Après, notamment, son arrêt du 16 mars 2023 (CA Grenoble 16-3-2023 no 21/02048 : voir notre actualité du 24/05/2023), la cour d'appel de Grenoble refuse une nouvelle fois d'appliquer le barème d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévu à l'article L 1235-3 du Code du travail (barème « Macron »), malgré la jurisprudence de la Cour de cassation. Rappelons que, d'après celle-ci, ce barème s'impose aux juges qui ne peuvent donc pas s'en écarter en fonction de la situation de l'espèce lorsqu'ils estiment qu'il ne permet pas d'assurer une réparation adéquate du préjudice subi (Cass. soc. 11-5-2022 nos 21-15.247 FP-BR et 21-14.490 FP-BR : voir notre actualité du 13/05/2022 ; Cass. soc. 1-2-2023 no 21-21.011 F-D ; Cass. soc. 6-9-2023 no 22-10.973 F-D).
Cette fois encore, cet arrêt de la cour d'appel de Grenoble mérite d'être signalé en raison de sa motivation.
Une nouvelle décision se référant à la position du CEDS ...
Les juges se réfèrent, en effet, aux décisions rendues par le comité européen des droits sociaux (CEDS), dans lesquelles celui-ci a conclu à la violation de l'article 24.b de la Charte sociale européenne au motif que le droit à une indemnisation adéquate ou toute autre réparation appropriée n'est pas garantie par l'application du barème, les plafonds qui y sont fixés n'étant pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime du licenciement injustifié et être dissuasifs pour l'employeur, et dans lesquelles il affirme également, en contradiction avec la position de la Cour de cassation, que ce texte est d'effet direct et peut, en conséquence, être invoqué par les travailleurs dans un litige les opposant à leur employeur du secteur privé (CEDS 23-3-2022 no 160/2018 ; CEDS 5-7-2022 no 175/2019). La cour d'appel souligne, à ce propos, qu'un tel effet a été reconnu par le Conseil d'Ėtat dans un conflit individuel opposant un salarié d'une chambre de métiers relevant du secteur public à son employeur (CE 10-2-2014 no 358992) et qu'il n'existe aucune justification objective permettant de traiter différemment le licenciement d'un salarié du secteur privé de celui d'un agent public.
... et à des décisions de juridictions étrangères…
Par ailleurs, les juges grenoblois relèvent que l'effet direct de l'article 24.b de la Charte sociale européenne a été reconnu par la Cour constitutionnelle italienne, qui a notamment jugé que ce texte a un effet contraignant pour l'Italie, et que le Tribunal suprême espagnol a fait directement référence à ce texte, de même que le tribunal supérieur de justice de Catalogne, ce dernier admettant précisément la possibilité d'une indemnisation du licenciement injustifié supérieure aux plafonds prévus par la loi espagnole. Ils jugent alors qu'il n'existe, là non plus, aucune justification objective au fait qu'une même norme internationale ayant fait l'objet d'une signature et d'une ratification par différents États, comme la Charte sociale européenne, puisse être invocable directement par un plaignant dans un litige entre particuliers dans certains États et pas dans un autre, et ce, d'autant plus que cette invocabilité a été reconnue en France par l'ordre juridictionnel administratif et que le CEDS a rappelé, dans sa décision précitée du 23 mars 2022, que la Charte n'énonçait pas de simples objectifs à atteindre, mais constituait une disposition contraignante pour les États parties qu'il appartenait aux juridictions de mettre en œuvre, et ce, dans l'hypothèse où l'État s'est estimé lié par cette disposition.
…ainsi qu’aux premières études sur l’application du barème
Enfin, ayant examiné les premières études de l'application du barème Macron, la cour d'appel de Grenoble en conclut qu'il ne permet pas une indemnisation adéquate des licenciements sans cause réelle et sérieuse en particulier, mais pas exclusivement, pour les salariés ayant une ancienneté réduite.
Le barème est écarté compte tenu de la situation du salarié
En l'espèce, la cour d'appel écarte l'application du barème, qui garantissait au salarié concerné une indemnisation équivalant à un mois de salaire au maximum compte tenu de son ancienneté, et a fixé le montant de son indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaire après avoir pris en compte son âge au jour de la rupture du contrat de travail (55 ans), les ordonnances médicales produites justifiant de la prescription concomitante d'anxiolytiques, le différentiel de 11 000 euros entre la rémunération qu'il aurait eue s'il avait continué à travailler et le montant des allocations de chômage perçues.
A noter :
S'appuyant sur les rapports du CEDS, le comité des ministres du Conseil de l'Europe a recommandé à la France de poursuivre ses efforts visant à garantir aux victimes de licenciement sans motif valable un montant d'indemnité dissuasif pour l'employeur et de réexaminer et modifier, le cas échéant, la législation et les pratiques pertinentes afin de garantir aux intéressés une indemnisation tenant compte du préjudice réel subi et des circonstances individuelles de leur situation. Il invite la France à rendre compte des décisions et mesures prises pour se conformer à cette recommandation (Recommandation CM/RecChS(2023)3 du 6-9-2023).
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