1. Depuis un an, les débiteurs et les organes de la procédure collective sont confrontés aux nouvelles dispositions du Code de commerce issues de l’ordonnance 2014-326 du 12 mars 2014.
Afin notamment de responsabiliser le débiteur dans la conduite de sa procédure collective, cette ordonnance a introduit un alinéa 3 à l’article L 622-24 du Code de commerce qui dispose : « Lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance […] ».
2. Les mandataires judiciaires présentent désormais aux débiteurs deux listes de créances : celles qui ont été déclarées par le créancier et celles qui ont été « portées à leur connaissance » par le débiteur en application de l’article L 622-24, al. 3 du Code de commerce.
Cette seconde liste fait l’objet de discussions, dont l’enjeu est de limiter le passif du débiteur à ce qui a été strictement déclaré pour que celui-ci puisse présenter au tribunal un projet pérenne de plan de sauvegarde ou de plan de redressement par voie de continuation.
Les dispositions réglementaires du Code de commerce issues du décret 2014-736 du 30 juin 2014 donnent de nombreuses réponses, mais laissent aussi subsister des incertitudes que le débiteur doit anticiper s’il ne veut pas que soient inscrites à son passif des créances qu’il n’aurait pas entendu déclarer.
3. Les créances qui doivent être prises en compte dans le passif sont celles dont le mandataire judiciaire a eu connaissance par le débiteur dans le délai de 2 mois à compter de la publication au Bodacc du jugement d’ouverture de la procédure collective (art. R 622-24, sur renvoi de l’article R 622-5).
Il faut que l’information transmise au mandataire par le débiteur comprenne le montant de la créance due au jour du jugement d’ouverture, les sommes à échoir et leur date d’échéance, la nature du privilège ou de la sûreté, la conversion de la monnaie étrangère en euros dont le cours du change doit être celui du jour du jugement d’ouverture (C. com. art. L 622-25 sur renvoi de l’article R 622-5) et enfin les modalités de calcul des intérêts dont le cours n’est pas arrêté (art. R 622-23, sur renvoi de l’article R 622-5).
Par suite, doit être exclue du passif toute créance qui ne satisferait pas à l’ensemble des critères décrits ci-dessus. Par exemple, la simple mention d’une créance, dans la demande d’ouverture de sauvegarde (ou dans la déclaration d’état de cessation des paiements lorsqu'est demandé le redressement judiciaire), ne devrait pas suffire à considérer que cette créance a été déclarée par le débiteur selon le régime de l’article L 622-24, al. 3 du Code de commerce.
4. Par ailleurs, une partie de la doctrine (par exemple, C. Houin-Bressand, « Déclaration des créances par le débiteur pour le compte du créancier » : RD bancaire et financier 2014/5 p. 42) tend à associer l’information de l’article L 622-24, al. 3 du Code de commerce à l’obligation d’information prescrite par l’article L 622-6, al. 2 du même Code, aux termes duquel « Le débiteur remet à l’administrateur et au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours ».
Pourtant, le Code de commerce ne dispose aucunement que les informations données au mandataire judiciaire dans le cadre de l’article L 622-6 valent déclaration de créance par le débiteur au sens de l’alinéa 3 de l’article L 622-24.
Il s’agit bien de deux régimes différents.
5. A cet égard, il convient de relever que la remise d’informations prévue par l’article L 622-6 s’analyse en une obligation, qui doit être exécutée dans un délai de 8 jours à compter du jugement d’ouverture, l’absence d’information étant sanctionnée par l’article L 653-8 (interdiction de gérer). L’information du régime de l’article L 622-24, al. 3 est une action volontaire du débiteur, qui peut être réalisée pendant un délai de 2 mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au Bodacc, étant précisé que c’est la déclaration d’une créance supposée qui est sanctionnée par l’article L 653-5 (faillite personnelle).
6. La difficulté d’analyse de ce nouveau régime provient très certainement du fait que le législateur utilise indifféremment les termes « porter à la connaissance » (art. L 622-24, al. 3), « information » (art. R 622-5) et « déclaration » (art. R 622-5). En réalité, il semble que l’article L 622-24, al. 3 doit être analysé comme l’introduction dans le Code de commerce de la « déclaration de créance par le débiteur », déclaration qui remplit toutes les conditions de la déclaration de créance classique, à la différence, notamment, qu’elle n’est pas adressée par lettre recommandée avec accusé de réception et qu’aucun élément justificatif de la créance n’est sollicité pour qu’elle soit recevable.
7. Dans ces conditions et afin d’éviter la confusion avec le régime de l’article L 622-6 du Code de commerce, le débiteur devrait préciser expressément au mandataire judiciaire dans quel cadre il communique les informations sur son passif. A cet égard, il peut indiquer, sur le document transmis au mandataire judiciaire en début de procédure, que les informations communiquées le sont au visa de l’article L 622-6 du Code de commerce et ajouter explicitement que ces informations ne sauraient valoir déclaration de créance au sens de l’article L 622-24, al. 3 du Code de commerce. La volonté du législateur de permettre la déclaration de créance par le débiteur est louable ; néanmoins, en pratique et à défaut d’obligation, il est difficile de penser que le débiteur fera inscrire spontanément des créances à son passif.
8. S’agissant des mandataires judiciaires, certains notifient désormais systématiquement aux créanciers que le débiteur a porté à leur connaissance leur créance et visent l’article L 622-24, al. 3 du Code de commerce. Cet amalgame entre les régimes des articles L 622-6 et L 622-24 risque d’engager leur responsabilité si le débiteur conteste avoir déclaré une créance pour le compte de l’un de ses créanciers, qui au surplus n’aurait pas déclaré sa créance.
9. Quant au créancier, même informé que le débiteur a déclaré en son nom une créance, il devrait quand même déclarer sa créance pour éviter toute discussion ultérieure sur l’admission de celle-ci au passif du débiteur.
Xavier Me Lindet