Dans les sociétés civiles, les décisions qui excèdent les pouvoirs des gérants sont prises dans les conditions fixées par les statuts ou, à défaut, à l’unanimité des associés (C. civ. art. 1852). Cette disposition est applicable aux groupements fonciers agricoles (GFA) (C. rur. art. L 322-1).
Les statuts d’un GFA comprenant neuf associés prévoient que les décisions extraordinaires doivent être adoptées « par la majorité en nombre des associés présents ou représentés, représentant au moins les trois quarts du capital social ». Lors d’une assemblée extraordinaire à laquelle tous les associés étaient présents ou représentés, les résolutions recueillent 4 voix « contre » et 5 voix « pour » , sans que ces dernières ne représentent les trois quarts du capital. Le GFA considère que la clause exigeait, d’une part, un quorum (au moins les trois quarts du capital social devaient être présents ou représentés à l'assemblée) et, d’autre part, la majorité en nombre des associés présents ou représentés et que les résolutions ont été adoptées.
Un associé demande en justice leur annulation, invoquant une autre lecture de la clause : celle-ci instituait une règle de double majorité si bien que les décisions devaient être adoptées par la majorité en nombre des associés présents ou représentés et par les associés représentant au moins les trois quarts du capital.
La cour d’appel de Dijon rejette sa demande, en retenant que la clause statutaire instituait une règle de quorum, comme le soutenait le GFA. En effet, la construction de la phrase et la comparaison avec les autres dispositions des statuts tendaient à confirmer cette lecture. En tout état de cause, ajoute la cour d’appel, la nullité des décisions n’était pas encourue car seule la violation d’une disposition impérative au sens de l’article 1844-10 du Code civil pouvait entraîner une telle nullité (C. civ. 1844-10, al. 3) ; or la possibilité prévue par l’article 1852 de ce Code d’aménager dans les statuts les modalités d’adoption des décisions collectives ne s’analyse pas en une telle règle impérative.
C'est à tort, juge la Cour de cassation, que la cour d’appel avait considéré que la nullité des résolutions n’était pas encourue en cas de violation de la clause statutaire fixant les conditions d’adoption des décisions collectives. La Cour suprême a néanmoins rejeté le pourvoi : c'est par une interprétation souveraine, que l'ambiguïté de la clause rendait nécessaire, que les juges d'appel avaient considéré que les résolutions avaient été régulièrement adoptées.
A noter :
1° La nullité des délibérations des organes d’une société civile ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du titre IX du livre III du Code civil consacré aux sociétés ou des causes de nullité des contrats en général (C. civ. art. 1844-10, al. 3).
Il a été jugé que l’inobservation d’une clause des statuts n’est pas sanctionnée par la nullité (Cass. 3e civ. 13-4-2010 n° 09-65.538 : RJDA 7/10 n° 764), sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté ouverte par une disposition impérative d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci (Cass. com. 19-3-2013 n° 12-15.283 F-PB : RJDA 6/13 n° 533). La nullité est donc encourue en cas de non-respect d’une clause des statuts qui constitue le prolongement d’une disposition légale impérative.
La troisième chambre civile de la Cour de cassation a déjà énoncé que le principe d'unanimité prévu par l'article 1852 du Code civil à défaut de clause statutaire relève des dispositions impératives au sens de l'article 1844-10, de sorte que la violation de ce principe ou des règles statutaires qui l'aménagent est sanctionnée par la nullité (Cass. 3e civ. 5-1-2022 n° 20-17.428 FS-B : RJDA 4/22 n° 205). La chambre commerciale retient ici, elle aussi, cette solution.
2° La présente décision illustre tout le soin qui doit être apporté à la rédaction des statuts des sociétés civiles. Il en va de même dans les autres formes sociales lorsque les statuts peuvent librement fixer les conditions d’adoption des décisions collectives, notamment les sociétés par actions simplifiées, les sociétés en nom collectif, les groupements d’intérêt économique ou encore, pour les décisions ordinaires, les sociétés en commandite simple (C. com. art. L 221-6, L 227-9, L 222-2 et L 251-10).
En l’espèce, les conséquences pratiques de l’interprétation de la clause étaient importantes : en cas de règle de double majorité, l’associé qui agissait en nullité détenait 36,3 % du capital social et bénéficiait donc d’une minorité de blocage, alors qu’il en était privé si la clause instituait une simple règle de quorum.
Pour interpréter la clause, la cour d’appel s’était fondée sur la construction grammaticale de la phrase, les mots « représentant au moins les trois quarts du capital » apparaissant se rattacher au groupe de mots précédent (les associés présents ou représentés). La cour a également comparé la clause avec celle prévoyant l'adoption des décisions ordinaires « par des associés représentant plus de la moitié du capital social, à la majorité des voix des associés présents ou représentés ». Pour les juges d'appel, celle-ci instituait clairement une règle de double majorité et il résultait de cette différence de formulation que les rédacteurs des statuts n’avaient pas entendu appliquer le même mécanisme aux décisions extraordinaires.
Dans une affaire où les statuts d'un GFA comportaient des dispositions identiques, une autre cour d’appel avait retenu au contraire que les statuts avaient posé le principe d'une double majorité pour les décisions extraordinaires, considérant que ces décisions devaient être prises avec un maximum de consensus et que la virgule insérée avant les mots « représentant au moins les trois quarts du capital» impliquait que ceux-ci ne se rapportaient pas aux « associés présents ou représentés » mais visaient « la majorité des associés », si bien que cette virgule avait le même sens que la conjonction « et » (CA Angers 22-3-2011 n° 10/265 : RJDA 11/11 n° 933).
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