En 1981, des parents opèrent entre leurs trois enfants la donation et le partage d’une partie de leur patrimoine viticole : droits de moitié du donateur dans une société d’exploitation de vignes classées notamment hermitage et crozes-hermitage, parts de groupements fonciers agricoles (GFA), propriétaires desdites vignes. Aux termes de cet acte sous le sceau de l’égalité, les deux fils sont attributaires de parts de GFA et d’actions de la société d’exploitation, tandis que leur sœur reçoit un tènement constitué de bâtiments à usage de commerce et d’habitation. Plus de vingt ans après, en 2006, dans ses échanges épistolaires avec sa fille, le père codonateur écrit : « la cession au groupe à la fois des actions de la SA et des parts de GFA a été le révélateur de la valeur du groupe pour reprendre ton expression […] En 1981, le cadeau qui était fait à tes deux frères comportait le risque d’être un cadeau empoisonné. Il impliquait qu’ils consacreraient toute leur vie à la société. Ce qu’ils ont fait […] Le bien immobilier que tu as reçu ne s’est certes pas valorisé dans les mêmes proportions, mais c’est un bien qui ne pouvait se déprécier » ; « Tes frères ont reçu la pleine propriété des actions. Cette donation de la pleine propriété était parfaitement logique puisqu’ils travaillaient dans la société et que je prenais moi-même du recul par rapport à l’entreprise familiale. Elle présentait par ailleurs l’avantage considérable de faire échapper ces actions à ce qui s’appelait alors l’impôt sur les grandes fortunes à un moment où cet impôt nouveau suscitait les plus vives inquiétudes. » Lors de la rédaction de son testament authentique le 13 février 2008 par lequel il institue sa fille, avec d’autres, légataire universelle, le codonateur prend le soin de prévoir une clause pénale, ainsi rédigée : « En revanche, en cas de contestation de la donation-partage du 26 décembre 1981 de la part de ma fille, j’institue pour légataires universels mes petits-enfants par égales parts entre eux […]. »
Au décès de son père, la fille assigne ses cohéritiers en partage et demande la réduction de la libéralité-partage. En réponse, ces derniers critiquent sa qualité à agir pour demander le partage, par l’effet de la clause pénale : pour avoir contesté l’acte répartiteur de 1981, elle n’est pas membre de l’indivision successorale. La cour d’appel balaie cet argument, la clause pénale étant réputée non écrite. En effet, une telle clause n’est valable que si elle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit d’agir en justice du gratifié. Or, le fait de prévoir l’exhérédation pour empêcher la contestation de la donation-partage constitue une atteinte excessive au droit d’agir en justice (Conv. EDH art. 6 § 1).
Sans plus remettre en cause l’équilibre de la libéralité-partage de 1981, la fille requiert le rapport du reliquat des titres sociaux n’ayant pas été transmis lors de cet acte, soit 1 099 actions pour chacun des frères ou de leurs représentants. À raison, selon la cour d’appel, qui relève le défaut de preuve des cohéritiers de leur qualité de propriétaires sur ce reliquat et la volonté du père de le leur transmettre à titre gratuit ainsi qu’il résulte de sa correspondance avec sa fille. Pour quelle valeur ? Pas celle résultant de la plus-value apportée par l’activité personnelle des frères dirigeants de l’entreprise. Les juges du fond retiennent qu’avant la donation-partage le chiffre d’affaires de la société d’exploitation était modeste au regard de son évolution future. À compter de la transmission, de nouveaux investissements ont été opérés par les donataires-copartageants (construction d’un bâtiment de 4 800 m², cuverie neuve dotée d’un système de contrôle de température, aménagement d’un site de stockage, etc.), une nouvelle stratégie a été adoptée (exportation en croissance, politique commerciale haut de gamme) et des compétences ont été acquises (reconnaissance du travail d’assemblage des vins avec vinifications longues, maîtrise du vieillissement en fûts de chêne, etc.). Par conséquent, lesdites actions doivent être rapportées pour une valeur nominale non pas de 4 703 €, correspondant à la valeur actuelle, mais de 244 €.
A noter :
Cette affaire est la parfaite illustration des difficultés inhérentes à la transmission intrafamiliale d’une entreprise, quand bien même elle serait anticipée par l’un des moyens les plus sécurisants : la donation-partage.
On peut en tirer un premier enseignement, à propos de la rédaction de la clause pénale adjointe à une libéralité et des limites à son efficacité. La faculté de prévoir, à titre de sanction, la privation des droits de l’héritier réservataire contestataire dans la quotité disponible ne passe décidément plus le contrôle de proportionnalité. Ce type de clause est réputé non écrit comme portant une atteinte disproportionnée au droit d’agir en justice du gratifié (voir également, Cass. 1e civ. 16-12-2015 n° 14-29.285 FS-PBI : Sol. Not. 2/16 inf. 39 ; Cass. 1e civ. 13-4-2016 n° 15-13.312 FS-PB : Sol. Not. 6/16 inf. 130 ; Cass. 1e civ. 31-3-2021 n° 19-24.407 F-D : SNH 14/21 inf. 4). En l’espèce, la clause pénale insérée dans le testament visait à protéger la donation-partage régularisée des décennies plus tôt.
Autre enseignement, sous forme de rappel : il n’est pas tenu compte des améliorations (ou dégradations) dues à l'action du seul gratifié pour chiffrer le montant de son rapport. En effet, seul le donataire doit profiter (ou pâtir) des plus-values (ou moins-values) qu'il a procurées (ou infligées) de son propre fait au bien (C. civ. art. 860).