La délégation du personnel au comité social et économique (CSE) a notamment pour mission de représenter les salariés auprès de l’employeur, notamment en lui présentant leurs réclamations individuelles ou collectives. A cet effet, les représentants du personnel bénéficient du droit de circuler et de se déplacer librement dans et hors de l'entreprise en vue de prendre tous contacts nécessaires à l'accomplissement de leur mission.
Prévue par la loi pour les membres du CSE (C. trav. art. L 2315-14) et les délégués syndicaux (C. trav. art. L 2143-20), la liberté de circulation a été étendue par l’administration aux représentants de section syndicale (Circ. DGT 20 du 13-11-2008).
Circuler librement dans l’entreprise, tant durant les heures de délégation qu'en dehors de leurs heures habituelles de travail, n’entraine en pratique que peu de difficultés pour les représentants du personnel, sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l'accomplissement du travail des salariés. Le fait pour un employeur d'interdire à un représentant du personnel tout déplacement dans l'entreprise est ainsi constitutif du délit d'entrave (Cass. crim. 1-2-1983 n° 82-90.997).
La problématique est tout autre lorsque les salariés à contacter travaillent hors de l’entreprise, par exemple dans des unités dispersées, sur des chantiers ou encore, comme c’est le cas dans la présente affaire, dans des entreprises tierces, clientes de l’employeur.
Le CSE demande la liste des salariés travaillant chez des clients afin de les contacter
Dans une unité économique et sociale (UES), composée de six établissements, le CSE de l’un d’eux, dont la grande majorité des salariés exercent leur activité directement chez les clients, a demandé à l’employeur la liste nominative des travailleurs par « site client » et les lieux de leurs interventions, au nom de la possibilité pour ses membres de prendre tous contacts individuels nécessaires à l’accomplissement de leur mission.
Face au refus de l’employeur, constitutif selon les représentants du personnel d’un trouble manifestement illicite résultant d’une entrave à l'exercice de leurs fonctions, le CSE a assigné la société devant la juridiction des référés aux fins d'obtenir la communication de ces éléments.
Les juges du fond imposent à l’employeur de transmettre la liste chaque mois au CSE
Saisie du litige, la cour d’appel de Versailles donne raison au CSE et ordonne à l’entreprise de transmettre à celui-ci, pendant 2 ans, au plus tard le 10 de chaque mois, la liste nominative, dans le périmètre du comité, des salariés par « site client » et les lieux de leurs interventions.
Selon les juges du fond, la faculté offerte par la loi aux membres du CSE de prendre les contacts nécessaires à l’exercice de leur mission suppose une individualisation du contact avec les salariés, notamment à leur poste de travail. Il en résulte que l’employeur doit leur fournir régulièrement la position de chaque salarié, sur chacun des sites, un échange de courriers électroniques ne pouvant suppléer la spontanéité d'un contact sur place.
Selon l’employeur, il n’existe pourtant aucune obligation légale lui imposant de transmettre aux représentants du personnel des informations individuelles sur l'affectation de chaque salarié ou la liste nominative des salariés travaillant sur chacun des sites d'une entreprise cliente.
Il reproche donc aux juges du fond de le soumettre à une telle obligation, alors même que l'effectivité du droit des membres du CSE à la prise de contact avec les salariés sur leur poste de travail est bien assurée par la communication de la liste des sites où travaillent ces derniers et de l'adresse électronique professionnelle de chaque salarié, ainsi que par la diffusion, auprès du personnel, des coordonnées des membres du CSE.
Pas de trouble manifestement illicite pour la Cour de cassation
Sensible aux arguments de l’employeur, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de Versailles. La Haute Juridiction conclut en effet à l'inexistence d'un trouble manifestement illicite résultant de l'impossibilité pour les membres du CSE de prendre tout contact nécessaire à l'accomplissement de leur mission auprès des salariés à leur poste de travail dans une entreprise tierce.
A l’appui de sa décision, le juge suprême relève que les membres du comité disposaient de la liste des sites d'intervention des salariés rattachés au périmètre du comité ainsi que du nombre des salariés présents sur ces sites et pouvaient prendre contact avec les salariés par leur messagerie professionnelle.
A noter :
Le Code du travail impose à l’employeur de permettre une prise en compte effective des intérêts des salariés exerçant leur activité hors de l'entreprise (C. trav. art. L 2315-1). Commet un délit d’entrave celui qui refuse de communiquer aux représentants du personnel toute information sur l'implantation des chantiers, les effectifs et les horaires des salariés (Cass. crim. 5-10-1982 n° 81-95.163 P) ou qui leur refuse l'accès des locaux où est installée une nouvelle unité de production (Cass. crim. 17-11-1982 n° 81-82.094 F-D).
Toutefois, une entreprise tierce n’est pas tenue de laisser circuler librement en son sein les représentants du personnel d’une autre entreprise et peut donc leur refuser l'accès (Cass. soc. 30-1-1991 n° 89-17.333 P : RJS 3/91 n° 341). Dans ce cas, l'employeur doit justifier du refus de l’entreprise tierce et permettre aux salariés de revenir temporairement dans leur entreprise d’origine pour s'entretenir librement avec leurs représentants du personnel (CA Versailles 14-12-2006 n° 05-5775 : RJS 4/07 n° 538).
Faute de trouble manifestement illicite, la mesure d’urgence prise par les juges du fond sur le fondement de l’article 835 du CPC est donc illégale. Il appartiendra par conséquent à la cour d’appel de Paris, devant laquelle l’affaire est renvoyée, de statuer de nouveau sur l’entrave supposée à l’exercice des fonctions des représentants du personnel.
Retrouvez toute l'actualité sociale décryptée et commentée par la rédaction Lefebvre Dalloz dans votre Navis Social.
Vous êtes abonné ? Accédez à votre Navis Social à distance
Pas encore abonné ? Nous vous offrons un accès au fonds documentaire Navis Social pendant 10 jours.