Jean Sayag est intervenu sur le thème de la digitalisation du contrôle fiscal à la conférence « Arrêté des comptes et résultat fiscal 2016 » Les EchosEvents – PwC, avec la participation de la DFCG et des Editions Francis Lefebvre, qui s’est déroulée le 16 novembre 2016 à Paris. Il nous apporte son retour d’expérience de praticien et son éclairage sur les mesures législatives issues de la loi de finances rectificative pour 2016.
Que recouvre aujourd’hui la digitalisation du contrôle fiscal ?
La digitalisation du contrôle fiscal est multiforme et désormais prégnante. On pense notamment au fichier des écritures comptables (FEC), aux traitements informatiques dans le cadre du contrôle fiscal des comptabilités informatisées (CFCI), à la documentation de la piste d’audit fiable (PAF) et à la remise de la comptabilité analytique.
Le contrôle des comptabilités informatisées est un mode de contrôle ancien, qui a plus de 25 ans, mais il était d’un champ limité avant que le FEC ne soit créé. En effet, seule une minorité de contrôles fiscaux était associée à l’intervention d’un informaticien spécialisé, membre de la brigade de vérification des comptabilités informatisées (BVCI).
Aujourd’hui, le FEC révolutionne complètement cette pratique parce qu’il n’est plus dans les mains d’un informaticien mais du vérificateur général. Le FEC devient la pierre angulaire de la digitalisation : il est systématique. L’introduction d’un nouveau mode de contrôle à compter de 2017, l’examen de comptabilité dont le support quasi exclusif est le FEC, vient encore renforcer cette tendance.
Vous évoquez le FEC, dont la place est croissante dans les contrôles fiscaux. Après trois ans d’application, quel en est votre retour d’expérience ?
Pour l’administration, le FEC est une routine qui, selon elle, n’a pas demandé d’efforts particuliers aux entreprises pour se mettre en conformité…
Aujourd’hui, il est vrai que la grande majorité des entreprises est capable de produire un FEC conforme techniquement et qui cadre avec la balance générale.
Il faut avoir conscience que le FEC a changé la pratique du vérificateur. Cela n’a pas changé la démarche d’investigation menée à partir de la comptabilité, constituée d’allers-retours avec le contribuable relatifs à ses questionnements. En revanche, le FEC a changé l’approche du vérificateur qui ne raisonne plus de la même façon : la donnée informatique devient le cœur de ses préoccupations et travaux. L’intensité du contrôle fiscal se déplace désormais clairement sur l’analyse des données qui lui sont accessibles. Auparavant, son champ d’investigation était la balance générale constituée de quelques centaines de lignes ; maintenant, il dispose d’une vision sur les lignes comptables à la maille de chaque écriture ou transaction.
On constate en pratique que lors du dialogue avec le vérificateur, celui-ci reste souvent rivé sur son écran : le FEC devient de plus en plus le seul vecteur du contrôle.
Le FEC représente :
- un moyen d’investigation sur les axes traditionnels ;
- mais également une ouverture sur l’analyse statistique à l’intérieur d’un exercice, entre plusieurs exercices, et par la réalisation de comparaisons entre des entreprises dans un même domaine d’industrie ;
- et, bien entendu, une entrée vers une écriture comptable que le fiscaliste ne maîtrisait pas nécessairement.
Constatez-vous des difficultés persistantes liées au FEC lors des contrôles ?
Effectivement, des sujets importants perdurent sur la conformité comptable et la qualité de la donnée comptable :
- on constate depuis 2016 des demandes de la part des vérificateurs portant sur la justification de la conformité des systèmes d’information en raison, par exemple, de l’inexistence du chemin de révision ou de l’absence de certaines données dans le fichier ;
- l’administration considère depuis 2015 qu’il n’est plus possible de transcoder les données générées nativement par le système d’information. Or, lorsque la comptabilité n’est pas tenue nativement en normes françaises ou que le système d’information ne met pas en œuvre un véritable double jeu de comptes, la transcodification des données est le seul moyen pour les entreprises de remettre un FEC exploitable. Les entreprises doivent continuer leurs efforts de convergence vers une situation de conformité.
Quelles sanctions avez-vous constaté face à des FEC non conformes ?
En dépit du discours, on ne voit pas pour le moment de mouvement massif de rejet des fichiers ou d’application des pénalités pour non-conformité comptable mais cela reste un risque qui va aller croissant.
S’agissant des sanctions proprement dites concernant le FEC :
- la sanction de 10 % pour non remise, ou remise tardive, ou pour non-conformité technique ou comptable, est pratiquée de manière courante ;
- en revanche, le rejet de comptabilité et/ou l’opposition à contrôle fiscal qui est associé à une pénalité de 100 % des montants redressés en droits restent exceptionnels.
Quelles sont les conséquences ?
Le FEC ouvre la voie à un retour vers le CFCI, le contrôle des comptabilités informatisées. C’est un mode de contrôle traditionnel des données informatisées, mais le vérificateur général y est naturellement conduit par la nouvelle logique de raisonnement que l’analyse du FEC entraîne. La tendance est clairement à l’augmentation du nombre de CFCI lors des contrôles.
L’enjeu pour les entreprises devient donc la maîtrise de la donnée, ce qui doit les conduire à réfléchir au profil des fiscalistes et aux moyens dont elles doivent doter la direction fiscale pour lutter à armes égales avec les vérificateurs.
Les entreprises doivent donc se préparer, c’est-à-dire s’assurer que la documentation est en place, que le fonctionnement d’une équipe en mode projet existe, impliquant une équipe pluridisciplinaire et que les données ont bien été conservées. Un effort de préparation substantiel doit donc être accompli.
Pouvez-vous nous parler de la nouvelle procédure de contrôle fiscal créée par la loi de finances rectificative pour 2016?
L’article 14 de la loi de finances rectificative (LFR) pour 2016 introduit une nouvelle procédure dite d’examen à distance de comptabilité à compter du 31 décembre 2016.
En pratique, cette procédure est une alternative à la vérification de comptabilité sur place ou au contrôle sur pièces, qui perdurent bien entendu, et le choix entre ces procédures est laissé à la liberté d’appréciation de l’administration.
On peut s’attendre à ce que ce mode de contrôle nouveau ne soit pas limité aux TPE mais également utilisé pour les entreprises moyennes ou grandes relevant des Dircofi, voire de la DVNI.
Si l’administration retient cette nouvelle procédure, l’entreprise devra lui remettre son FEC dans les 15 jours suivant la réception de l’avis d’examen de comptabilité.
Ce délai prévu par la loi est extrêmement bref. Pour le respecter, les entreprises n’ont pas d’autre choix que de produire leur FEC en même temps que le dépôt de la liasse fiscale.
Bien que le Conseil constitutionnel ait validé la conformité de cette mesure, on peut douter de la qualité du débat oral et contradictoire à l’occasion de cette procédure.
Ce nouveau mode de contrôle marque, à n’en pas douter, un tournant dans les relations entre l’administration et les contribuables et dans la nature des contrôles effectués. Les entreprises qui n’auront pas mis en œuvre les moyens nécessaires pour produire leurs FEC et en maîtriser les données, verront leur position fiscale gravement fragilisée.
D’autres nouveautés modifient également la pratique du contrôle fiscal. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ce même article 14 de la LFR pour 2016 a, en outre, apporté des changements notables s’agissant des traitements informatiques demandés par l’administration aux contribuables dans le cadre des vérifications des comptabilités informatisées engagées à compter de 2017.
L’administration n’a pas voulu supprimer totalement la faculté de choix pour le contribuable des modalités de réalisation de la demande de traitement informatique, mais elle introduit des conditions de délai drastiques et la faculté de réaliser les traitements en parallèle des travaux du contribuable.
Ainsi, lorsque l’entreprise choisira d’effectuer elle-même les traitements, elle devra remettre à l’administration, dans les 15 jours suivant sa demande, une copie des fichiers soumis au contrôle. L’administration pourra alors effectuer sur ces fichiers tout ou partie des traitements informatiques qu’elle estime nécessaires dans le cadre du contrôle et les opposer à l’entreprise.
Lorsque le contribuable opte pour la réalisation des traitements par l’administration, il est désormais tenu de mettre à sa disposition, dans un délai de quinze jours suivant la formalisation de ce choix, une copie des fichiers et données concernées.
Ces nouveaux délais sont irréalistes et vont accroître de façon considérable les risques pour les services comptables et informatiques des entreprises. En effet, compte tenu de la complexité des ERP et de l’organisation souvent globalisée des DSI, plusieurs semaines, voire plusieurs mois sont nécessaires pour identifier et extraire les données permettant la réalisation de la demande de traitements. Les entreprises qui ne s’y sont pas préparées à l’avance risquent de se retrouver dans des situations intenables dans le cadre des contrôles fiscaux des comptabilités informatisées. Selon les cas, elles auront intérêt à changer de stratégie fiscale et choisir l’option consistant à confier à l’administration le soin d’extraire elle-même les données du système et de réaliser la demande de traitements. Il doit être noté que la pénalité qui accompagne ce délai est fixé à 10 % des droits rappelés. Les vérificateurs disposent donc désormais de nouveaux moyens de sanctionner les non conformités du FEC (10 %) et les retards dans le cadre du CFCI (10 %) qui peuvent être mis en œuvre facilement sans avoir recours à la procédure d’opposition à contrôle fiscal.
Une dernière recommandation aux entreprises ?
Ces changements vont une nouvelle fois modifier la physionomie du contrôle fiscal. Les moyens d’investigation du vérificateur étant renforcés, il aura à sa disposition une masse d’informations qu’il pourra analyser et croiser pour vérifier leur cohérence. Les entreprises qui ne se seront pas préparées − en produisant chaque année le FEC dès le dépôt de la liasse fiscale et en l’analysant avant contrôle ou avant examen par l’administration, en se mettant en conformité de manière pérenne pour faire face à un CFCI (documentation du SI, identification des flux critiques, préparation à la réalisation d’une demande de traitements sur ces flux, contrôle de l’archivage et conservation des données…) − seront en situation de risque majeur.
Encore une raison supplémentaire pour les entreprises de se préparer à cette nouvelle révolution digitale !
Propos recueillis par PwC, auteur du Feuillet Rapide comptable et du Mémento Comptable
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