L'habitat indigne ou dégradé est particulièrement présent en Outre-mer. Il y est estimé à environ 100 000 logements, dont 11 000 logements insalubres (Fondation Abbé-Pierre, Rapport sur l'état du mal-logement en France 1-2-2024, p. 4). Dans ces régions, l'indivision successorale est une cause de dégradation du bâti. Elle est aussi le principal frein à l'usage du foncier. Ces problématiques ont déjà été traitées par la loi Letchimy, qui visait notamment à faciliter la gestion et la sortie des indivisions successorales de plus de 10 ans dans les collectivités d'outre-mer (Guadeloupe, Martinique, La Réunion, Guyane, Mayotte) et dans celles de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon (Loi 2018-1244 du 27-12-2018 : JO 28 texte 1 : SNH 1/19 inf. 8, Loi Letchimy : l'outil pour régler les indivisions successorales anciennes et pléthoriques ? : SNH 2/21 inf. 21). Mais il fallait aller plus loin. C'est pourquoi le dispositif existant a été précisé et enrichi par la loi du 9 avril 2024 relative à la lutte contre l'habitat dégradé (art. 51), entrée en vigueur le 11 avril 2024.
Les améliorations
Prolongement du dispositif « Letchimy »
En application de la loi Letchimy, les actes de vente et de partage de biens immobiliers peuvent se décider avec la moitié des droits indivis, au lieu de l'unanimité requise en droit commun ; cette même règle de majorité s'applique, contre les deux tiers en droit commun, pour la gestion des biens indivis (mandat général d'administration, baux d'habitation, actes d'administration, ventes de meubles pour payer les dettes et charges de l'indivision notamment).
Initialement valable jusqu'au 31 décembre 2028, ce dispositif est prolongé jusqu'au 31décembre 2038 (Loi 2018-1244 précitée art. 1 modifié par loi 2024- 322 art. 51, II-2°).
Il en va de même de l'exonération du droit de partage de 2,5 % (CGI art. 750 bis C modifié par loi 2024-322 art. 51, I).
Acte de notoriété pour confirmer le seuil de majorité.
Désormais, pour l'appréciation de l'atteinte de ce quorum de la moitié des droits indivis, il peut être dressé à la demande d'un ou de plusieurs indivisaires un acte de notoriété : celui-ci contient l'affirmation qu'ils sont, seuls ou avec d'autres qu'ils désignent, propriétaires indivis du bien et dans quelles proportions (Loi 2018-1244 précitée art. 1, III bis créé par loi 2024-322 art. 51, II-1°).
Procédure simplifiée de notification des projets de vente et de partage
Pour vendre ou partager des biens immobiliers indivis, le notaire choisi devait, outre les mesures de publication, notifier le projet par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires.
Nouvelles précisions : la notification est faite aux indivisaires qui ne sont pas à l'initiative du projet. Pour les autres, le projet leur sera remis en main propre (Loi 2018-1244, art. 2 modifié par loi 2024-322 art. 51, II-3°). Cela permet d'alléger la procédure pour le notaire et le coût des envois, souvent nombreux et lointains, des actes extra-judiciaires.
Les nouveautés
Dispositif dérogatoire temporaire de partage judiciaire par souche
Si le partage s'opère en principe par tête, il se fait par souche en cas de représentation (C. civ. art. 827). Dans les territoires d'outre-mer susvisés, où les successions s'étendent parfois à plusieurs dizaines de personnes et sur plusieurs générations, le partage judiciaire des successions ouvertes depuis plus de 10 ans peut également se faire par souche (Loi 2024-322 art. 51, II-4°) :
lorsque la masse partageable comprend des biens immobiliers dépendant de plusieurs successions ;
et lorsque ces biens ne peuvent être facilement partagés ou attribués :
en nature compte tenu du nombre important d'indivisaires,
par tête compte tenu de la complexité manifeste à identifier, à localiser ou à mettre en cause l'ensemble des indivisaires dans un délai et à un coût raisonnables. Dans ce dernier cas, la demande de partage par souche doit faire l'objet d'une publicité collective ainsi que d'une information individuelle s'agissant des indivisaires identifiés et localisés dans le temps de la procédure. Toute personne intéressée dispose d'un délai d'un an à compter de l'accomplissement de la dernière des mesures de publicité ou d'information pour intervenir volontairement à l'instance. À l'expiration de ce délai, les interventions volontaires restent possibles si l'intervenant justifie d'un motif légitime, apprécié par le juge, l'ayant empêché d'agir. Le partage par souche peut avoir lieu si au moins un indivisaire par souche est partie à l'instance. Tous les membres d'une même souche sont considérés comme représentés dans la cause par ceux qui ont été parties à l'instance, sauf s'il est établi que leur défaillance n'est pas de leur fait ou qu'elle est due à une omission volontaire du requérant.
Ce dispositif est inspiré de celui existant en Polynésie française depuis la loi 2019-786 du 26 juillet 2019 (art. 5). Sont concernées les demandes en partage introduites entre le 11 avril 2024 et le 31 décembre 2038.
Indivisaire omis
Toujours dans les territoires d'outre-mer susvisés, en cas de partage judiciaire déjà publié ou exécuté par l'entrée en possession des lots, l'héritier omis par simple ignorance ou erreur ne pouvait que demander sa part en nature ou en valeur sans annulation du partage. Désormais, ce dispositif s'applique à tous les partages, judiciaires ou non, et l'indivisaire omis ne peut plus réclamer sa part en nature : seule une compensation en valeur est possible (Loi 2018-1244 art. 5 modifié par loi 2024-322 art. 51, II-5°). Une éventuelle vente auprès d'un tiers acquéreur est ainsi sécurisée.
Délai d'option
Depuis le 11 avril 2024, les règles de l'option successorale permettant de contraindre un héritier à accepter ou non la succession à l'issue d'un délai de quatre mois à compter de l'ouverture de celle-ci (C. civ. art. 771 à 775) sont applicables aux successions ouvertes avant le 1er janvier 2007 et non encore partagées à cette date (Loi 2024-322 art. 51, II-6°). Les autres héritiers peuvent ainsi sommer l'héritier inactif de prendre parti. Ce régime dérogatoire permet de sortir du champ de l'article 47 de la loi du 23 juin 2006, qui prévoit que les dispositions relatives à l'option sont applicables aux successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007.
Prescription acquisitive
Enfin, pour accélérer le « titrement » par prescription, deux entorses au droit commun ont été créées spécialement pour ces territoires d'outre-mer, sauf Saint-Pierre-et-Miquelon (Loi 2024-322 art. 51, III-2°) :
si le délai de prescription acquisitive est en principe de 30 ans (C. civ. art. 2272, al. 1), il est de 10 ans dans ces territoires pour la période courant du 11 avril 2024 au 31 décembre 2038 ;
la qualité de la possession pour prescrire (C. civ. art. 2261) est assouplie : la possession par un indivisaire d'un immeuble dépendant d'une succession ouverte avant le 11 avril 2024 et non partagée à cette date est réputée non équivoque, y compris durant la période de possession antérieure au 11 avril.
Conclusion
Le dispositif proposé par la loi Letchimy, censé relancer le marché immobilier en outre-mer, a été jusque-là peu mobilisateur. Gageons que la loi de lutte contre l'habitat dégradé permettra, grâce aux améliorations et nouveautés apportées, de débloquer les innombrables situations d'indivisions successorales en outre-mer (plus d'un tiers du foncier concerné dans ces régions).