Une femme décède et laisse pour lui succéder ses trois filles. L’une d’elles bénéficie, en plus des droits légaux, du legs du quart des biens. Lors du règlement de la succession, des difficultés surviennent. Les deux « simples » héritières assignent leur sœur en partage. Dans le cadre des opérations liquidatives, la cour d’appel ordonne au notaire de retenir la valeur des biens meubles telle qu’elle a été estimée par une société d’experts consécutivement à l’inventaire réalisé cinq mois après le décès. L’une des héritières conteste cette estimation : les biens à partager sont en principe estimés à la date de jouissance divise telle qu’elle est fixée à l’acte de partage (C. civ. art. 829, al. 1).
La Cour de cassation accueille le pourvoi et casse l’arrêt de la cour d’appel. Elle rappelle non seulement le principe invoqué par la requérante mais aussi le fait que :
la date de jouissance divise est la plus proche possible du partage (C. civ. art. 829, al. 2) ;
toutefois, le juge peut fixer la jouissance divise à une date plus ancienne si le choix de cette date apparaît plus favorable à la réalisation de l'égalité (C. civ. art. 829, al. 3).
En l’espèce, pour retenir la valeur estimée par expert lors de l’inventaire, les juges du fond avaient relevé que les deux sœurs, par leur carence dans le versement d’une provision d’expertise mise à leur charge, n’avaient pas permis d’actualiser la valeur de ces biens. Ce n’était pas l’objet du débat en réalité. La date de jouissance divise n’avait pas encore été fixée, de sorte que la valeur des biens pouvait encore évoluer : l’estimation des experts ne pouvait être considérée comme définitive.
A noter :
La date de jouissance divise n'est ni la date du décès, ni celle du partage lui-même. C'est la date de l'arrêt des comptes de la liquidation successorale, qui doit être la plus proche possible du partage (C. civ. art. 829, al. 2 ; pour une illustration, Cass. 1e civ. 22-5-2007 n° 06-10.152 F-D). Dans le cadre d’un partage judiciaire comme ici, le juge a la faculté de fixer la date de jouissance divise à une date plus ancienne en fonction des circonstances de la cause et des intérêts respectifs des copartageants, si ce choix paraît plus favorable à la réalisation de l'égalité (C. civ. art. 829, al. 3 ; pour des illustrations, Cass. 1e civ. 26-6-2013 n° 12-13.366 F-PB : AJ fam. 2013 p. 517 obs. A. de Guillenchmidt-Guignot ; Cass. 1e civ. 15-1-2020 no 18-17.324 : JCP N 2020. 1139, obs. A. Tisserand). En l’espèce, rien n’empêchait de retenir l’estimation des experts, mais encore fallait-il, notamment, que la jouissance divise soit fixée par le juge à une date qui coïncidait avec celle de l’estimation. Or, tant que la date de jouissance divise n’est pas fixée, la valeur des biens ne l’est pas non plus. Dans pareil cas, la valeur des biens à partager retenue dans une décision, même définitive, peut faire l'objet d'une réévaluation (Cass. 1e civ. 8-4-2009 n° 07-21.561 F-PB : BPAT 3/09 inf. 119, Defrénois 2009 act. n° 128 p. 1079 ; Cass. 1e civ. 3-3-2010 n° 09-11.005 F-PB ; Cass. 1e civ. 1-12-2021 n° 20-13.563 F-D : BPAT 1/22 inf. 60-18). Rappelons enfin que le jugement définitif qui évalue ces biens ou créances sans fixer la date de jouissance divise n'a pas autorité de chose jugée quant à ces évaluations (Cass. 1e civ. 21-6-2023 n° 21-24.851 FS-B : BPAT 5/23 inf. 211, à propos d’une indivision postcommunautaire mais transposable).