En 1966, une commune consent sur des terrains lui appartenant un bail emphytéotique à une société privée, en vue de la construction et de l’exploitation par celle-ci d’un village de vacances. Le bail stipule qu’à son échéance en 2022, les constructions deviendront la propriété de la commune.
En 2010, le conseil municipal approuve la vente des terrains à la société au prix de 1 000 000 €. La délibération est prise au vu d’un avis du service des domaines estimant à 994 000 € la valeur des terrains nus. Un conseiller municipal ayant présenté un recours contentieux, la délibération est annulée par la cour administrative d’appel qui relève que le prix de cession correspond sensiblement à l’estimation retenue par le service des domaines pour les seuls terrains, sans les constructions existantes. Elle en déduit que la commune a illégalement consenti une libéralité à la société.
Le Conseil d’État censure ce raisonnement car le prix de cession excède de 6 000 € la valeur estimée des terrains. Compte tenu des coûts de rénovation et de remise aux normes des constructions qui devraient être exposés pour poursuivre leur exploitation, il n’est pas exclu que le conseil municipal ait, implicitement, entendu valoriser à hauteur de cette somme la renonciation de la commune à en devenir propriétaire. Faute de s’être interrogée sur ce point, la cour a commis une erreur de droit.
Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État estime néanmoins que la délibération doit être annulée en raison d’un vice de procédure. Dans les communes de plus de 3 500 habitants, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal (CGCT art. L 2121-12, al. 1). Le défaut d'envoi de cette note ou son insuffisance entache d'irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n'ait fait parvenir aux membres du conseil municipal, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d'une information adéquate pour exercer utilement leur mandat (CE 14-11-2012 n° 342327, Cne de Mandelieu-la-Napoule : BPIM 1/13 inf. 10). En l’espèce, alors que la vente impliquait la renonciation de la commune aux constructions qui devaient entrer dans son patrimoine à l’échéance du bail, aucun document n’avait été transmis aux conseillers municipaux pour leur permettre d’estimer la valeur de la renonciation à ce droit. En effet, l’avis du service des domaines portait exclusivement sur la valeur des terrains nus et rien n’était dit sur la valeur des constructions compte tenu de leur état.
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A noter :
Toute cession d'immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles ; le conseil municipal délibère au vu de l'avis du directeur départemental des finances publiques (CGCT art. L 2241-1, al. 3 ; CGPPP art. R 3221-6). Alors même que la cession porte sur le domaine privé de la commune, la juridiction administrative est compétente pour connaître d'un recours en annulation dirigé contre la délibération qui l’approuve (CE sect. 3-11-1997 n° 169473, Cne de Fougerolles : Lebon p. 391).
La jurisprudence n’exclut pas que le prix de cession soit inférieur à la valeur du bien mais dans ce cas, l’opération doit être justifiée par un motif d’intérêt général et le contrat doit prévoir des contreparties suffisantes (voir, outre l’arrêt précité, CE 25-11-2009 n° 310208, Cne de Mer : BPIM 1/10 inf. 40). Autrement dit, le juge vérifie l’existence de motifs d’intérêt général et de contreparties, c’est-à-dire d’avantages pour la commune résultant de la cession, et leur caractère suffisant (CE 14-10-2015 n° 375577, Cne de Châtillon-sur-Seine : BPIM 6/15 inf. 400).
En l’espèce, la vente des terrains faisant l’objet du bail emphytéotique n’emportait pas à proprement parler cession à la société des constructions qu’elle avait réalisées car celles-ci lui appartenaient jusqu’à l’échéance du bail. En revanche, elle impliquait la renonciation de la commune au droit de devenir propriétaire des constructions à cette échéance, sans avoir à verser d’indemnités, comme le prévoyait le contrat. Cet élément devait être pris en compte pour fixer le prix de cession. Et le conseil municipal devait délibérer au vu de documents permettant de valoriser le droit auquel il était envisagé de renoncer, donc d’estimer la valeur des constructions compte tenu de leur état (apparemment dégradé puisque c’est en vue de réaliser un projet de rénovation que la société avait demandé à acquérir les terrains).
Signalons qu’à la suite de l’annulation pour vice de procédure de la délibération du conseil municipal autorisant la cession d’un bien du domaine privé, le conseil municipal peut procéder à l'approbation rétroactive de cette cession, en tenant compte de la situation, et notamment des prix de l’immobilier, à la date de la délibération annulée (CE 8-6-2011 n° 327515, Cne de Divonne-les-Bains : BPIM 4/11 inf. 315 ; CE 10-4-2015 n° 370223, Cne de Levallois-Perret : BPIM 3/15 inf. 202). Cette possibilité devrait pouvoir jouer en l’espèce dès lors que le Conseil d’État, à la différence de la cour administrative d’appel, a fondé l’annulation sur une irrégularité de procédure. Le conseil municipal pourra délibérer à nouveau au vu d’une estimation de la valeur des constructions en 2010. Mais c’est seulement dans l’hypothèse où leur état justifierait le montant très bas de 6 000 € qu’il pourrait confirmer rétroactivement la cession au prix de 1 000 000 € sur la base duquel le contrat de vente a dû être conclu avec la société à la suite de la délibération annulée.