

La Cour de Justice de l'Union européenne confirme sa jurisprudence selon laquelle les États membres peuvent, en cas d’absence pour maladie, limiter la durée de la période de report des congés payés à 15 mois et ajoute que le salarié peut voir sa demande limitée à 2 périodes de référence consécutives.

CJUE 9-11-2023 aff. 271/22, XT. c/ Keolis Agen Sarl


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©Gettyimages

La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) confirme, dans une décision du 9 novembre 2023, la faculté pour les États membres d’instaurer une limite temporelle expresse au report des congés payés acquis mais non pris du fait de la maladie de longue durée. Une limitation peut, en effet, s’avérer nécessaire pour éviter un report illimité des congés acquis car un tel report ne répondrait plus aux finalités du congé payé.

En l’absence de dispositions nationales légales prévoyant une limite temporelle au report, la CJUE admet que des dispositions ou pratiques nationales permettent de faire droit à des demandes de congé payé introduites par un travailleur moins de 15 mois après la fin de la période de référence ouvrant droit à ce congé et limitées à 2 périodes de référence consécutives.

La CJUE examinait la demande de 5 salariés français

La CJUE répond à 2 questions préjudicielles posées par le conseil de prud’hommes d’Agen en février 2022, soit avant les arrêts de revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 qui, notamment, admettent désormais que le salarié malade acquiert des congés payés pendant les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie non professionnelle et pour accident du travail au-delà d’un an (Cass. soc. 13-9-2023 n° 22-17.340 et 22-17.638 FP-BR  ; Cass soc 13-9-2023 n° 22-10.529 FP-BR).

Le juge français a été saisi par 5 salariés ou anciens salariés d'une société  exploitant un réseau de transport en commun de l’agglomération d’Agen. Certains ont été licenciés pour inaptitude avec impossibilité de reclassement, d’autres sont toujours en poste, mais tous ont subi des arrêts de travail de plus d’un an pour maladie d’origine non professionnelle. Les salariés en poste ont demandé en vain à la société, à leur reprise du travail, de leur permettre de prendre les jours de congé annuel dont ils n’avaient pas pu bénéficier pendant leurs périodes de maladie. Ceux dont le contrat était rompu ont demandé le versement d’indemnités compensatrices de congés payés au titre des périodes de maladie. Ils ont saisi le conseil de prud’hommes en décembre 2019.

Afin de prendre une décision éclairée, le conseil de prud’hommes interroge la CJUE sur l’interprétation de l’article 7 § 1 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et lui pose les questions suivantes :

  • l’application d’un délai de report illimité à défaut de disposition nationale, réglementaire ou conventionnelle encadrant ledit report n’est-elle pas contraire à l’article 7 § 1 de la directive 2003/88/CE ?

  • quelle est la durée de report raisonnable des 4 semaines de congés payés acquis, au sens de l’article 7 § 1 de la directive 2003/88/CE, en présence d’une période d’acquisition des droits à congés payés d’une année ?

La CJUE ne répond pas à ces questions car il appartient aux États membres de définir les conditions d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé payé garanti par le droit de l’Union européenne. Elle vérifie juste si, en l’espèce, les demandes des salariés, présentées 15 mois après la fin de la période de référence et limitées à 2 périodes de référence consécutives, pourraient être recevables au regard du droit européen. A cette occasion, elle rappelle les conditions dans lesquelles les États membres peuvent limiter la période de report au-delà de laquelle les congés payés acquis sont perdus et elle apporte une nouvelle brique à sa construction jurisprudentielle en matière de limitation du cumul des congés reportables.

Il incombe aux États membres d’instaurer une limite temporelle au report des congés acquis

La CJUE rappelle sa jurisprudence selon laquelle un report illimité des congés acquis ne se justifie pas dans le cas de périodes de longue absence et peut être alors réduit par des dispositions ou pratiques nationales, par exemple à une période de 15 mois à l'expiration de laquelle le droit s'éteint (CJUE 22-11-2011 aff. 214/10).

En effet, un cumul illimité ne répond pas à la double finalité du congé payé, à savoir permettre au travailleur de se reposer par rapport à l'exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, d'une part, et disposer d'une période de détente et de loisirs, d'autre part. Au-delà d’une certaine limite, le congé ne garderait que sa qualité de période de détente et de loisirs, sans répondre à celle du repos (CJUE 22-11-2011 aff. 214/10 ; CJUE 22-9-2022 aff. 518/20 et 727/20).

La CJUE tient compte également de la nécessité de protéger l'employeur d'un risque de cumul trop important de périodes d'absence du travailleur et des difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l'organisation du travail (CJUE du 22-11-2011 aff. 214/10).

La CJUE semble donc admettre la nécessité de prévoir une limitation temporelle au droit au report, dès lors qu’un cumul illimité des droits à congé payé, acquis par un salarié en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives, ne serait pas conforme à la finalité du congé et préjudicierait aux intérêts de l’employeur. Certains auteurs l'affirment.

Elle rappelle toutefois que le travailleur, dont le droit au congé annuel payé est perdu à la fin d'une période de report, doit avoir été en mesure d'exercer ce droit en temps utile, ce qui n’est pas le cas si l’employeur a été défaillant (CJUE 22-9-2022 aff. 120/21 : RJS 1/23 n° 45). 

Il appartient à l’État membre, et non à la CJUE, de définir la durée de report applicable

 Le conseil de prud’hommes d’Agen demandait, en substance, à la CJUE de définir la durée de report applicable au droit au congé annuel payé, visé à l’article 7 de la directive 2003/88, en cas de période de référence égale à une année. La CJUE se déclare incompétente

La détermination d’une durée de report applicable au droit au congé annuel payé relève des conditions d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé annuel payé qu’il appartient aux seuls États membres de définir. Elle incombe, par conséquent, à la France. Le rôle de la CJUE se limite à vérifier si la durée de report fixée par un État membre ne porte pas atteinte au droit au congé annuel payé.

La limitation du droit au report répond à des conditions

Dans son arrêt du 9 novembre 2023, la CJUE rappelle que l’article 52 § 1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne soumet les limitations pouvant être apportées aux droits fondamentaux, à 3 conditions, à savoir :

  • être prévues par la loi,

  • respecter le contenu essentiel du droit consacré et,

  • conformément au principe de proportionnalité, être nécessaires et répondre effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union européenne (CJUE 22-9-2022 aff. 120/21).

Lorsque le droit national ne prévoit pas de limitation expresse du droit au report, ce qui est le cas de la législation française, la CJUE admet que la législation nationale ou une pratique nationale limite le report des congés payés (telles les règles de prescription, une convention collective ou la jurisprudence). Le gouvernement français faisait valoir à cet égard que, en l’absence de disposition expresse en droit national, s’applique le délai de prescription ordinaire de 3 ans prévu à l’article L 3245-1 du Code du travail. Mais le conseil de prud’hommes expliquait, en l'espèce que, selon lui, un arrêt de la Cour de cassation du 21 septembre 2017 conduit à appliquer un délai illimité, de sorte qu’il n’existerait pas de pratique nationale limitant le droit à report (Cass. soc. 21-9-2017 n° 16-24.022 FS-PBRI).

Sans se prononcer sur le dispositif qui mériterait d’être retenu par un État membre puisque cela n’est pas son rôle, la CJUE examine, in concreto, le litige soumis au conseil de prud’hommes d’Agen et en tire un enseignement circonstancié.

Le report des congés acquis limité à 15 mois et 2 périodes de référence consécutives est conforme au droit de l’UE

En l’espèce, la CJUE admet que les demandes présentées au conseil de prud’hommes d’Agen, limitées aux droit acquis et non exercés, en raison d’un arrêt de travail de longue durée, pendant 2 périodes de référence consécutive s et introduites moins de 15 mois après la fin de la période de référence, sont conformes à la finalité du congé payé annuel. Elle énonce d’une part que le congé cumulé pendant 2 périodes de référence consécutives conserve sa qualité de temps de repos pour le salarié concerné. Et, d’autre part, qu’un tel report ne semble pas de nature à exposer l’employeur à un risque de cumul trop important de périodes d’absence du salarié.

La CJUE décide donc que, lorsque le droit national ne prévoit pas de limite temporelle expresse au report de droits à congé annuel payé acquis et non exercés en raison d’un arrêt de travail pour maladie de longue durée, l’article 7 de la directive admet une législation nationale et/ou une pratique nationale qui permet de faire droit à des demandes de congé annuel payé introduites par un travailleur moins de 15 mois après la fin de la période de référence ouvrant droit à ce congé et limitées à 2 périodes de référence consécutives.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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